Intervention de Franck Montaugé

Commission des affaires économiques — Réunion du 16 novembre 2022 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé, rapporteur pour avis :

Mes chers collègues, j'ai une nouvelle fois le plaisir de vous présenter mon rapport pour avis sur les crédits relatifs à l'industrie au sein de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2023.

Le constat préalable est le même que l'an dernier : à peu de choses près, les crédits de la mission « Économie » ne reflètent pas les moyens consacrés à la politique industrielle de notre pays. En effet, ses crédits représentent bien peu comparés aux montants colossaux des dispositifs du plan de relance, des PIA successifs ou de « France 2030 ». Ils ne sont donc pas représentatifs de l'ensemble des leviers mobilisés par l'État en faveur de l'industrie.

À cet état de fait, une ligne fait encore exception, bien qu'importante. La mission « Économie » continue de porter directement l'une des aides à l'industrie les plus importantes : la « compensation carbone » des entreprises électro-intensives. Cette compensation est essentielle à la compétitivité de filières qui sont au coeur de notre souveraineté industrielle : la production d'énergie, les matières premières du secteur du bâtiment, de la métallurgie, de la chimie... En effet, elle compense financièrement les fuites de carbone et elle contribue à rééquilibrer la compétitivité de nos entreprises face à leurs concurrents asiatiques ou américains : elle doit donc être sanctuarisée.

Toutefois, je signale cette année encore que son impact budgétaire va croissant. Avec la hausse des prix de l'énergie, ce sont pour 2023 près de 856 millions d'euros qui sont budgétés, soit environ 40 % des autorisations d'engagement et des crédits de paiement du programme 134, et plus de 80 % de l'action « Industrie et services ». C'est un effort budgétaire très significatif (plus de 1,1 milliard d'euros attendus en 2024 !), auquel il n'existe aujourd'hui pas d'alternative réelle.

Et pourtant, la question fondamentale que nous posent ces filières, qui résonnent dans l'ensemble de l'industrie, est celle de l'urgence de l'investissement technologique et matériel dans leur décarbonation, dans un cadre concurrentiel déséquilibré entre l'Europe et le reste du monde. Le Gouvernement français, dans le cadre européen, est-il au rendez-vous de la nécessaire sortie du thermo-fossile, qui conditionnera la compétitivité de demain et la durabilité de l'économie ? Rien n'est moins sûr à l'analyse du budget proposé pour 2023, et au regard des précédents. Et si l'on ne sort pas résolument, en y mettant les moyens, du dilemme permanent entre compétitivité et progrès environnemental dans lequel nous sommes aujourd'hui enfermés, la performance de nos entreprises, grandes et petites, s'affaissera et les délocalisations s'enchaîneront. Prenons garde de ne pas revivre, dans un autre contexte et pour des motifs différents, les plans de restructuration de la sidérurgie ou des charbonnages des années 1980 !

Mis à part cette compensation carbone, donc, il n'existe pratiquement plus aucun dispositif spécifique à l'industrie au sein des crédits de la mission « Économie ». Cela s'explique à la fois comme je l'ai dit par la « débudgétisation » au profit d'autres sources de financement, mais surtout par le désengagement progressif de l'État de ces types d'aides centralisées.

Nous avions connu deux années « extraordinaires » à cet égard (2021 et 2022), puisque les moyens très conséquents et les aides directes du plan de relance avaient marqué un certain retour de l'État dans la politique industrielle (avec des appels à projets pour la relocalisation, la décarbonation, la robotisation...). La Direction générale des entreprises (DGE), financée par le budget de la mission « Économie », a eu à gérer au cours des trois années passées un volume de crédits inédit au cours de la dernière décennie : 6,2 milliards d'euros d'aides dans le plan de relance, soit une multiplication par 6 des aides pilotées par la DGE par rapport à 2019 ! Cela explique le niveau élevé des crédits de fonctionnement de la DGE, qui restera en 2023 près de deux fois supérieur à son niveau de début 2021.

Mais la pandémie est derrière nous et le « quoi qu'il en coûte » devrait avoir vécu : les crédits exceptionnels du plan de relance arrivent en fin de course en 2023. Hors aides énergétiques, c'est un budget de retour à la normale qui nous est présenté pour 2023. L'augmentation de 34 % de crédits du programme 134 est en quasi-totalité expliquée par la hausse « mécanique » de la compensation carbone, et par l'ajustement à l'inflation.

Ce budget de retour à la normale n'a toutefois, selon moi, pas complètement tiré les leçons des années que nous venons de vivre.

D'abord, il nous avait été promis, au coeur de la crise, un renouveau des politiques industrielles et l'accélération des transitions. Pour autant, le projet de loi de fiances ne prévoit aucun dispositif généraliste de soutien à l'investissement industriel qui puisse prendre le relais de ceux mis en oeuvre lors de la relance et qui ont connu un grand succès. Par exemple, le suramortissement au profit de la modernisation de l'outil industriel n'est pas reconduit, ni le guichet d'aides au profit de la décarbonation. On nous renvoie pour cela aux dispositifs de France 2030, qui reviennent toutefois à une logique d'appels à projets que l'on sait souvent peu accessibles aux PME et ETI. Et ce alors que les entreprises nous ont alertés sur le fait que l'inflation et la concurrence internationale accrue vont peser fortement sur leurs coûts d'investissement.

Il nous avait aussi été promis une plus grande résilience de nos chaînes d'approvisionnement et de notre tissu industriel. Pourtant, les recommandations formulées par notre commission dans le cadre de notre rapport Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique n'ont pas à ce stade été suivies d'effet. Je vous soumettrai donc un amendement par lequel je propose de consacrer 12,5 millions d'euros à la réalisation d'une cartographie détaillée de l'approvisionnement de l'industrie française et de ses vulnérabilités, sous l'égide du Conseil national de l'industrie et des filières industrielles. C'est, selon nous, indispensable si l'on souhaite mettre en oeuvre une politique de réindustrialisation ciblée, dans le cadre d'une stratégie industrielle adaptée aux enjeux de notre temps, sur fond d'ardente obligation écologique.

Plus encore peut-être, l'enjeu pour nous est de comprendre et de maîtriser les nouvelles configurations qui redéfinissent en profondeur l'industrie. Le temps d'une « nouvelle industrie » est venu ! Ne passons pas à côté comme ce fut le cas avec le numérique ! L'État doit faciliter l'émergence de nouveaux paradigmes et la France doit être dans le peloton de tête en Europe. D'ailleurs, notre dispositif de formation devra être à la hauteur de cet enjeu : nombre de chef d'entreprises rencontrés nous ont dit leur inquiétude sur les compétences, en particulier les compétences de base !

Autre sujet de préoccupation en matière de facteurs de compétitivité industrielle, l'énergie et son coût, qui remettent directement en cause notre capacité à produire en France et en Europe. Prévoir bouclier tarifaire après bouclier tarifaire - comme l'a fait le Gouvernement à l'Assemblée nationale via un amendement à la mission « Économie » de 4 milliards d'euros pour soutenir les électro-intensives - ne peut être une réponse durable : il faut que le Gouvernement contribue à la réforme structurelle du marché européen de l'énergie. Certaines des entreprises entendues nous ont fait remarquer, à juste titre, que l'électricité ne peut être considérée comme un produit marchand banal.

Troisièmement, la politique industrielle reste bien trop concentrée au plan territorial. Plus de 40 % des aides à l'innovation, par exemple, sont fléchées sur seulement 5 départements français. Les appels à projets sont encore trop élitistes pour permettre à l'ensemble du tissu industriel de pouvoir y prétendre.

À cet égard, il faut saluer la prolongation jusqu'à 2026 du programme « Territoires d'industrie », seul exemple de politique industrielle « territorialisée », mais celle-ci ne s'est pas accompagnée de nouveaux moyens. Pourtant, les binômes élus locaux et industriels mis en place dans le cadre de ce programme, et les services de l'État en charge, ont effectué un travail de qualité pour mettre en oeuvre le volet territorial du plan de relance entre 2021 et 2023. Avec les projets industriels qui émergent en nombre dans la période actuelle, et avec la création de nouveaux « Territoires d'industrie », il me paraît très important de renforcer cet outil de politique industrielle « horizontale », fondé sur une approche par projet et par territoire. D'autant que les moyens des collectivités, nous le savons, sont de plus en plus contraints et qu'elles ne pourront assumer seules ces missions. Un exemple parlant : l'avenir du programme « Sites industriels clefs en main », qui vise à aider les collectivités à mobiliser du foncier économique à destination de l'industrie, n'est pas garanti ni financé. Pourtant, à l'heure de la mise en oeuvre du « ZAN », ce type d'accompagnement me semble plus important que jamais...

Le second amendement que je vous soumets vise donc à garantir au programme « Territoires d'industrie » un financement budgétaire pérenne. Il propose ainsi de créer une ligne budgétaire dédiée au sein de l'action « Industrie et services », dotée de 100 millions d'euros sur quatre ans, afin de prendre le relais des dispositifs pertinents financés par le plan de relance qui gagneraient à être reconduits. Cela me paraît essentiel pour éviter de revenir trop vite à une logique d'appels d'offres nationaux, qui ne bénéficieront pas aux nombreux projets industriels locaux qui ne rentrent pas dans les « cases ». Ces nouveaux moyens budgétaires permettront aussi d'inclure dans le champ du programme les intercommunalités qui souhaiteraient encore le rejoindre.

Pour ces crédits, il me semble qu'il faudra fixer trois priorités d'action afin de soutenir les intercommunalités dans leur action en faveur de l'industrie : d'abord, le soutien en matière d'ingénierie des collectivités ; ensuite, l'accompagnement décentralisé des entreprises en difficulté ; et enfin la mobilisation et la requalification du foncier économique.

Enfin, et j'insiste sur ce point qui me paraît très important, il ne faut pas relâcher nos efforts d'accompagnement des entreprises industrielles au-delà de la crise qui semble être derrière nous.

D'une part, parce que notre industrie a des cartes à jouer dans cette période charnière. Réindustrialiser notre économie, pas uniquement sur nos secteurs traditionnels, mais aussi sur de nouveaux créneaux porteurs, peut faire émerger de nouveaux champions français et européens, capables d'exporter leurs productions innovantes, et profitant de la réorganisation des chaînes de valeur. D'autre part, parce que de nombreuses entreprises n'ont pas encore réellement pu tourner la page des chocs économiques des derniers mois et restaurer des marges viables. Certaines vont avoir des difficultés à rembourser leurs prêts garantis par l'État, contractés durant la crise liée à la pandémie de Covid-19. Dans des secteurs comme l'automobile, les mutations structurelles s'accélèrent, en plaçant certains fournisseurs en difficulté. Il faut donc accompagner la diversification vers d'autres marchés, mais aussi prévoir les moyens nécessaires à l'accompagnement des entreprises en difficulté. Là aussi, le programme « Territoires d'industrie » joue un rôle de premier plan, mais sans être garanti de disposer des moyens budgétaires correspondants... Dans sa hâte d'un retour à la normale, le Gouvernement devra mieux cibler et calibrer l'accompagnement des entreprises.

Je vous proposerai donc, dans un troisième amendement, de renforcer les moyens de Business France. Le précédent contrat d'objectifs et de moyens avait acté une baisse du financement de l'agence, qui a ensuite dû être compensée par des financements exceptionnels dans le cadre des mesures d'urgence puis du plan de relance. Je l'ai dit, il me semble essentiel d'accentuer l'effort d'internationalisation des entreprises industrielles françaises en cette période charnière. Je propose donc une hausse de 8 millions des crédits consacrés à la subvention pour charge de service public de l'agence (soit environ 4 % de hausse hors inflation), ce qui permettra de définir plus sereinement le cadre du prochain contrat d'objectifs et de moyens de l'agence et d'assurer la continuité de son action.

En conclusion, mon analyse de la mission, pour sa part relative aux crédits dédiés à l'industrie, m'amène à vous proposer un avis favorable sur la mission « Économie », qui porte notamment la nécessaire « compensation carbone » et le soutien exceptionnel aux entreprises électro-intensives dans la crise énergétique que nous traversons. Mais je conditionne toutefois cet avis favorable à l'adoption des trois amendements que je vous ai présentés aujourd'hui, afin de donner à ce budget une portée plus structurelle, plus territoriale et plus adaptée aux enjeux vitaux d'avenir, même si sur ce dernier point l'essentiel est à faire.

J'ajoute, car je ne les ai pas mentionnés plus haut, que les pôles de compétitivité me paraissent aussi être une modalité très intéressante de politique industrielle territorialisée et horizontale, dont il convient de préserver le financement, porté par la mission « Économie ».

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