Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui nous est aujourd’hui soumis en deuxième lecture prévoit d’introduire dans la Constitution une série de dispositions qui sont de nature à modifier en profondeur la gouvernance de nos finances publiques.
Plus exactement, ce texte vise à consacrer la fameuse « règle d’or » budgétaire chère à plusieurs membres éminents de notre assemblée : celle-ci consiste à inscrire dans la loi fondamentale, notre Constitution, le principe du retour à l’équilibre des comptes publics.
Il est envisagé de résoudre le problème des déficits par un encadrement plus strict, voire plus coercitif, des pouvoirs du Parlement dans les domaines budgétaire et fiscal, ainsi que pour ce qui a trait au financement de la sécurité sociale.
Le présent projet de loi constitutionnelle représente au même moment une forme de remise en cause des principes essentiels de la démocratie représentative.
En premier lieu, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, il modifie substantiellement l’article 34 de la Constitution en prévoyant que les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale pourront seules fixer les règles « concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». Il prévoit encore que les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les principes fondamentaux concernant les autres ressources de la sécurité sociale.
En d’autres termes, le projet de loi constitutionnelle tend à restreindre aux seuls textes énumérés dans son article 1er l’usage de leur pouvoir d’amendement par les parlementaires. Or le cas se présentera au plus deux ou trois fois par an, en fonction d’un calendrier fixé par le Gouvernement.
Ainsi, le projet de loi constitutionnelle instituerait de facto une forme de tutelle sur la représentation nationale, alors que la réforme constitutionnelle de 2008 avait permis au Parlement de mettre en place des semaines dites d’« initiative parlementaire ».
Ces « niches » réservées au dépôt et à l’examen de propositions de loi sont l’occasion, pour chaque groupe, de faire preuve d’initiative, d’innovation et de créativité dans tous les domaines, sans exclusive. Le présent projet de loi ne nous privera-t-il pas de débats qui sont l’essence même de la démocratie ?
La souveraineté du peuple s’exerce par l’intermédiaire de ses représentants ; il est permis de se demander si le présent projet de loi, en restreignant le droit d’initiative parlementaire, ne lui porte pas directement atteinte.
On nous reproche régulièrement d’être une chambre d’enregistrement de normes communautaires à propos desquelles nous n’aurions pas notre mot à dire – ou si peu. Aujourd’hui, c’est le rôle du Parlement et sa capacité à « contre-proposer » qui sont en question.
Depuis 1958, l’article 40 de la Constitution nous interdit de déposer un amendement qui diminue les recettes de l’État ou augmente ses charges. Or, quoique cet article ait été appliqué avec rigueur, et avec une sévérité croissante depuis 2008, le moins que l’on puisse dire est que les gouvernements, quels qu’ils aient été, n’ont pas eu besoin du Parlement pour faire adopter des budgets en déséquilibre…
En réalité, ce projet de loi constitutionnelle est procédural ; il n’aborde pas suffisamment les questions de fond et ne résoudra pas de manière structurelle les problèmes du déficit et du poids insoutenable de la dette.
Avec ce projet de loi constitutionnelle, on prétend donner de la crédibilité aux textes budgétaires en instaurant une procédure rigide, qui ne tient pas compte des aléas de la vie économique. C’est un pari d’autant plus risqué que de nombreux moyens existent pour corriger les écarts budgétaires au cours de l’exécution.
La constitutionnalisation de la règle d’or budgétaire suffira-t-elle à cacher l’état réel de nos comptes publics ? Nous n’en sommes pas persuadés.
En second lieu, le projet de loi constitutionnelle créé des lois-cadres d’équilibre des finances publiques déterminant les normes d’évolution et les orientations pluriannuelles des finances publiques, en vue d’assurer l’équilibre des comptes des administrations publiques. Il prévoit également qu’une loi organique en précise le contenu.
La loi constitutionnelle renvoie à la loi organique, qui renvoie elle-même à la loi-cadre. Avec un programme de stabilité et des engagements européens qui ne nous laissent qu’une faible marge de manœuvre, nous subissons déjà des contraintes suffisamment lourdes sans qu’il soit nécessaire d’ajouter une nouvelle procédure. D’autant plus que le texte ne prévoit aucune coïncidence entre les programmes de stabilité et les lois de finances. Le dispositif risque de rendre plus complexe encore la procédure budgétaire.
La création des lois-cadres d’équilibre des finances publiques pourrait entraîner une très grande rigidité, qui limiterait la capacité du Parlement à voter des réformes d’ampleur de façon autonome.
Permettez-moi de rappeler les termes de l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, [...] par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».
La critique que moi-même et mes collègues du Rassemblement démocratique social et européen faisons de ce projet de loi constitutionnelle est donc motivée par une idée simple : c’est la volonté politique, traduite en choix politiques décidés ici même, au Parlement, qui permettra d’atteindre l’équilibre des finances publiques, et non pas une réforme constitutionnelle.
La plupart de mes collègues du RDSE considèrent que la Constitution doit fixer des droits et des normes, qu’elle doit déterminer des règles, non des objectifs politiques, au risque de confondre les règles de fonctionnement de nos institutions avec les choix politiques exprimés par le peuple français lors de la désignation de ses représentants au Parlement.