Mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui l'examen des avis budgétaires de notre commission sur le projet de loi de finances pour 2023. Nous démarrons par la mission « Économie ». Je remercie, par avance, nos rapporteurs pour leur engagement dans cet exercice.
Madame la Présidente, mes chers collègues, la mission « Économie » comporte ceci d'étonnant qu'elle ne contient plus aucun crédit directement consacré au commerce. C'est une tendance que nous avons observée depuis plusieurs années, et sur laquelle nous avions alerté régulièrement, mais qui est désormais tout à fait concrète, puisque le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) a entièrement disparu. Il n'y a donc plus d'aide directe au commerce dans cette mission, d'autant que les annonces - frugales ! - de la ministre à la suite des Assises du commerce seront financées par redéploiement de crédits, et ne sont donc pas retracées dans le budget.
Cela ne signifie certes pas qu'aucune politique publique n'est tournée vers le commerce : l'ANCT agit, la Banque des territoires également, par exemple. Mais deux constats regrettables s'imposent. Premièrement, cet éparpillement des crédits entre différentes missions de différents ministères nuit fortement à la lisibilité de l'action conduite. Et deuxièmement, surtout, le montant dédié au commerce reste infinitésimal par rapport à ceux consacrés aux start-ups ou à l'industrie... et ce, malgré le poids très important du secteur commercial en termes d'emplois et, plus profondément, en termes de lien social dans notre pays. Je vous proposerai donc un amendement permettant le retour du Fisac, ou dispositif équivalent.
Ceci étant dit, j'ai donc consacré mes travaux de rapporteur à d'autres aspects de cette mission « Économie », c'est-à-dire aux moyens de la DGCCRF et à ceux des associations de consommateurs.
Comme nous le savons tous, les missions de la DGCCRF sont multiples, essentielles, et elles s'accroissent avec le temps. L'action de la DGCCRF vise la protection économique (et même physique) des consommateurs, contrôle la conformité des biens et services et s'assure du respect de la règlementation concurrentielle. C'est donc une direction centrale, fondamentale pour tous les secteurs qui nous intéressent, notamment en raison de son action pour lutter contre la concurrence déloyale.
Je salue à cet égard le rapport de juin 2022 de Fabien Gay, Françoise Férat et Florence Blatrix Contat, qui a particulièrement étudié le rôle de la DGCCRF en matière d'information aux consommateurs.
Cette direction présente de nombreux atouts, notamment sa présence sur tout le territoire, son caractère réactif, et ses compétences reconnues ; il faut certainement y voir là une des raisons pour lesquelles elle se voit confier, loi après loi et ordonnance après ordonnance, un nombre croissant de missions. Rien que sur le dernier quinquennat, 30 textes sont venus enrichir son corpus de compétences et la liste de ses pouvoirs et outils d'enquête. Par exemple, en matière environnementale, elle doit désormais contrôler les informations sur les caractéristiques environnementales des produits, l'interdiction de certaines mentions, ainsi que l'obligation d'affichage d'un indice de durabilité et de réparabilité. Autre exemple : suite à la loi Egalim 2, elle agit maintenant en matière de pénalités logistiques, elle contrôle les clauses de renégociation, et elle enquête sur le résultat des négociations commerciales. Dernier exemple : elle est désormais chargée de vérifier les annonces de réduction des prix, ou encore les modalités de résiliation des contrats conclus en ligne.
Devant une telle extension de son champ de compétences, un principe élémentaire de bonne administration voudrait que ses moyens humains et techniques fassent, eux aussi, l'objet d'une attention soutenue du Gouvernement. Il n'en est rien, bien au contraire : le Gouvernement, et le précédent, ont drastiquement diminué ses effectifs. Les effectifs totaux de la DGCCRF sont ainsi passés de 3 263 ETPT en 2010 à 2 768en 2021, soit une chute de 15 % en une décennie. Une fois retirés les simples transferts d'effectifs à d'autres administrations, la réduction nette d'effectifs atteindrait tout de même 400 ETPT depuis 2007. Dans le rapport de nos trois collègues, des exemples très frappants étaient mentionnés : en matière de contrôle des informations apportées aux consommateurs, la DGCCRF ne dispose plus que de 145 inspecteurs sur tout le territoire. Au niveau régional, cela donne 11 inspecteurs dans le Grand Est, un seul dans les Hauts-de-France, 8 en Bretagne... Il est particulièrement difficile de saisir la logique de cet « effet ciseau » mis en place par le Gouvernement, qui voit une administration centrale devoir faire beaucoup plus de tâches avec beaucoup moins d'effectifs
Sans surprise, une telle hémorragie a conduit la DGCCRF à diminuer fortement le nombre de ses contrôles, et à les prioriser sur des thèmes spécifiques. Une telle évolution ne peut que se faire au détriment des consommateurs et des PME.
Je note toutefois que, pour la première fois depuis des années, 13 ETPT supplémentaires, c'est-à-dire des équivalents temps plein travaillés, sont prévus pour 2023. C'est une bonne nouvelle, mais au regard de l'hémorragie subie depuis dix ans, c'est l'épaisseur du trait ...
Il se pourrait même que cette apparente bonne nouvelle en cache en fait une mauvaise. En effet, la création de la police unique de sécurité sanitaire des aliments, sous l'égide du ministère de l'agriculture, conduit la DGCCRF à transférer 60 postes vers ce ministère. Mais dans les faits, seuls 20 agents sont volontaires pour y aller, ce qui signifie que 40 agents vont rester à la DGCCRF et donc être considérés comme du « sureffectif ». Il y a donc tout à craindre que, pour compenser ce sureffectif, le Gouvernement demande à la DGCCRF de recruter moins d'inspecteurs lors du prochain concours, ce qui, à nouveau, serait incompréhensible.
Je vous proposerai donc un amendement qui augmente les moyens de la DGCCRF : ce faisant, ce sont à la fois les agriculteurs, les industriels, les consommateurs, qui ont à y gagner, car l'ensemble de ces acteurs doivent être protégés efficacement contre les tromperies, les relations déloyales ou déséquilibrées, et les allégations mensongères.
J'en viens maintenant au sujet des associations de consommateurs. Le mouvement consumériste français présente une caractéristique unique en Europe : il existe 15 associations agréées, dont UFC-Que choisir n'est que la plus connue. Chaque association a certes sa propre histoire et sa propre légitimité : certaines sont laïques, d'autres plus imprégnées de culture religieuse, certaines sont syndicales, d'autres non, etc. Et chaque association touche une subvention publique pour son fonctionnement, dont le montant total est de 2,2 millions d'euros cette année. Or la situation actuelle conduit à saupoudrer ces crédits, à les éparpiller selon des critères mal définis, et donc, in fine, à utiliser l'argent public de façon sous-optimale.
Les critères, en effet, sont mal définis. Par exemple, l'un d'entre eux consiste à mesurer le nombre d'heures de permanences assurées par chaque association ; or les horaires d'ouverture ne disent rien du nombre de consommateurs effectivement aidés ! Autre exemple : lorsqu'une association dispose du « super agrément », elle peut siéger au bureau du Conseil national de la consommation, et elle perçoit à ce titre un surcroît de subvention. Or la présence au bureau ne dit rien de l'action réelle de chaque association. De même, ce ne sont pas forcément les associations qui ont le plus grand nombre d'adhérents qui ont les meilleures capacités d'analyse. Il conviendrait donc, plutôt, de récompenser et soutenir la capacité d'enquête.
La DGCCRF, qui distribue ces fonds, envisage d'expérimenter en vue des JO 2024 des appels à projets, permettant de verser la subvention en fonction de la réalisation de telle ou telle action. Il me semble que cette initiative doit être encouragée et dépasser rapidement le stade de l'expérimentation, pour devenir la norme. De même, puisqu'il s'agit de deniers publics, il est peu compréhensible que les associations ne cherchent pas davantage à se rapprocher entre elles. Trois d'entre elles ont initié un tel mouvement. Mais c'était en 2017 et, cinq ans plus tard, le rapprochement n'est toujours pas achevé !
En parallèle, l'Institut national de la consommation, qui n'est pas une association mais qui perçoit aussi une subvention publique, est déficitaire depuis plusieurs années sur son activité commerciale de publication du magazine 60 Millions de consommateurs. Sa subvention publique a diminué de 3,6 millions d'euros entre 2012 et 2020, et l'a conduit à supprimer 11 postes ces deux dernières années, dont des postes de juriste, d'économiste, d'ingénieur, ainsi que celui de la personne en charge du plan numérique. C'est fortement regrettable, car les deux activités, celle de service public et celle commerciale, sont liées : c'est parce que la subvention lui permet d'embaucher des experts et de réaliser des tests que le magazine peut ensuite contenir des enquêtes intéressantes et de qualité.
Je suggère donc que la subvention versée aux associations de consommateurs soit rationalisée en fonction de critères plus robustes, et que les économies ainsi réalisées permettent d'alimenter un surcroît de subvention à destination de l'INC.
Enfin, je souhaiterais dire un mot du traitement réservé au réseau des chambres de métier et de l'artisanat (CMA). Sans aucune concertation, et alors que le Gouvernement leur donne de plus en plus de missions, il a été décidé d'amputer leurs recettes de 15 millions d'euros en 2023, pour un objectif de 60 millions en cinq ans. Personne ne nie la nécessité des économies, mais il est très étrange de les faire pile sur les organismes qui ont été appelés à la rescousse lors de la crise, qui accompagnent le déploiement d'Action coeur de ville et de Petites villes de demain, et qui devront demain épauler les artisans en termes de succession et de reprise. C'est une mauvaise manière faite aux CMA, d'autant que la facture énergétique du réseau va, justement, augmenter de 15 millions d'euros en 2023, et sa masse salariale de 17 millions d'euros en raison de la revalorisation du point d'indice. J'ai donc déposé, en mon nom propre, car c'est sur la première partie du PLF, un amendement revenant sur cette mesure du Gouvernement, et un amendement de repli, que je vous invite bien sûr à cosigner. De même, je déposerai sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », un amendement explicitant que le réseau consulaire fait partie des bénéficiaires de « l'amortisseur électricité ».
Je vous propose donc de valider les crédits de cette mission sous réserve de l'adoption des amendements que je soumets à votre analyse.
Je vous remercie.
Ayant eu à connaître cette mission par le passé, je souhaiterais formuler quelques remarques, qui vont dans le même sens que celles du rapporteur.
Cette mission « Économie » a été recentrée, ces dernières années, sur certaines actions prioritaires, ce qui implique de se retirer de certaines d'entre elles, comme par exemple celles relatives au tourisme et au commerce.
Il y a également eu une profonde réforme de la Direction générale des entreprises, qui a conduit à réduire ses effectifs en région. Or, dès lors que l'État choisit d'avoir une moindre présence territoriale, il faut conforter les autres acteurs qui permettent de porter les politiques publiques. À cet égard, nous avons vu durant la crise sanitaire combien le partenariat fort entre l'État et les chambres de métier et de l'artisanat (CMA) a été très utile ; et combien il continue à l'être dans les crises que nous connaissons. C'est pourquoi il faut maintenir une trajectoire de financement des CMA qui soit soutenable. Les amendements du rapporteur, déposés en première partie du PLF et qui visent à maintenir les ressources des CMA, vont donc dans le bon sens, et je suivrai cette ligne.
Concernant les associations de consommateurs, si le rapporteur appelle à une rationalisation des critères d'attribution des subventions, je rappelle qu'il ne faut pas que cela conduise à mettre fin aux subventions versées aux associations départementales de consommateurs. Il m'avait été soumis le choix de couper ces financements, et je l'avais alors décliné - le parapheur était alors redescendu... Ces associations départementales, peu nombreuses, peuvent jouer un grand rôle dans l'accompagnement des consommateurs, sur le terrain. Là où elles existent, elles fonctionnent.
J'adhère également aux propos du rapporteur : les CMA sont utiles pour accompagner les entreprises. Il leur a été retiré la gestion des centres de formalités des entreprises (CFE), et c'est fort dommage, tant pour le maillage des territoires que pour les entreprises elles-mêmes. Personne ne peut comprendre cette baisse des ressources de 15 millions d'euros des CMA ; nous soutiendrons donc l'amendement du rapporteur, identique à l'un de ceux que je dépose.
Il me semble important, au Sénat, de soutenir massivement ces acteurs de proximité. Ce débat fait écho à celui que nous avions eu relatif à la régionalisation des CMA. Concernant le Fisac, l'État doit cesser de se défausser constamment sur les collectivités : il a un rôle important à jouer dans le développement du commerce, notamment rural, et le Fisac est un outil essentiel pour cela.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 27
État B
L'amendement AFFECO.1 entend recréer le Fisac, en le dotant de 30 millions d'euros de crédits.
L'amendement AFFECO.1 est adopté à l'unanimité.
L'amendement AFFECO.2 augmente la dotation à la DGCCRF de 5 millions d'euros.
L'amendement AFFECO.2 est adopté à l'unanimité.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Commerce, artisanat et consommation » de la mission « Économie », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Nous passons à présent à l'examen des crédits « Industrie ». Je cède la parole à M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis.
Mes chers collègues, j'ai une nouvelle fois le plaisir de vous présenter mon rapport pour avis sur les crédits relatifs à l'industrie au sein de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2023.
Le constat préalable est le même que l'an dernier : à peu de choses près, les crédits de la mission « Économie » ne reflètent pas les moyens consacrés à la politique industrielle de notre pays. En effet, ses crédits représentent bien peu comparés aux montants colossaux des dispositifs du plan de relance, des PIA successifs ou de « France 2030 ». Ils ne sont donc pas représentatifs de l'ensemble des leviers mobilisés par l'État en faveur de l'industrie.
À cet état de fait, une ligne fait encore exception, bien qu'importante. La mission « Économie » continue de porter directement l'une des aides à l'industrie les plus importantes : la « compensation carbone » des entreprises électro-intensives. Cette compensation est essentielle à la compétitivité de filières qui sont au coeur de notre souveraineté industrielle : la production d'énergie, les matières premières du secteur du bâtiment, de la métallurgie, de la chimie... En effet, elle compense financièrement les fuites de carbone et elle contribue à rééquilibrer la compétitivité de nos entreprises face à leurs concurrents asiatiques ou américains : elle doit donc être sanctuarisée.
Toutefois, je signale cette année encore que son impact budgétaire va croissant. Avec la hausse des prix de l'énergie, ce sont pour 2023 près de 856 millions d'euros qui sont budgétés, soit environ 40 % des autorisations d'engagement et des crédits de paiement du programme 134, et plus de 80 % de l'action « Industrie et services ». C'est un effort budgétaire très significatif (plus de 1,1 milliard d'euros attendus en 2024 !), auquel il n'existe aujourd'hui pas d'alternative réelle.
Et pourtant, la question fondamentale que nous posent ces filières, qui résonnent dans l'ensemble de l'industrie, est celle de l'urgence de l'investissement technologique et matériel dans leur décarbonation, dans un cadre concurrentiel déséquilibré entre l'Europe et le reste du monde. Le Gouvernement français, dans le cadre européen, est-il au rendez-vous de la nécessaire sortie du thermo-fossile, qui conditionnera la compétitivité de demain et la durabilité de l'économie ? Rien n'est moins sûr à l'analyse du budget proposé pour 2023, et au regard des précédents. Et si l'on ne sort pas résolument, en y mettant les moyens, du dilemme permanent entre compétitivité et progrès environnemental dans lequel nous sommes aujourd'hui enfermés, la performance de nos entreprises, grandes et petites, s'affaissera et les délocalisations s'enchaîneront. Prenons garde de ne pas revivre, dans un autre contexte et pour des motifs différents, les plans de restructuration de la sidérurgie ou des charbonnages des années 1980 !
Mis à part cette compensation carbone, donc, il n'existe pratiquement plus aucun dispositif spécifique à l'industrie au sein des crédits de la mission « Économie ». Cela s'explique à la fois comme je l'ai dit par la « débudgétisation » au profit d'autres sources de financement, mais surtout par le désengagement progressif de l'État de ces types d'aides centralisées.
Nous avions connu deux années « extraordinaires » à cet égard (2021 et 2022), puisque les moyens très conséquents et les aides directes du plan de relance avaient marqué un certain retour de l'État dans la politique industrielle (avec des appels à projets pour la relocalisation, la décarbonation, la robotisation...). La Direction générale des entreprises (DGE), financée par le budget de la mission « Économie », a eu à gérer au cours des trois années passées un volume de crédits inédit au cours de la dernière décennie : 6,2 milliards d'euros d'aides dans le plan de relance, soit une multiplication par 6 des aides pilotées par la DGE par rapport à 2019 ! Cela explique le niveau élevé des crédits de fonctionnement de la DGE, qui restera en 2023 près de deux fois supérieur à son niveau de début 2021.
Mais la pandémie est derrière nous et le « quoi qu'il en coûte » devrait avoir vécu : les crédits exceptionnels du plan de relance arrivent en fin de course en 2023. Hors aides énergétiques, c'est un budget de retour à la normale qui nous est présenté pour 2023. L'augmentation de 34 % de crédits du programme 134 est en quasi-totalité expliquée par la hausse « mécanique » de la compensation carbone, et par l'ajustement à l'inflation.
Ce budget de retour à la normale n'a toutefois, selon moi, pas complètement tiré les leçons des années que nous venons de vivre.
D'abord, il nous avait été promis, au coeur de la crise, un renouveau des politiques industrielles et l'accélération des transitions. Pour autant, le projet de loi de fiances ne prévoit aucun dispositif généraliste de soutien à l'investissement industriel qui puisse prendre le relais de ceux mis en oeuvre lors de la relance et qui ont connu un grand succès. Par exemple, le suramortissement au profit de la modernisation de l'outil industriel n'est pas reconduit, ni le guichet d'aides au profit de la décarbonation. On nous renvoie pour cela aux dispositifs de France 2030, qui reviennent toutefois à une logique d'appels à projets que l'on sait souvent peu accessibles aux PME et ETI. Et ce alors que les entreprises nous ont alertés sur le fait que l'inflation et la concurrence internationale accrue vont peser fortement sur leurs coûts d'investissement.
Il nous avait aussi été promis une plus grande résilience de nos chaînes d'approvisionnement et de notre tissu industriel. Pourtant, les recommandations formulées par notre commission dans le cadre de notre rapport Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique n'ont pas à ce stade été suivies d'effet. Je vous soumettrai donc un amendement par lequel je propose de consacrer 12,5 millions d'euros à la réalisation d'une cartographie détaillée de l'approvisionnement de l'industrie française et de ses vulnérabilités, sous l'égide du Conseil national de l'industrie et des filières industrielles. C'est, selon nous, indispensable si l'on souhaite mettre en oeuvre une politique de réindustrialisation ciblée, dans le cadre d'une stratégie industrielle adaptée aux enjeux de notre temps, sur fond d'ardente obligation écologique.
Plus encore peut-être, l'enjeu pour nous est de comprendre et de maîtriser les nouvelles configurations qui redéfinissent en profondeur l'industrie. Le temps d'une « nouvelle industrie » est venu ! Ne passons pas à côté comme ce fut le cas avec le numérique ! L'État doit faciliter l'émergence de nouveaux paradigmes et la France doit être dans le peloton de tête en Europe. D'ailleurs, notre dispositif de formation devra être à la hauteur de cet enjeu : nombre de chef d'entreprises rencontrés nous ont dit leur inquiétude sur les compétences, en particulier les compétences de base !
Autre sujet de préoccupation en matière de facteurs de compétitivité industrielle, l'énergie et son coût, qui remettent directement en cause notre capacité à produire en France et en Europe. Prévoir bouclier tarifaire après bouclier tarifaire - comme l'a fait le Gouvernement à l'Assemblée nationale via un amendement à la mission « Économie » de 4 milliards d'euros pour soutenir les électro-intensives - ne peut être une réponse durable : il faut que le Gouvernement contribue à la réforme structurelle du marché européen de l'énergie. Certaines des entreprises entendues nous ont fait remarquer, à juste titre, que l'électricité ne peut être considérée comme un produit marchand banal.
Troisièmement, la politique industrielle reste bien trop concentrée au plan territorial. Plus de 40 % des aides à l'innovation, par exemple, sont fléchées sur seulement 5 départements français. Les appels à projets sont encore trop élitistes pour permettre à l'ensemble du tissu industriel de pouvoir y prétendre.
À cet égard, il faut saluer la prolongation jusqu'à 2026 du programme « Territoires d'industrie », seul exemple de politique industrielle « territorialisée », mais celle-ci ne s'est pas accompagnée de nouveaux moyens. Pourtant, les binômes élus locaux et industriels mis en place dans le cadre de ce programme, et les services de l'État en charge, ont effectué un travail de qualité pour mettre en oeuvre le volet territorial du plan de relance entre 2021 et 2023. Avec les projets industriels qui émergent en nombre dans la période actuelle, et avec la création de nouveaux « Territoires d'industrie », il me paraît très important de renforcer cet outil de politique industrielle « horizontale », fondé sur une approche par projet et par territoire. D'autant que les moyens des collectivités, nous le savons, sont de plus en plus contraints et qu'elles ne pourront assumer seules ces missions. Un exemple parlant : l'avenir du programme « Sites industriels clefs en main », qui vise à aider les collectivités à mobiliser du foncier économique à destination de l'industrie, n'est pas garanti ni financé. Pourtant, à l'heure de la mise en oeuvre du « ZAN », ce type d'accompagnement me semble plus important que jamais...
Le second amendement que je vous soumets vise donc à garantir au programme « Territoires d'industrie » un financement budgétaire pérenne. Il propose ainsi de créer une ligne budgétaire dédiée au sein de l'action « Industrie et services », dotée de 100 millions d'euros sur quatre ans, afin de prendre le relais des dispositifs pertinents financés par le plan de relance qui gagneraient à être reconduits. Cela me paraît essentiel pour éviter de revenir trop vite à une logique d'appels d'offres nationaux, qui ne bénéficieront pas aux nombreux projets industriels locaux qui ne rentrent pas dans les « cases ». Ces nouveaux moyens budgétaires permettront aussi d'inclure dans le champ du programme les intercommunalités qui souhaiteraient encore le rejoindre.
Pour ces crédits, il me semble qu'il faudra fixer trois priorités d'action afin de soutenir les intercommunalités dans leur action en faveur de l'industrie : d'abord, le soutien en matière d'ingénierie des collectivités ; ensuite, l'accompagnement décentralisé des entreprises en difficulté ; et enfin la mobilisation et la requalification du foncier économique.
Enfin, et j'insiste sur ce point qui me paraît très important, il ne faut pas relâcher nos efforts d'accompagnement des entreprises industrielles au-delà de la crise qui semble être derrière nous.
D'une part, parce que notre industrie a des cartes à jouer dans cette période charnière. Réindustrialiser notre économie, pas uniquement sur nos secteurs traditionnels, mais aussi sur de nouveaux créneaux porteurs, peut faire émerger de nouveaux champions français et européens, capables d'exporter leurs productions innovantes, et profitant de la réorganisation des chaînes de valeur. D'autre part, parce que de nombreuses entreprises n'ont pas encore réellement pu tourner la page des chocs économiques des derniers mois et restaurer des marges viables. Certaines vont avoir des difficultés à rembourser leurs prêts garantis par l'État, contractés durant la crise liée à la pandémie de Covid-19. Dans des secteurs comme l'automobile, les mutations structurelles s'accélèrent, en plaçant certains fournisseurs en difficulté. Il faut donc accompagner la diversification vers d'autres marchés, mais aussi prévoir les moyens nécessaires à l'accompagnement des entreprises en difficulté. Là aussi, le programme « Territoires d'industrie » joue un rôle de premier plan, mais sans être garanti de disposer des moyens budgétaires correspondants... Dans sa hâte d'un retour à la normale, le Gouvernement devra mieux cibler et calibrer l'accompagnement des entreprises.
Je vous proposerai donc, dans un troisième amendement, de renforcer les moyens de Business France. Le précédent contrat d'objectifs et de moyens avait acté une baisse du financement de l'agence, qui a ensuite dû être compensée par des financements exceptionnels dans le cadre des mesures d'urgence puis du plan de relance. Je l'ai dit, il me semble essentiel d'accentuer l'effort d'internationalisation des entreprises industrielles françaises en cette période charnière. Je propose donc une hausse de 8 millions des crédits consacrés à la subvention pour charge de service public de l'agence (soit environ 4 % de hausse hors inflation), ce qui permettra de définir plus sereinement le cadre du prochain contrat d'objectifs et de moyens de l'agence et d'assurer la continuité de son action.
En conclusion, mon analyse de la mission, pour sa part relative aux crédits dédiés à l'industrie, m'amène à vous proposer un avis favorable sur la mission « Économie », qui porte notamment la nécessaire « compensation carbone » et le soutien exceptionnel aux entreprises électro-intensives dans la crise énergétique que nous traversons. Mais je conditionne toutefois cet avis favorable à l'adoption des trois amendements que je vous ai présentés aujourd'hui, afin de donner à ce budget une portée plus structurelle, plus territoriale et plus adaptée aux enjeux vitaux d'avenir, même si sur ce dernier point l'essentiel est à faire.
J'ajoute, car je ne les ai pas mentionnés plus haut, que les pôles de compétitivité me paraissent aussi être une modalité très intéressante de politique industrielle territorialisée et horizontale, dont il convient de préserver le financement, porté par la mission « Économie ».
Il serait intéressant de disposer d'une évaluation ou d'un bilan d'étape récent des « Territoires d'industrie » ainsi que des pôles de compétitivité.
Nous avons auditionné le directeur de programme de « Territoires d'industrie », il y a de cela quelques jours : c'était très intéressant. Il serait pertinent de le convier pour une audition devant notre commission.
Concernant Business France, l'amendement prévoyant 8 millions d'euros supplémentaires me paraît très utile. Les montants cumulés de France 2030 et du PIA 4, à hauteur de 54 milliards d'euros environ, démontrent que l'on sait trouver les moyens de financement nécessaires quand il le faut : en ce qui concerne les « Territoires d'industrie », si les 100 millions d'euros que nous évoquons sont insuffisants, il ne faudrait pas hésiter à répartir différemment les enveloppes pour mieux financer les dispositifs territoriaux.
Il est vrai que les véhicules budgétaires du PIA et de France 2030 nous laissent parfois quelque peu confus quant à leur organisation et à la répartition des financements, bien que nous ayons récemment auditionné Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement, à ce sujet.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 27
État B
L'amendement AFFECO.3 vise à prévoir, au sein de l'action « Industrie et services » du programme 143, une dotation de 100 millions d'euros en AE et 25 millions d'euros en CP, afin d'octroyer au programme « Territoires d'industrie » une enveloppe de financements propres cohérente avec la prolongation du programme jusqu'en 2026.
L'amendement AFFECO.3 est adopté à l'unanimité.
L'amendement AFFECO.4 vise à abonder de 12,5 millions d'euros l'action « Industrie et services » du programme 143, en AE comme en CP, afin de financer la réalisation au long cours d'une cartographie de l'approvisionnement industriel français, avec ses faiblesses et ses opportunités. Il s'agit de l'une des recommandations du rapport de la commission des affaires économiques du Sénat intitulé Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique.
L'amendement AFFECO.4 est adopté à l'unanimité.
L'amendement AFFECO.5 vise à augmenter de 8 millions d'euros, en AE et CP, la subvention pour charges de service public de l'agence Business France, portée par le programme 134, afin d'assurer la continuité de son action en faveur de l'internationalisation des entreprises, notamment industrielles, dans la période charnière actuelle, et de permettre d'élaborer dans un cadre financier prévisible son nouveau contrat d'objectifs et de moyens.
L'amendement AFFECO.5 est adopté à l'unanimité.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Industrie » de la mission « Économie », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Nous passons à présent à l'examen des crédits relatifs aux télécommunications, aux postes et à l'économie numérique. Je cède la parole à Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis.
Madame la Présidente, mes chers collègues, dans le cadre de la mission « Économie », des changements significatifs concernant les crédits dédiés aux télécommunications, aux postes et à l'économie numérique sont à signaler depuis désormais deux ans. Plusieurs de ces changements s'inscrivent dans la continuité des travaux menés par notre commission.
Cette année, j'ai souhaité concentré mes analyses sur trois axes : le suivi de la mise en oeuvre du Plan France très haut débit, la compensation des déficits des missions de service public de La Poste et la « montée en puissance » de l'Agence nationale des fréquences (ANFR).
Concernant le suivi du Plan France très haut débit, à première vue, les objectifs sont en phase d'être atteints.
Le Gouvernement, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et les opérateurs de télécommunications se montrent confiants quant à la capacité de permettre à tous un accès au très haut débit d'ici la fin de l'année 2022. Selon les dernières données disponibles, au 30 juin 2022, 82 % des locaux, soit 35,2 millions d'entre eux, étaient éligibles au très haut débit par le biais d'une technologie filaire.
Aujourd'hui, cette dynamique est très largement soutenue par la vitesse de déploiement de la fibre optique jusqu'à l'abonné (Ftth) à laquelle 75 % des locaux sont éligibles. Avec en moyenne plus d'un million de nouvelles lignes déployées par trimestre, l'objectif de généraliser la fibre optique à horizon 2025 semble également pouvoir être atteint.
Cette année encore, la France demeure le premier pays de l'Union européenne (UE) en matière de déploiement de la fibre optique.
Nous pouvons nous en féliciter mais, à y regarder de plus près, cela pourrait être au détriment de la qualité, de la résilience et de la durabilité des réseaux. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
Tout d'abord, le nombre de foyers activement abonnés à la fibre, estimé à 16,3 millions au deuxième trimestre 2022, est inférieur de moitié au nombre de locaux raccordables à la fibre, révélant un taux de pénétration du marché de moins de 50 %. L'activation effective des réseaux fibrés n'est donc pas aussi rapide que ce que suggèrent les indicateurs mis en avant.
Deuxièmement, pour des raisons économiques, les opérateurs privilégient le déploiement aérien des réseaux fibre, au détriment de leur enfouissement. Selon une récente étude commandée par Infranum et la Banque des territoires, ce sont 500 000 km de lignes aériennes, principalement situées en zones rurales, qui sont vulnérables face aux crises.
Dans un contexte de dérèglement climatique, de multiplication des incendies, des tempêtes, des « coups de vent » et de dégradation réelle de l'entretien des lignes téléphoniques, ces choix économiques de court terme se font au détriment d'une plus grande résilience et d'une meilleure durabilité de nos réseaux de télécommunications. À l'inverse, d'autres pays européens, comme l'Allemagne, privilégient exclusivement l'enfouissement terrestre de leurs réseaux.
Ce point me semble déterminant car dans un contexte où le Plan France très haut débit est désormais doté de toutes les autorisations d'engagement nécessaires à sa réalisation budgétaire, nous devons être vigilants à la qualité du service rendu, aux usagers, particuliers, entreprises et collectivités.
La généralisation de la fibre optique s'accélère, et en parallèle se prépare la fermeture du plan cuivre, annoncé cette année par Orange, qui en est l'opérateur historique.
Alors que la fermeture commerciale de ce réseau doit être totale au 1er janvier 2026 et que l'Arcep n'autorise cette fermeture que si 100 % des locaux de la commune sont raccordables à la fibre, on estime que 670 000 foyers ne pourront pas, d'ici cette échéance, être raccordés à la fibre.
Le sujet des raccordements complexes est donc majeur, et à mon sens encore sous-estimé. Par l'intermédiaire du plan de relance, le Gouvernement a prévu 150 millions d'euros d'autorisations d'engagement pour les années 2022 et 2023. Ces crédits doivent permettre de financer notamment le nouvel appel à projet de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) dédié aux raccordements complexes.
Cet appel à projet est en cours, mais nous n'avons pas besoin d'attendre la publication des résultats pour constater que les moyens mobilisés sont insuffisants pour faire face aux besoins.
Nous devrons donc veiller à la reconduction d'un budget dédié aux raccordements complexes au-delà de 2023.
Dans d'autres domaines, les moyens budgétaires mobilisés s'avèrent plus adaptés. C'est notamment le cas des compensations versées à La Poste au titre de l'exercice de ses missions de service public. Sur ce point, je souhaite saluer les travaux menés par mes collègues MM. Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon dans le cadre de leur rapport d'information et de leur proposition de loi relatifs aux services publics de La Poste.
Cette année, et pour la première fois, les quatre missions de service public de La Poste font l'objet de compensations budgétaires pluriannuelles, ce qui facilite à la fois le travail de contrôle budgétaire du Parlement, mais surtout sécurise, dans la durée, le financement de services publics indispensables à nos concitoyens.
Au total, pour 2021, le coût net cumulé des quatre missions est évalué à 1,69 milliard d'euros pour un niveau cumulé de compensations de 1,12 milliard d'euros.
Pour 2022, ce même coût net cumulé des quatre missions est estimé à 1,54 milliard d'euros pour un niveau cumulé de compensations de 1,1 milliard d'euros.
Le niveau des compensations accordées à La Poste a quasiment doublé par rapport aux années précédentes en raison de l'octroi, pour la première fois, d'une dotation budgétaire comprise entre 500 et 520 millions d'euros, modulable en fonction des résultats de qualité de service, et visant à compenser le déficit du service universel postal.
À noter que, pour 2021, le Gouvernement a fait le choix d'accorder par défaut les 20 millions d'euros supplémentaires, alors même que les indicateurs de qualité de service n'étaient pas connus.
Il me semble préférable, pour les années à venir, de respecter la « logique préalable du bonus-malus », sous-jacente à l'octroi de cette compensation.
Sur la mission d'accessibilité bancaire, les compensations budgétaires versées à La Banque Postale sont désormais intégrées au budget général de l'État, la gestion n'étant plus assurée par le Fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations. C'est un point appréciable en matière de lisibilité budgétaire.
Concernant la mission de transport et de distribution de la presse, la compensation versée pour 2023 devrait s'élever à 40 millions d'euros. Ce montant est en hausse par rapport aux prévisions de l'an dernier, en raison du retard de la mise en oeuvre de la réforme globale de la distribution de la presse.
Enfin, sur la mission de contribution à l'aménagement du territoire, les compensations budgétaires versées à La Poste sont également en hausse pour rééquilibrer la baisse des compensations fiscales.
Dans la continuité des dispositions introduites par le Sénat en loi de finances pour 2021, une compensation budgétaire est désormais versée pour prendre en compte les conséquences de la suppression des impôts de production, sur le financement de cette mission de service public. Cette compensation, de 74 millions d'euros pour 2023, a été majorée de 31 millions d'euros par un amendement du Gouvernement, toujours pour compenser les effets de la deuxième partie de la réforme des impôts de production.
Nous devrons veiller au bon financement de cette mission de service public car elle permet notamment le maintien des 17 000 points de contact postaux sur l'ensemble du territoire. En jeu, il y a tout de même la fermeture de bureaux de poste et leur mutualisation.
Sur le troisième et dernier point, j'ai souhaité cette année insister sur le rôle insuffisamment connu de l'Agence nationale des fréquences (ANFR). Opérateur de l'État principalement chargé de la bonne distribution des fréquences radioélectriques, les moyens de l'ANFR sont renforcés depuis 2021 dans la perspective de la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Véritable « diplomate des ondes », l'ANFR devra notamment assurer la bonne distribution des fréquences entre les médias du monde entier et éviter les risques d'interférence et de brouillage. Or, ce rôle est mis à mal par la suppression, à compter du 1er janvier 2023, de la « taxe de brouillage », dispositif simple, rapide et dissuasif, dont disposait l'ANFR, lors de ses interventions de résolution de brouillage.
En l'absence d'outils juridiques nouveaux permettant à l'ANFR de faire respecter la réglementation relative aux fréquences radioélectriques, la « montée en puissance » de l'Agence devient plus aléatoire, à une période où le développement des usages, des fréquences, des réseaux et des infrastructures multiplient les incidents et les interférences.
En conséquence, je défendrai, à titre individuel, un amendement en séance publique visant à rétablir cette taxe.
Cette « montée en puissance » de l'ANFR est également toute relative au regard des nouvelles obligations de surveillance de marché en matière de contrôle parental.
Depuis la promulgation de la loi relative au renforcement du contrôle parental sur les moyens d'accès à Internet, dont notre collègue Mme Sylviane Noël était rapporteure pour la commission, et dans l'attente de la publication des décrets d'application, l'ANFR peine à déterminer une véritable stratégie de contrôle ciblée des appareils connectés à contrôler en priorité.
Les hausses d'effectifs (+ 8 ETPT d'ici 2026) et budgétaires (+ 840 000 € d'ici 2026) prévues à cet effet semblent bien modestes au regard du nombre d'appareils à contrôler avant leur mise sur le marché français et au regard de l'importance politique toujours plus grande que nous accordons à la protection des mineurs en ligne.
Il nous faudra être particulièrement attentif concernant la qualité et la rapidité du déploiement de ce dispositif de contrôle dans les années á venir.
Je vous remercie pour votre attention, et je reste bien entendu à votre écoute pour répondre à vos questions.
Merci beaucoup pour la présentation de ce rapport. Je souhaiterais aborder deux points.
Premièrement, je me satisfais de la prise en compte des recommandations de notre rapport pour compenser les missions de service public de La Poste, en particulier pour compenser de façon budgétaire la baisse des compensations fiscales dont bénéficient La Poste au titre de sa mission de contribution à l'aménagement du territoire. Nous sommes dans une dynamique plutôt favorable qui permet de maintenir les services publics de La Poste.
Deuxièmement, sur l'aspect numérique, j'adhère bien évidemment à ce qui a été dit. Nous sommes dans une période très complexe et dans un environnement que je considère comme assez explosif. Il y a beaucoup d'insatisfaction de la part des particuliers, des entreprises, des collectivités territoriales et des opérateurs de télécommunications, ce qui nous interroge quant à notre capacité à tenir les objectifs de généralisation de la fibre optique d'ici 2025 et de fermeture du réseau cuivre d'ici 2030.
J'ai une question concernant le financement des réseaux de fibre optique de Mayotte, qui reste le seul département français qui ne bénéficie pas d'une dotation spécifique dans le cadre du Plan France très haut débit. Est-ce qu'il y a une enveloppe spécifique dédiée dans le cadre de ce projet de loi de finances ?
Si les auditions menées n'ont pas révélé de sujet spécifique sur le déploiement des réseaux de fibre optique à Mayotte, ce projet de loi de finances prévoit bien le lancement d'un nouvel appel à projets spécifique au déploiement des réseaux d'initiative publique (RIP) à Mayotte, le montant mobilisé n'étant toutefois pas encore connu. Nous serons vigilants sur ce point.
J'ai une question technique mais qui peut avoir des conséquences financières. Beaucoup de communes, notamment dans les zones rurales et les zones montagneuses, ont financé l'enfouissement des réseaux électriques et des réseaux de télécommunications. Or, aujourd'hui, pour la mise en place de la fibre optique, il est proposé à certaines communes de privilégier le déploiement aérien par le financement de nouveaux poteaux. C'est problématique pour les communes ayant fait l'effort financier d'enfouir leurs réseaux. Est-ce que la fibre optique peut aujourd'hui être déployée en utilisant les réseaux souterrains existants ? C'est un enjeu pour de nombreuses communes.
Je profite de cette question, dont la portée excède le champ du projet de loi de finances, pour vous annoncer que la nouvelle directrice générale d'Orange, Mme Christel Heydemann, sera auditionnée par notre commission des affaires économiques le mercredi 30 novembre prochain à 9 h 30.
C'est effectivement un sujet majeur qui nous préoccupe. Aujourd'hui, ce sont plus de 500 000 km de lignes aériennes, essentiellement déployées dans les zones rurales, qui sont considérées comme vulnérables face aux crises. Nous sommes peut-être en train de confondre vitesse et précipitation avec des réseaux de télécommunications qui risquent d'être trop vulnérables aux intempéries. L'audition de la nouvelle directrice générale d'Orange devrait effectivement nous permettre d'aborder plus en détails ce sujet.
Je souhaite effectivement insister sur cette hyper-vulnérabilité des territoires ruraux qui sont surexposés aux risques. Nous avons notamment abordé ce sujet à la commission supérieure du numérique et des postes (CSNP). Nous devons conduire une réflexion, aux niveaux budgétaire et économique, sur l'utilisation faite par certains opérateurs et diffuseurs de contenus de nos réseaux de télécommunications, sans aucune contribution financière en retour. Une telle contribution permettrait, de façon complémentaire aux moyens budgétaires mobilisés par l'État, d'améliorer la qualité et l'entretien des réseaux.
C'est justement l'une des recommandations du rapport relatif à la souveraineté économique, adopté par notre commission en juillet dernier, que nous ne pouvons malheureusement pas mettre en oeuvre dans le cadre du projet de loi de finances.
Sur la question des services publics de La Poste, malgré les avancées en matière de compensations budgétaires, je pense que la situation continue de se dégrader. Je fais notamment référence à la disparition du timbre rouge, qui est loin d'être anecdotique. Le signal envoyé est celui d'un service public postal qui ne livrera plus les courriers prioritaires le lendemain de leur envoi : la dégradation continue.
C'est également le cas pour les livraisons de journaux, qui se fait désormais davantage à J+ 2 ou à J+ 3 plutôt qu'à J+ 1 dans de nombreux départements.
Derrière la suppression du timbre rouge, il y a donc le renoncement par La Poste de livrer le courrier le lendemain de son envoi à toutes les personnes sur l'ensemble du territoire. C'est un choix et c'est une direction qui risque d'être prise à l'avenir pour les livraisons de colis. Il faut évidemment compenser les missions de service public, mais surtout avoir un véritable débat avec La Poste sur ces sujets. La suppression du timbre rouge est donc loin d'être anecdotique.
Nous devons effectivement accorder une importance particulière à la qualité de service. D'un point de vue budgétaire, je vous rappelle que, pour l'année 2021, le Gouvernement a fait le choix d'accorder par défaut l'enveloppe de 20 millions d'euros supplémentaires pour compenser le déficit du service universel postal à hauteur de 520 millions d'euros, alors même que les indicateurs de qualité de service n'étaient pas encore connus. Nous avons souligné ce manquement, et nous veillerons à ce que la logique de « bonus-malus » soit préservée dans les années à venir.
Je remercie les trois rapporteurs pour leurs travaux respectifs. Ils proposent tous les trois d'émettre un avis favorable sur les crédits de cette mission, sous réserve de l'adoption de leurs amendements. Je vous propose donc de passer au vote.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie », sous réserve de l'adoption des amendements.
Nous passons à l'examen des crédits de la politique de la ville inscrits au programme 147 de la mission Cohésion des territoires. Je passe la parole à Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis.
Madame la présidente, mes chers collègues, le rapport que je vous présente ce matin s'inscrit à la suite du rapport budgétaire de l'an passé et du rapport d'information que nous vous avons présenté cet été avec Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard sur la politique de la ville. J'ai eu à coeur d'assurer le suivi des sujets d'une année sur l'autre mais aussi d'appliquer la même méthode en conjuguant les auditions d'acteurs nationaux avec des visites de terrain à la rencontre de ceux qui sont dans les quartiers prioritaires et font la politique de la ville. Dans cet esprit, je me suis rendue cet automne à La Courneuve pour voir la pépinière d'entreprises située à une encablure de la cité des 4 000, et à Reims pour rencontrer Catherine Vautrin, présidente de la métropole et de l'ANRU, et ses équipes. Reims est, contrairement à l'image véhiculée par le champagne, une ville de 186 000 habitants avec 48 % de logements sociaux et sept quartiers prioritaires rassemblant 19 % de la population.
Je voudrais vous présenter ce matin un rapide aperçu des crédits du programme 147 dédié à la politique de la ville, puis vous faire part de ce que je retire de ces visites en termes de développement de l'entrepreneuriat dans les quartiers et de déploiement concret de cette politique.
Concernant le budget tout d'abord, je souhaite vous donner les grands éléments de compréhension. En 2023, les crédits s'élèveront à 597,5 millions d'euros soit une augmentation de 7,1 % et de 39,6 millions d'euros. Le budget augmente donc plus vite que l'inflation anticipée qui est de l'ordre de 4,2 %. Depuis 2017, le budget de la politique de la ville poursuit son augmentation quasi constante. Rappelons qu'il s'élevait à 429 millions d'euros en 2017. Parallèlement, la Dotation de solidarité urbaine, la DSU, dépassera 2,5 milliards d'euros, en hausse de 3,85 %. Elle s'élevait à 2,1 milliards en 2017.
L'augmentation des moyens du programme 147 dans le PLF 2023 résulte principalement de quatre mouvements de crédits. Tout d'abord, elle va servir à financer le dispositif Quartiers d'été à hauteur de 30 millions d'euros. Elle va ensuite permettre d'ouvrir une enveloppe de 5 millions d'euros pour des postes d'adultes relais supplémentaires. Troisièmement, pour accompagner la montée en puissance de l'EPIDE, l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi, et pour rétablir la clef de répartition des charges entre les ministères de la ville pour un tiers et de l'emploi pour les deux tiers, le programme 147 va bénéficier d'un transfert de 7,7 millions d'euros en provenance du programme 102 consacré à l'accès et au retour à l'emploi. Enfin, quatrième mouvement, les crédits du programme 147 sont diminués de 2,6 millions d'euros en raison d'un transfert au profit du programme 112 « impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » afin d'assurer la répartition de la subvention pour charge de service public de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, l'ANCT, entre le budget de la ville et celui du reste du ministère de la cohésion des territoires.
Au-delà de ces mouvements de crédits, le budget du programme conforte l'ensemble des actions préalablement lancées. C'est notamment le cas pour les 200 cités éducatives qui sont pérennisées jusqu'en 2027, ce qui représente 77,8 millions d'euros par an. Il en est de même du financement des bataillons de la prévention. Il sera assuré pour une année supplémentaire pour 16 millions d'euros. Autre point de continuité, l'État versera 15 millions d'euros à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, comme les années passées au titre du Nouveau programme national de renouvellement urbain, le NPNRU.
Ces données financières m'amènent à formuler cinq observations, elles aussi dans la continuité des travaux de notre commission.
Je me félicite tout d'abord que les Quartiers d'été voient leur place confortée et leurs moyens budgétés dès le début d'année. En effet, depuis leur création à l'issue du confinement en 2020, leur financement n'était assuré qu'en cours d'année et même parfois très tardivement mettant les collectivités et les associations dans une situation très délicate. Sur le fond, ce dispositif, qui s'insère dans les dispositifs estivaux de l'Éducation nationale et du ministère de la culture, est plébiscité par les maires. Il est très positif en termes de tranquillité publique et sur le plan éducatif en confortant les acquis, en rattrapant des retards ou en ouvrant l'horizon grâce à des pratiques sportives ou artistiques.
Concernant les cités éducatives, le choix a été fait à la fois de les pérenniser jusqu'en 2027, ce qui apporte de la prévisibilité, et de stabiliser l'existant, ce qui conduit à ne pas les généraliser ou lancer de nouveaux appels à projet. De fait, les retours que je peux avoir sont mélangés. Globalement, leur action est saluée en créant un cadre de coordination autour du parcours des jeunes de 0 à 25 ans, du berceau à leur insertion dans le monde professionnel. Mais il semble que la greffe ne fonctionne pas partout. Les cités ciblées avec des équipes motivées et des objectifs resserrés fonctionnent mieux. C'est souvent le cas des premières qui ont été labellisées. Gilles Leproust, maire d'Allonnes, vice-président de Le Mans Métropole et président de Ville et Banlieue, m'indiquait par exemple que celle d'Allonnes fonctionnait remarquablement bien alors que celle du Mans, trop vaste, restait une superstructure un peu creuse.
Concernant les adultes relais ensuite, je suis frappée par le décalage entre les annonces officielles qui ont porté le nombre des postes censés être ouverts de 4 000 à 6 514 au cours du quinquennat précédent et la réalité de 4 600 personnes réellement à l'oeuvre sur le terrain. Je suis également frappée que beaucoup puissent ainsi « se payer de mots », c'est le cas de le dire. Pourtant, le constat a clairement été fait que la présence humaine dans les quartiers pour l'accompagnement et la médiation avait un grand rôle à jouer. Le diagnostic technique est qu'en réalité, les 6 514 postes n'ont jamais vraiment été budgétés, que seuls 5 000 conventions avec des employeurs ont été signées et que le reste de la différence s'explique par des problèmes frictionnels liés aux délais de recrutement et aux mouvements d'entrée-sortie. Sur le fond, il me semble qu'il y a deux explications principales. Les employeurs, qui sont pour 80 % de petites associations, sont très prudents devant la précarité des financements et n'ont pas toujours les moyens du cofinancement attendu. Ensuite, ces postes sont peu qualifiés et qualifiants, et peu rémunérés. Ils manquent donc d'attractivité et ne permettent pas d'assurer une insertion dans la durée.
Concernant l'ANCT, je voudrais revenir une nouvelle fois sur la situation de l'Observatoire national de la politique de la ville, l'ONPV. Vous le savez, avec Valérie Létard et Dominique Estrosi Sassone, nous avons dénoncé le fait qu'il soit devenu une coquille vide, sans président depuis un an, sans personnel et sans moyen ou presque et dépourvu de lien avec la recherche, le ministre Olivier Klein relevant, lors de son audition, qu'il n'y avait qu'un seul contrat Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche) permettant l'emploi d'un doctorant sur la politique de la ville à l'ANCT. Je vous proposerai donc un amendement à ce sujet pour à nouveau interpeller le ministre en séance pour relancer l'évaluation de la politique de la ville.
Enfin, j'en viens à l'ANRU et au NPNRU. Le programme est entré en phase active. La quasi-totalité des projets de quartiers ont été validés : 450 sur 453. 416 sont aujourd'hui en chantier et plus de 2 500 opérations ont déjà été livrées. L'ANRU va donc désormais avoir un rythme élevé de décaissement, de l'ordre d'un milliard par an au cours des cinq prochaines années. Or, dans ce contexte, si Action Logement et les bailleurs sociaux, pourtant fragilisés, sont au rendez-vous, l'État n'a, quant à lui, pas tenu ses engagements. Il doit financer 1,2 milliard d'euros sur les 12 milliards du programme d'ici 2031. De 2017 à 2022, malgré sa promesse d'apporter 200 millions d'euros, seuls 92 millions ont été versés à l'ANRU. Reste donc plus d'1,1 milliard d'euros à payer, soit normalement un rythme de 110 millions par an environ. Or, une nouvelle fois, en 2023, prétextant la trésorerie abondante de l'ANRU, l'État ne versera que 15 millions. Si, je le reconnais, verser plus en 2023 n'est pas indispensable, c'est néanmoins la crédibilité de l'État qui est en jeu. Il m'a été indiqué qu'un arbitrage aurait été obtenu pour garantir un versement de 300 millions d'euros sur le quinquennat, mais il n'a pas été officialisé. C'est la raison pour laquelle, je vous proposerai, comme les années passées, d'adopter un amendement de principe d'accroissement de la contribution de l'État.
Une fois ces éléments budgétaires évoqués, je voudrais aborder des éléments plus qualitatifs à la suite de mes récentes visites à La Courneuve et à Reims afin d'aborder l'entrepreneuriat dans les QPV et la conduite d'une stratégie en matière de politique de la ville.
Concernant l'entrepreneuriat, vous vous souvenez qu'avec Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard, nous nous y étions spécifiquement intéressées comme exemple de parcours de réussite, mais aussi parce qu'il a un vrai effet de levier et d'entraînement, l'entrepreneuriat correspondant aux aspirations d'un tiers des habitants des quartiers. Nous avions aussi souligné le rôle de l'entrepreneuriat féminin comme facteur d'émancipation. Aujourd'hui, une association comme Positive Planet, créée en 2006 par Jacques Attali et déployée dans cinq régions, accompagne 51 % de femmes vers la création d'entreprises. Je trouve cela très encourageant.
À La Courneuve, la pépinière d'entreprise a été créée en 2005. Elle est installée dans un bâtiment qui a remplacé une barre d'immeuble démolie dans le cadre du PNRU. Elle est gérée depuis l'origine par la Maison de l'innovation économique locale, la MIEL, qui est portée par Plaine Commune. C'est une structure légère de quatre personnes qui accueille 30 entreprises et propose des bureaux mais aussi des ateliers. La structure affiche « complet ». Les 30 entreprises accueillies génèrent 10 millions d'euros de chiffre d'affaires et 160 emplois. 10 % des entrepreneurs viennent du quartier, 50 % de Plaine Commune, 2/3 de Seine-Saint-Denis.
L'une des forces de la pépinière est son ouverture sur le territoire et le quartier d'implantation. Ce n'est pas un « éléphant blanc ». Les employés et les entrepreneurs en viennent. Elle est aussi co-localisée avec une école de la 2e chance et accueille les jeunes en stage leur offrant insertion professionnelle et débouché.
L'atout maître de la pépinière, c'est aujourd'hui d'afficher de très belles success stories. On nous a donné l'exemple d'un entrepreneur qui résidait dans la barre démolie où est installée la pépinière et qui est revenu créer son entreprise dans le quartier plutôt qu'à la Station-F car il voulait rendre ce qu'il avait reçu. Je peux vous parler également de la société Madame la Présidente qui vend des compléments alimentaires pour les cheveux et qui fait aujourd'hui 3,3 millions d'euros de chiffre d'affaires et emploie 17 personnes. J'ai également rencontré plusieurs entrepreneurs qui m'ont impressionnée. VGain, créé par deux jeunes de Sevran, développe des compléments alimentaires protéinés végétaux pour sportifs qui sont exportés au Japon ! Le Beau Thé est une société créée par deux jeunes de Saint-Denis qui se positionne sur le créneau du sur-mesure et du luxe et qui a déjà pour client Dior, Chanel ou Bulgari... Je voudrais encore évoquer la jeune fondatrice d'origine marocaine de True, the argan company qui commercialise des produits alimentaires et cosmétiques à base d'huile d'argan. Visant elle aussi la haute qualité, elle a par exemple déjà convaincu Alain Passard, célèbre chef de l'Arpège, par sa démarche alliant exigence et développement durable au service des femmes.
De toutes ces rencontres et de ces entreprises se dégagent une très vive énergie entrepreneuriale et une forte exemplarité qui sont enthousiasmantes. Les jeunes du quartier sont aussi touchés puisque la directrice de la MIEL nous indiquait que lors d'une récente séance de sensibilisation des lycéens à l'entrepreneuriat, à la surprise de leurs professeurs, 40 % déclaraient spontanément vouloir suivre cette voie.
Même si, bien évidemment, il n'y a pas que des réussites, cela confirme tout l'intérêt pour ces quartiers d'intégrer pleinement la promotion de l'entrepreneuriat dans les futurs contrats de ville, comme nous le préconisions dans notre rapport comme outil de développement et d'émancipation.
Il me semble également que cet entrepreneuriat des quartiers doit aussi être pleinement pris en compte dans les réflexions sur la réindustrialisation car toutes les entreprises que j'ai citées fabriquent en France. Plusieurs d'entre elles sont déjà exportatrices ou ont vocation à le devenir à brève échéance.
Après l'entrepreneuriat, je voudrais terminer ma présentation en évoquant comment une stratégie de territoire peut être développée à travers les outils de la politique de la ville et du renouvellement urbain en prenant l'exemple de Reims.
Comme je l'indiquais, Reims est la plus grande ville de France concentrant plus de 40 % de logements sociaux, ceux-ci étant d'ailleurs situés pour un tiers d'entre eux en QPV. La concentration est encore plus forte si on regarde plus spécifiquement les PLAI, les logements sociaux les moins chers, qui sont à 59 % dans les QPV ou à la frontière de ceux-ci. Le taux de logements sociaux a même progressé à Reims entre 2016 et 2019, passant de 44,8 % à 48,9 %.
Le NPNRU représente donc un enjeu stratégique pour la ville pour faire régresser la ségrégation et développer plus de mixité. Dans cette perspective, le NPNRU permettra la destruction de 1 768 logements sociaux, dont seulement 50 % seront reconstruits et pour une large part en dehors de l'unité urbaine de Reims dans le territoire plus large du Grand Reims afin d'assurer un rééquilibrage géographique.
Cette politique volontariste autour du bâti prendra tout son sens via une politique de peuplement tout aussi déterminée de « mixité inversée ». Le but est de maintenir le taux de relogement en QPV en dessous de 50 %. Par ailleurs, la convention intercommunale d'attribution (CIA) a retenu le principe d'une attribution en QPV, hors 1er quartile, de 70 % au lieu de 50 %.
Concernant les outils propres à la politique de la ville, ce qui caractérise le Grand Reims, c'est le déploiement d'une véritable stratégie globale coordonnant les instruments touchant l'éducation, l'emploi et la tranquillité résidentielle.
En matière de tranquillité résidentielle, tout d'abord, le Grand Reims a décidé en 2018 avec l'aide de l'État d'exiger, dans le cadre de la convention d'abattement de la TFPB avec les bailleurs sociaux, un véritable effort de transparence sur l'usage des fonds et une action renforcée en matière de tranquillité. En effet, l'abattement représente 3,5 millions d'euros par an. Il est aujourd'hui employé à 60 % pour développer le gardiennage et mettre en place un centre de surveillance inter-bailleurs permettant de centraliser le suivi de la vidéo surveillance. Des réunions tripartites, bailleurs- collectivité-préfecture, sont organisées toutes les six semaines. D'abord contraints, les bailleurs perçoivent désormais comme gagnant-gagnant ces évolutions car elles facilitent la bonne tenue de leur patrimoine et la maîtrise des situations difficiles avec les locataires.
Par ailleurs, depuis 2021, Reims a obtenu d'entrer dans l'expérimentation « bataillon de la prévention » sur le quartier Croix Rouge. Une équipe de 13 personnes, six éducateurs, six médiateurs (adultes relais) et un coordinateur, a été validée. Mais seulement neuf recrutements ont été réalisés faute d'attractivité suffisante des postes car il ne s'agit pas de CDI, et les postes d'éducateurs souffrent de la concurrence de la hausse des salaires consentis dans le domaine médico-social après le covid. Le différentiel est de 183 € par mois. Je vous proposerai de le compenser par amendement. Aujourd'hui, le bataillon représente un budget d'un million d'euros porté aux deux tiers par l'État et un tiers par le Grand Reims.
Dans le travail quotidien, l'équipe du bataillon que j'ai rencontrée fait le lien sur le terrain par son travail d'arpentage avec deux autres outils : la cité éducative pour les plus jeunes et la cité de l'emploi pour les plus âgés.
Les coordinateurs des cités de l'emploi et du bataillon sont localisés dans les mêmes bureaux à la limite du QPV facilitant le travail en commun. L'animation de la cité de l'emploi est assurée par une association partenaire qui a pour objectif de développer un « collectif emploi ». Il s'est notamment traduit par la mise en place d'une initiative originale pour « aller vers » les publics éloignés de l'emploi et lever tous les freins au retour au travail. Elle est intitulée « caravane de l'emploi » et consiste à démarcher les demandeurs et proposer directement des postes au pied des immeubles. Cette opération organisée en 2021 et 2022 est encourageante mais, avec 54 postes pourvus, les résultats sont encore modestes. Les difficultés sont en effet profondément enracinées. L'impossibilité, par exemple, de recruter dix maîtres-nageurs pour le centre aqua-ludique de la métropole géré par l'UCPA montre toute l'ampleur de la tâche.
L'autre maillon de l'action dans les quartiers est les cités éducatives qui sont labellisées sur le quartier Croix Rouge depuis 2020 et depuis 2022 sur le quartier d'Orgeval-Walbaum. Ces deux cités sont conçues comme « soeurs » et ont le même coordinateur pour maximiser les effets positifs. Le budget de chaque cité est de 255 000 euros par an auquel s'ajoute le poste de coordinateur pris en charge par la collectivité. Sur Croix Rouge, les effets de la cité sur le taux de réussite au brevet est déjà sensible.
Le Grand Reims a, enfin, la volonté de soutenir véritablement les petites associations. Les conventions pluriannuelles d'objectifs, les CPO, que nous avons appelées de nos voeux dans notre rapport, sont effectivement mises en place. Elles représentent 52 % de l'enveloppe du programme 147 destinée aux associations. Par ailleurs, dans le cadre d'un « fonds d'initiative micro-projets », toute demande d'association peut être instruite rapidement en cours d'année. Lancée en 2021, cette expérimentation a permis de financer sept actions pour 17 000 euros. Ce succès a conduit à accroître l'enveloppe en 2022 pour atteindre 30 000 euros. Pour aller plus loin, il est actuellement envisagé de créer une enveloppe commune interfinanceurs pour faire gagner du temps aux porteurs de projets comme à ceux qui instruisent les demandes. Une pépinière associative est également en réflexion.
Au total, j'ai véritablement trouvé exemplaire la cohérence de la stratégie déployée. J'y ai eu la confirmation du bien fondé de nombreuses propositions que nous avons formulées à l'été sur le partenariat entre État et collectivité, sur la mise en cohérence des outils, sur le soutien aux associations, sur l'enjeu de la pérennité des dispositifs et de leur traduction dans le contrat de ville pour le rendre très opérationnel à la main des acteurs.
Je voudrais achever ce panorama par une réflexion sur la géographie prioritaire, le retour du terrain à Reims comme d'ailleurs l'audition d'Anne-Claire Boux, adjointe au maire de Paris chargée de la politique de la ville, confirment notre volonté d'introduire de la souplesse pour traiter la frontière des quartiers et évoluer dans le temps. Figer des périmètres et exiger la continuité géographique trouvent une limite dans la réalité où les situations bougent et où il faut pouvoir traiter des ilots hors quartier. À Croix Rouge, 12 000 habitants sont stricto sensu en QPV dans un territoire vécu de près de 20 000 habitants.
En conclusion, sur le budget lui-même de la politique de la ville pour 2023, malgré quelques limites en matière de financement de la rénovation urbaine, de l'évaluation et des postes d'adultes relais et d'éducateurs sur lesquels je vous propose des amendements, je relève la constance du Gouvernement dans les politiques menées et les moyens accordées. J'aurai donc un avis favorable sur ce programme qui est une partie de l'ensemble des crédits de la mission cohésion des territoires.
De manière plus prospective, l'année 2023 devant être celle où sera déterminée la nouvelle géographie prioritaire et les nouveaux contrats de ville, je souhaite que notre commission puisse continuer à peser de manière constructive pour que, à l'écoute des élus qui sont à la manoeuvre, on puisse rendre le plus opérationnel possible ses outils afin de permettre la collaboration active entre tous les acteurs : État, collectivités et associations. Je crois que c'est la clef pour obtenir des succès concrets, changer la vie dans ces quartiers et offrir un tremplin à leurs habitants.
Je vous remercie.
La définition de la nouvelle géographie prioritaire est en effet centrale pour traiter ensuite les enjeux de mixité et pour accueillir dans ces quartiers de nouveaux publics et de nouveaux projets.
Je remercie la rapporteure pour ce travail complet, documenté et inspiré d'exemples de terrain. Je voudrais à mon tour insister sur l'importance de l'évaluation de la politique de la ville. Cela ne fonctionne pas de manière satisfaisante aujourd'hui. C'est pourtant essentiel pour lever certaines critiques, même si la politique de la ville ne peut bien évidemment tout résoudre. Aujourd'hui, on navigue à vue. Il nous faut plus d'études de cohortes pour mesurer les effets dans la durée et prendre les bonnes décisions.
Les exemples territoriaux évoqués par les rapporteurs sont très éclairants pour comprendre ce qui marche et les progrès à accomplir. Oui, l'évaluation est essentielle. Elle est demandée dans les territoires mais ne fonctionne pas au niveau de l'État. C'est important pour définir la nouvelle géographie prioritaire. Je voudrais également souligner l'importance de donner des capacités d'investissement aux quartiers hors NPNRU. Aujourd'hui, c'est un peu tout ou rien et ce n'est pas une bonne chose. Il est également important de ne pas précariser les acteurs et les opérateurs. Sans pluriannualité des contrats, il n'est pas possible de recruter des professionnels de bon niveau. Enfin, il est tout à fait normal d'exiger que l'État soit exemplaire dans le financement du NPNRU alors qu'il l'exige des bailleurs sociaux et d'Action Logement actuellement fragilisé et pourtant garant du modèle du logement social français.
Je confirme que l'on renforce les problèmes en finançant systématiquement les actions sous forme de projets de court terme plutôt qu'en s'inscrivant dans la durée en s'appuyant sur des professionnels engagés et qualifiés. En matière d'école, je pense que les Cités éducatives ne suffisent pas pour traiter une question structurelle notamment pour retrouver une réelle mixité scolaire gage de réussite pour tous. Je crois d'ailleurs qu'il serait utile que l'État fasse tous les deux ans un bilan et une évaluation des politiques de droit commun qu'il déploie dans les quartiers car la politique de la ville n'en est que le complément. Enfin, il faut rechercher l'adaptation aux besoins des populations. Combien de fois ai-je vu des planifications de transports complètement décalées par rapport aux bassins d'emploi par exemple !
Je voudrais insister sur le fait que les départements ont besoin de l'aide de l'ANRU notamment pour fusionner des collèges afin de lutter contre la ségrégation scolaire et faire progresser la mixité.
Je propose que nous examinions les trois projets d'amendements de la rapporteure.
L'amendement n° 6 vise à rehausser le financement du NPNRU par l'État.
L'amendement n° 6 est adopté.
L'amendement n° 7 vise à augmenter les moyens en faveurs de l'ONPV pour le relancer.
L'amendement n° 7 est adopté.
L'amendement n° 8 permettra que l'État prenne en charge une prime pour les éducateurs spécialisés recrutés dans le cadre des bataillons de la prévention.
L'amendement n° 8 est adopté.
Nous allons à présent examiner les crédits du compte d'affectation spécial « Participations financières de l'État ».
Madame la Présidente, mes chers collègues, nous examinons ce matin le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » pour 2023, qui doit retracer les décisions de l'État actionnaire, mises en oeuvre par l'Agence des participations de l'État.
Je vous proposerai de refuser d'approuver les crédits de ce compte, pour trois raisons principales. D'une part, le fait qu'en dépit d'annonces qui allaient dans le bon sens, le Gouvernement n'a toujours pas fait le choix d'opter pour un État stratège, capable de soutenir résolument la souveraineté économique de la France. D'autre part, et de façon plus formelle, car le compte reste durablement éloigné de ses objectifs initiaux, puisqu'il est devenu principalement un simple instrument comptable, et non plus le levier qui permet à l'État de piloter stratégiquement son portefeuille. Enfin, car il se cache dans ce compte un tour de « passe-passe » budgétaire qui permet d'afficher un désendettement de l'État alors, qu'en réalité, il n'en est rien.
Avant d'entrer dans le détail, quelques éléments de présentation des grandes masses financières du compte et de valorisation du portefeuille côté de l'État.
La valeur du portefeuille côté de l'État actionnaire atteignait 72 milliards d'euros au 31 août 2022 (je rappelle que l'État ne détient toutefois pas que des entreprises cotées). D'après le Gouvernement, cette valorisation est supérieure de 54 % à ce qu'elle était en mars 2020, au déclenchement de la crise sanitaire, tandis que le CAC40, lui, n'aurait augmenté que de 40 % entre ces deux dates ; ce serait là le signe d'un pilotage particulièrement efficace et avisé du portefeuille. Or le diable se cache dans les détails. En effet, la date du 31 août 2022 permet au Gouvernement de retenir une présentation très avantageuse de la situation, puisque ce faisant elle intègre le surcroît de valorisation dont a bénéficié le portefeuille suite à l'annonce de la nationalisation d'EDF le 4 juillet. Dès le lendemain, l'action EDF a fortement augmenté en bourse, ce qui a mécaniquement fait augmenter la valeur de l'ensemble du portefeuille.
Si on arrête l'analyse juste avant l'annonce de la nationalisation, à fin juin 2022, la réalité est toute autre : le portefeuille sous-performe grandement par rapport au CAC 40. L'APE elle-même, dans son rapport d'activité, fournit un graphique très parlant qui confirme ce constat. En deux mois, la valeur de la participation de l'État dans EDF a augmenté de 9 % ; sans cette annonce de nationalisation, donc, le Gouvernement ne pourrait pas se targuer de sur-performer le marché ...
Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que la guerre en Ukraine a permis une meilleure valorisation en bourse des entreprises du secteur de la défense : c'est donc un épisode conjoncturel, exogène, qui explique la hausse de ces titres, et ce n'est donc pas le résultat d'une stratégie déterminée qui aurait porté ses fruits.
Au-delà de la valorisation, je souhaiterais vous indiquer quelques chiffres clefs de ce compte. Pour 2023, le compte affiche 17 milliards d'euros de recettes et dépenses. Je rappelle, si besoin, qu'il s'agit là de chiffres notionnels, c'est-à-dire qui ne recouvrent pas de réelle réalité, puisque l'État ne peut pas annoncer dans un document public quels sont les achats ou ventes d'actions qu'il entend réaliser l'an prochain... Toujours est-il que les 17 milliards d'euros de recettes proviendraient, selon lui, à 75 % de simples versements du budget général, soit 12 milliards d'euros tout de même ! J'y reviendrai. Concernant les dépenses, 10 milliards d'euros sont prévus pour participer à des augmentations de capital ou dotations en fonds propres, 1,5 milliard d'euros sont prévus pour des achats d'actions, et près de 7 milliards d'euros sont supposés aller au désendettement de l'État. Là encore, j'y reviendrai plus tard.
Sur le fond, il convient de noter que depuis le déclenchement de la crise, l'État actionnaire est exclusivement intervenu en tant qu'État pompier, c'est-à-dire pour sauver des entreprises stratégiques qui étaient en situation de grande fragilité. Ce fut le cas pour la SNCF, pour Air France KLM (deux fois), et pour EDF. L'État n'a quasiment pas réalisé de cession de titres, compte tenu du niveau bas des cours de bourse durant cette période ; il n'a pas pris de participation dans de nouvelles entreprises non plus.
Par ailleurs, il a également souscrit à divers fonds, notamment pour soutenir les sous-traitants d'EDF. Mais dans ce cas, il ne s'agissait pas tant de réagir à l'impact de la crise, que de réparer les choix funestes des deux derniers gouvernements qui ont délaissé le développement de la filière nucléaire ...
J'en viens maintenant aux trois raisons de fonds qui me conduisent à vous proposer de ne pas valider les crédits de ce compte.
Premièrement, la défense de la souveraineté économique française par le Gouvernement est toujours balbutiante. À cet égard, la nationalisation d'EDF ne doit pas nous tromper : elle est l'arbre qui cache une forêt d'atermoiements, de renoncements et d'hésitations ...
Le Gouvernement avait établi une nouvelle doctrine d'intervention en 2017, centrée sur trois types d'entreprises : celles qui contribuent à la souveraineté du pays (comme la défense ou le nucléaire), celles qui participent à des missions de service public, et celles en difficulté dont la disparition entraînerait un risque systémique. Or nous avons toujours dit que cette doctrine était trop floue et ne garantissait pas, en l'état, la sauvegarde de la souveraineté économique française. L'enchaînement de crises depuis 2020 a mis sur le devant de la scène nombre de produits, entreprises ou filières qui sont stratégiques pour notre pays et qui, pour autant, ne rentrent pas dans les catégories que je viens de mentionner. Même l'APE, pourtant bras armé du Gouvernement en la matière, a confirmé notre vision et a concédé que la définition retenue de la souveraineté était trop restrictive.
C'est donc avec satisfaction que, l'an dernier, nous avons accueilli les propos du Commissaire aux participations de l'État, qui témoignaient d'une prise de conscience bienvenue. Il indiquait en effet que désormais, l'État actionnaire devra davantage, je cite, « prendre en compte la souveraineté économique ». Et cette année encore, le ministre de l'économie a déclaré, je cite à nouveau, que les décisions de l'État « sont fondées sur des logiques de souveraineté économique et de consolidation de filières au-delà des seuls enjeux patrimoniaux et de rentabilité, contrairement aux investisseurs privés ». C'est-à-dire exactement ce que nous martelons dans cette commission depuis des années, et plus récemment encore dans le rapport de notre Présidente Sophie Primas et de nos collègues Franck Montaugé et Amelle Gacquerre !
Je crains, hélas, qu'il ne faille encore attendre la traduction concrète de ces déclarations... D'une part, le Commissaire aux participations de l'État, lorsqu'il précise que la crise amène l'État à amender sa stratégie d'intervention, ajoute immédiatement que c'est « du moins pour un moment ». Or il n'est pas normal que la défense de la souveraineté économique du pays ne soit envisagée qu'à titre temporaire : elle doit au contraire être un axe transversal, permanent, la boussole principale de l'action du Gouvernement ! Ce n'est pas un effet de mode, mais une nécessité constante. D'autre part, on peine à trouver des exemples de mises en oeuvre de ce soudain regain d'intérêt pour la souveraineté économique. Et pour cause : presque trois ans après le déclenchement de la crise, plus d'un an après les propos que je viens de mentionner, la feuille de route proposée par l'APE au ministre au sujet de la nouvelle doctrine stratégique n'a toujours pas été validée ! Je ne peux que regretter cette situation, qui témoigne à tout le moins d'une priorisation regrettable des sujets ...
Je souhaiterais maintenant dire un mot de la nationalisation d'EDF. Nous n'en savons pas beaucoup plus que ce que nous avons pu lire dans la presse. Le Gouvernement considère, à juste titre, que les investissements à réaliser à l'avenir sont incompatibles avec les attentes financières des actionnaires minoritaires. Mais au-delà de cette justification, les informations utiles sont assez rares, en dépit du montant important de l'opération : près de 10 milliards d'euros. Par ailleurs, la nationalisation ne règle pas toutes les questions. Par exemple, comment régler la dette de près de 60 milliards d'euros d'EDF ? Comment sera financée la relance du nucléaire ? Quid des contentieux relatifs aux concessions hydrauliques, qui ne sont toujours pas terminés ?
La deuxième raison pour laquelle je vous propose de ne pas adopter les crédits réside dans le fait que ce compte s'est durablement éloigné de ses objectifs initiaux. Comme il n'y a plus de cession de titres depuis trois ans, les seules recettes du compte sont des crédits du budget général que le Gouvernement injecte au fur et à mesure de l'année dans ce compte. Or si ce compte d'affectation spéciale a été créé, c'est pour une bonne raison : à savoir, mettre en relation des recettes et des dépenses qui sont de même nature. En l'occurrence, les recettes issues de la vente d'actions, et les dépenses servant à l'achat d'actions. Ce principe n'est absolument plus respecté depuis des années : le compte ne sert plus du tout à piloter la « respiration » du portefeuille de l'État, il est devenu une simple pompe à injection, une courroie de transmission entre le budget général et, bien souvent, les programmes d'investissement d'avenir.
En outre, à force de ne générer aucune ressource propre, le solde du compte s'est dégradé : il est passé de 3,7 milliards d'euros en 2017 à 900 millions en 2022. Pour le dire autrement, cela signifie que si l'État doit intervenir d'urgence dans une entreprise, il ne pourra pas le faire grâce à son travail de gestionnaire de portefeuille ; il devra le faire, encore et encore, en puisant dans le budget général.
Par ailleurs, le constat que notre commission établit depuis des années se renforce encore : le portefeuille est extrêmement concentré autour des seules valeurs de l'énergie et de la défense... Et ce, encore plus maintenant que la valeur d'EDF a augmenté en prévision de la nationalisation ... Ce qui pose un problème majeur : que vendre, en cas de besoin de liquidités pour sauver une entreprise ? Où sont les marges de manoeuvre ? Visiblement, nulle part, puisque le portefeuille repose toujours davantage sur des fleurons qui ne peuvent être vendus.
J'en viens maintenant à la troisième raison du refus, qui concerne le désendettement de l'État. Il est prévu dans ce PLF que parmi les 17 milliards d'euros de dépenses, près de 7 milliards soient consacrés au remboursement de la dette Covid. Car l'un des objectifs du compte est, effectivement, de céder des titres pour participer à la bonne gestion des finances publiques. Or, cette année comme depuis trois ans, il n'y a aucune cession de titres qui n'est prévue... et pourtant sont bien affichés 7 milliards d'euros de désendettement ! Quand on creuse, on se rend compte de l'effet d'affichage : le remboursement de la dette proviendra en réalité ... d'un simple versement du budget général. Le tour de passe-passe est vertigineux : on déshabille l'un pour habiller l'autre. On prend 7 milliards dans le budget, on les met dans le compte qui nous intéresse, et on les verse au désendettement. Autrement dit, il n'y a absolument aucun effort structurel qui est fait pour assainir les finances publiques ; on ne rembourse pas la dette par des économies, mais en continuant de creuser le budget général ! Tout ça pour « afficher » simplement un effort de désendettement, mais qui n'en a que le nom, car cela revient en fait à s'endetter pour se désendetter ...
Et pour finir, une bonne nouvelle : le Fonds pour l'innovation et l'industrie a enfin été supprimé, conformément à ce que nous demandions depuis 2019. Ce fonds, pour mémoire, était censé être alimenté par les sommes issues des cessions d'ADP et de la FDJ, qui étaient ensuite investies dans des bons du Trésor supposés porter intérêt à 2,5 %. Depuis le début, nous avons critiqué le fait que le financement de l'innovation n'était absolument pas pérennisé par un tel fonds et nous avons dénoncé le fait qu'il n'apportait rien par rapport à une dotation budgétaire classique, si ce n'est qu'il permettait au Gouvernement de contourner le Parlement ! Nous avons finalement été entendus, et le fonds sera supprimé d'ici 2023.
Voilà, mes chers collègues, les trois raisons principales pour lesquelles je vous propose que nous rejetions les crédits de ce compte.
Bien entendu, nous sommes d'accord avec la rapporteure : il ne faut pas adopter ces crédits. Je souhaiterais par ailleurs apporter quelques remarques complémentaires.
Premièrement, s'il n'y a pas, ou peu, de recette sur ce compte, c'est en raison des politiques conduites depuis plusieurs années. À force d'avoir privatisé, d'avoir cédé le capital de grandes entreprises, dont on découvre après coup qu'elles étaient stratégiques, nous nous sommes privés de ressources qui pourraient être réinvesties dans des secteurs qui en ont besoin.
Deuxièmement, s'il y a bien un endroit où il ne faut pas chercher les moyens du désendettement, c'est dans le capital des entreprises publiques, qui permet leur investissement industriel. C'est un enjeu contemporain majeur. Les sommes dont nous parlons là représenteraient un sérieux handicap pour le développement de l'industrie.
Troisièmement, je me félicite, moi aussi, de la suppression du Fonds pour l'innovation et l'industrie, qui reposait sur un raisonnement bidon, à savoir que ce serait la vente d'Aéroports de Paris qui permettrait le financement de l'innovation française. Toutefois, l'innovation reste insuffisamment financée, de même que la recherche. Le discours selon lequel il n'y aurait jamais eu autant d'argent pour la recherche en France est erroné, preuve en est le déclin de ce secteur.
Nous avons besoin d'un capital public, stable dans certains secteurs et mobile dans d'autres. À cet égard, j'avais posé une question d'actualité au Gouvernement relative au groupe Exxelia, qui travaille notamment dans le secteur de la défense, et qui a été vendu aux Américains faute d'acteur français souhaitant recapitaliser l'entreprise : c'est précisément un exemple où l'État aurait dû entrer à son capital temporairement, le temps de trouver des acteurs stables permettant son développement.
Nous voterons donc contre les crédits de ce compte, qui est un trompe-l'oeil. Je trouve désolant, du reste, le discours ambiant selon lequel tout irait bien, alors que les échanges extérieurs hors-énergie sont en chute libre et que des entreprises importantes disparaissent. Je n'ai par ailleurs toujours pas compris la stratégie du Gouvernement d'accompagnement des entreprises qui cessent leur activité en raison du prix de l'énergie. Par exemple, dans la verrerie, nous allons au-devant de problèmes immenses. Si une stratégie est mise en oeuvre, il me semble que le citoyen et le Parlement devraient en être correctement informés.
Je partage l'analyse qui vient d'être développée. Si nous avons des entreprises publiques, ce n'est pas pour les gérer comme le ferait le secteur privé, car ils ne peuvent avoir exactement la même finalité. Sur certaines questions stratégiques, nous voyons bien qu'il faut une intervention de l'État : nous militons par exemple pour la création d'un pôle public du médicament. La majorité sénatoriale s'y oppose, mais les dysfonctionnements dans ce secteur sont aujourd'hui flagrants. Sanofi n'a pas été en mesure de produire un vaccin dans les temps, les brevets n'ont pas été levés, et désormais des doses sont détruites car nous serions en surcapacité.
De même, la situation dans le secteur énergétique illustre bien le fait que le privé ne peut pas tout organiser. EDF est le grand sujet de l'année prochaine, et je considère que nous ne pouvons pas avoir une telle étatisation du groupe sans débat parlementaire. En rejetant les crédits de ce compte, nous voulons aussi rappeler au Gouvernement la nécessité d'avoir un tel débat sur la stratégie d'EDF. Ce n'est pas possible d'avoir une nationalisation de cette ampleur via un simple amendement au milieu de l'été, sans discussion sur ce que nous voulons faire de cet outil. Nous n'avons encore que peu d'éléments, mais il semblerait que l'étatisation d'EDF serve, in fine, à filialiser et privatiser certaines de ses activités. Le débat doit concerner le Parlement, mais aussi les usagers et les syndicats du groupe.
Je remercie la rapporteure pour ce travail, et pour son positionnement. Le sujet énergétique est stratégique pour notre pays, et il concerne tant le niveau national que le niveau européen. Nous avons réclamé plusieurs fois un débat sur ce thème, qui lui apporterait un surcroît de légitimité. Il faut continuer à le demander - et à demander un débat plus vaste que le seul sujet d'EDF.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (sous réserve de son dépôt) et désigne M. Laurent Duplomb rapporteur pour avis.
Il nous revient enfin de désigner un rapporteur sur le futur projet de loi pour la construction de nouvelles installations nucléaires, qui a été renvoyé au fond à notre commission. Le calendrier reste encore à confirmer à ce stade, mais dans l'hypothèse où le Sénat serait saisi en premier lieu du projet de loi, nous pourrions être amenés à examiner ce texte d'une dizaine d'articles en tout début d'année prochaine, à la reprise de nos travaux au mois de janvier.
Je vous propose de désigner notre collègue M. Daniel Gremillet rapporteur sur ce projet de loi.
Je vous remercie.