Intervention de Bernard Jomier

Réunion du 28 novembre 2022 à 10h00
Loi de finances pour 2023 — Travail et emploi

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le budget de la mission « Travail et emploi » pour 2023 s’élève à 20, 9 milliards d’euros.

Si la progression de ce budget par rapport à 2022 semble importante, il convient de la relativiser.

D’une part, ces chiffres sont le résultat d’une plus grande compensation des exonérations de cotisations sociales, lesquelles représentent à présent un quart des crédits de la mission.

D’autre part, cette hausse affichée des crédits résulte de changements de périmètres, certains dispositifs étant financés l’an prochain par le budget du ministère du travail, après avoir été pris en charge jusqu’à la fin de 2022 par les crédits du plan de relance.

Au final, à bien y regarder, l’exercice 2023 débutera avec un niveau de crédits proche de celui de l’an dernier, et l’avenir n’est pas franchement rieur, puisque le Gouvernement a déjà acté une baisse importante du budget de la mission pour 2024 et 2025.

Il ne s’agit évidemment pas de nier que le taux de chômage s’élevait à 7, 4 % à la fin du deuxième trimestre. Mais nous voulons rappeler que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) prévoit une remontée du nombre de demandeurs d’emploi en 2023 et en 2024. Nous gardons surtout à l’esprit que nos concitoyens les plus éloignés du marché du travail sont ceux pour qui les freins préalables au retour à l’emploi sont les plus nombreux. Il est donc indispensable que les politiques publiques soient adaptées pour mieux prendre en charge ceux pour qui les obstacles semblent parfois insurmontables.

Il y aurait beaucoup à dire sur notre marché du travail. Tout d’abord parce que nous avons eu la confirmation, la semaine dernière, dans le rapport annuel de Proxinvest, que les rémunérations des dirigeants des 120 plus grandes sociétés cotées ont augmenté en moyenne de 22 % par rapport à 2019, portant la rémunération moyenne à 4, 5 millions d’euros, record historique depuis quinze ans.

Quasiment le même jour, vous nous présentiez, monsieur le ministre du travail, les nouvelles règles de l’assurance chômage, de nouveau en défaveur des plus fragiles et des seniors.

Je rappelle tout de même que seuls 55 % des 55-64 ans travaillent dans notre pays, et que ce taux d’emploi reste de six points inférieur à la moyenne des pays européens.

Malgré ces constats largement partagés, le Gouvernement a choisi de réduire de 25 % la durée d’indemnisation pour tous les salariés en fin d’indemnisation nouvellement inscrits à Pôle emploi à compter du 1er février prochain. De 3 à 4 milliards d’euros d’économies seront ainsi réalisés au détriment des salariés et des chômeurs, ce qui n’est pas acceptable selon nous.

L’idée selon laquelle une baisse des droits des demandeurs d’emploi améliorerait leur entrée sur le marché du travail est un leurre. Les difficultés de recrutement actuelles viennent d’abord d’un déficit de compétences au regard des besoins des entreprises et des conditions de travail proposées. Nous ne pouvons l’ignorer.

Nous ne souscrivons pas à l’idée selon laquelle il faudrait donner toujours moins aux allocataires indemnisés par l’assurance chômage et affaiblir encore davantage le service public de l’emploi.

La réalité, aujourd’hui, c’est qu’il est toujours plus difficile d’obtenir un rendez-vous avec un conseiller Pôle emploi. Les délais sont d’autant plus importants que les horaires d’accueil sont réduits. On demande aux allocataires de se débrouiller seuls face à leur ordinateur, en somme de faire leurs démarches en ligne, ce qui occasionne de réelles difficultés pour nombre d’entre eux, car rien ne remplace un accueil physique par un professionnel formé et à l’écoute ! Le résultat, c’est qu’il n’y a jamais eu autant de contestations pour cause d’erreurs dans le calcul des indemnités notamment. Il n’y a jamais eu autant de conseillers agressés verbalement – ou pire –, tant les tensions sont importantes. Nous doutons que les choses aillent mieux avec la nouvelle réforme, qui va encore apporter de la complexité et accroître les incompréhensions.

J’entends le Gouvernement nous expliquer qu’il faudrait faire des économies… Nous lui répondons qu’un budget est constitué de dépenses, mais aussi de recettes, et que les choix opérés aujourd’hui sont avant tout politiques.

Depuis l’ouverture des débats sur le PLF, et auparavant sur le PLFSS, notre groupe a formulé de nombreuses propositions en matière de recettes. Malheureusement, le Gouvernement les rejette toutes.

Au final, qui sera impacté ? Toujours les mêmes, les plus fragiles, ceux qui subissent les contrats précaires et les périodes d’inactivité.

Je l’ai déjà mentionné : un quart des crédits de la mission se résument à des compensations d’exonérations de cotisations sociales. Nous pensons que leur impact mériterait d’être mieux évalué, d’autant que ces politiques s’inscrivent dans la durée. Ce désarmement fiscal n’est pas sans conséquence ; il coûte très cher, soit à la sécurité sociale, soit au budget de l’État…

S’agissant de l’insertion par l’activité économique, qui apporte une contribution réelle à l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi, nous ferons des propositions. Si ce secteur a bénéficié d’un soutien au cours des dernières années, et qu’il emploie aujourd’hui près de 150 000 salariés, nous ne pouvons passer outre l’inquiétude des parties prenantes.

En raison de la hausse du Smic, sur lequel les rémunérations des bénéficiaires de l’IAE sont indexées, on peut craindre qu’à enveloppe constante, le nombre de postes finançables soit moindre, ce qui remettrait en cause l’élan constaté. Le secteur regroupe par ailleurs des structures de statuts différents – entreprises intermédiaires, associations intermédiaires, ateliers et chantiers d’insertion – présentant de forts écarts en matière d’aides au poste. Les acteurs de l’IAE soulignent un certain manque de visibilité pour 2023 dû aux incertitudes sur la répartition territoriale de l’enveloppe entre les différents types de structures, alors même que le coût des contrats sera plus élevé qu’en 2022.

Concernant France Compétences, je rappelle que la commission des affaires sociales a adopté, au mois de juin dernier, un rapport très complet, intitulé France Compétences face à une crise de croissance, dont Corinne Féret était corapporteure aux côtés de Frédérique Puissat et de Martin Lévrier. Nos collègues avaient formulé quarante propositions pour une meilleure régulation, tant du CPF que de l’apprentissage.

Là encore, personne ne peut ignorer que, dès 2020, France Compétences s’est trouvée dans une situation financière très déséquilibrée, occasionnant un important déficit. Celui-ci a des causes structurelles, dont les conséquences auraient dû être mieux anticipées. En pratique, les deux principaux dispositifs financés par France Compétences, l’apprentissage et le CPF, constituent des enveloppes ouvertes.

Ainsi, le nombre de places en centres de formation d’apprentis (CFA) n’est plus contingenté, chaque contrat d’apprentissage ouvrant droit à une prise en charge sur les fonds de France Compétences. Quant aux droits à la formation professionnelle, désormais monétisés, ils peuvent être directement mobilisés par les titulaires du CPF, avec tous les excès dont nous discuterons prochainement, dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi.

Pour faire face, des subventions au titre du soutien à la trésorerie de France Compétences sont inscrites au budget pour 2023. Nous avions déjà, cet été, lors du vote de la loi de finances rectificative pour 2022, acté un soutien à cette instance, encore renforcé ce mois-ci par une nouvelle subvention de l’État à hauteur de 2 milliards d’euros.

Globalement, rien ne pourra se faire sans une plus grande responsabilisation et mobilisation des acteurs de la formation professionnelle et de l’apprentissage, ce qui passe par un dialogue renforcé avec les branches professionnelles et les partenaires sociaux. Il n’appartient ni au Parlement ni au pouvoir réglementaire de se substituer à ces derniers et de faire passer en force les réformes, aussi nécessaires soient-elles.

Je terminerai en soulignant que l’examen de cette mission intervient dans un contexte de préfiguration, encore très floue, de la réforme du service public du travail, avec la création de France Travail, censée devenir le pendant de France Compétences. Compte tenu de la situation de cette instance de gouvernance nationale, nous émettons des craintes et réaffirmons notre souhait d’une meilleure coordination des acteurs de l’emploi sur le terrain, pour mieux identifier les personnes nécessitant un accompagnement, mieux orienter, mieux partager les données et assurer un meilleur suivi.

Vous vous en doutez, mes chers collègues, dans la mesure où ce budget acte une réduction des dépenses du programme 102, dans la mesure où le compte n’y est pas davantage pour la jeunesse, notre groupe, plus que jamais opposé à toutes les coupes budgétaires et à tous ces dispositifs et contrats dont vous vantez les mérites – vous les dites fondés sur « des droits et des devoirs » alors qu’ils procèdent d’une volonté unilatérale de l’État –, n’approuvera pas les crédits de cette mission.

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