Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Muriel Jourda de son rapport pour avis.
Comme Mme Assassi, je regrette que la position de la commission des finances ne nous ait pas été donnée. Comme le dirait l’Ecclésiaste, que vous devez connaître, monsieur le rapporteur spécial, il y a un temps pour tout : un temps pour les discours et un temps pour être rapporteur spécial. L’éclairage de la commission des finances manque à ceux qui n’en sont pas membres. §Heureusement que nous disposons du rapport écrit.
Monsieur le ministre, je commencerai par vous interpeller sur la disparition du fichier Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (Agdref) et son remplacement par l’Administration numérique pour les étrangers en France (Anef), pour un budget d’environ 28 millions d’euros. Les rapporteurs pour avis de la commission des lois se sont à juste titre interrogés sur ce projet dans leur rapport sur les crédits de cette mission.
Pour avoir vécu Louvois et la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), je dois dire qu’une telle disparition m’intrigue et m’inquiète. J’aimerais que vous nous communiquiez quelques renseignements sur ce nouveau système.
Pourrez-vous assurer que les communes, les collectivités ainsi que les organismes de sécurité sociale auront un accès à ce fichier ? Le Gouvernement a récemment rappelé que les personnes faisant l’objet d’une OQTF, qui figureront donc dans ce fichier, ne pourraient plus bénéficier de certaines prestations. Il a fallu attendre une crise récente pour que l’on s’en préoccupe. Pourtant, nous n’avons rien vu à ce propos dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Comment pouvez-vous garantir qu’avec la disparition d’Agdref et la mise en place du nouveau fichier Anef, aucune attribution de numéro d’inscription au répertoire (NIR) n’aura lieu sans vérification des identités ?
Monsieur le ministre, dans cette maison, lorsque nous voulons améliorer un logiciel ou un fichier, nous subissons les fourches caudines de l’article 40 de la Constitution. En effet, en améliorant un dispositif, nous créons une dépense, même si celle-ci est destinée à permettre des économies. Par conséquent, il revient au Gouvernement d’améliorer le dispositif en tenant compte de notre vision.
Ce dispositif et les dispositifs transitoires m’inquiètent. J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez me fournir quelques renseignements sur le sujet.
J’en viens à l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dite Frontex, puisque tout ce dont il est question y est directement lié. Le 30 novembre dernier, le Parlement européen a auditionné trois candidats pour mettre un terme à la période transitoire résultant de la démission de l’ancien directeur de cette agence et à l’intérim de Mme Aija Kalnaja. Nous l’avons entendue dans le cadre d’une audition commune organisée par la commission des affaires européennes et la commission des lois ; le moins que l’on puisse dire est que nous n’avons pas été rassurés !
En effet, l’agence la plus puissante de l’Union européenne est sous pression depuis 2020. Son ancien directeur est accusé de complicité de violation de droits fondamentaux. Une enquête de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) est en cours ; vous le savez mieux que moi, monsieur le ministre. Qui plus est, il faut déplorer les divergences existantes entre les priorités de Frontex au sein des institutions européennes.
Comme pour le budget de cette mission, ce sont les mêmes questions qui se posent : quelle stratégie, quelle volonté, quelle priorité ?
Monsieur le ministre, vous le savez, le trafic d’êtres humains représente 150 milliards de dollars et touche 40 millions de personnes, 25 millions d’entre elles se trouvant en situation de travail forcé. L’étude que j’ai menée dans le cadre de l’ouvrage que j’ai écrit sur le financement du terrorisme atteste que ces trafics procurent entre 5, 5 milliards d’euros et 7 milliards d’euros de revenus par an. Je suis certaine que l’instauration d’une Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains ne répondra pas à cette problématique.
La question de la lutte contre le crime transfrontalier renvoie à la problématique de la gestion des frontières.
Il est urgent que l’agence Frontex puisse obtenir de nouveaux résultats. Entre les mois de janvier et septembre 2022, elle a enregistré une augmentation de 70 % des franchissements irréguliers. Le nombre de franchissements illégaux a progressé de 70 % au sein de l’Union européenne : on dénombre 130 000 franchissements irréguliers par le corridor des Balkans au cours de ces derniers mois.
Depuis le mois d’août dernier, 70 000 franchissements illégaux ont été recensés aux frontières de la Turquie, de la Hongrie et de la Serbie, ce qui est à mettre en rapport avec le très faible nombre de retours.
Monsieur le ministre, nous attendons des mesures européennes. En effet, celles-ci conditionnent un certain nombre de dispositions du droit national. Or ni l’Union européenne ni le gouvernement français ne semblent décidés à avoir une stratégie volontaire sur cette question, qui est un irritant permanent partout dans notre pays, y compris dans des départements où il y a très peu d’immigration.
Il s’agit donc là d’un sujet majeur, sur lequel, comme l’a souligné Mme le rapporteur pour avis, nous avons du mal à identifier une stratégie. Pourtant, il nous faut régler ce problème, qui est non seulement légal, mais aussi humain. Je ne crois pas que nous soyons en mesure de le faire avec ce budget. C’est pourquoi notre groupe ne le votera pas.