Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Défense » s’élèvent à 62 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et à 53, 1 milliards d’euros en crédits de paiement (CP).
Sans compter les pensions, et à périmètre courant, les CP progressent donc de 3 milliards d’euros, pour s’établir à 44 milliards d’euros.
Ainsi, d’un strict point de vue budgétaire, la loi de programmation militaire (LPM) aura été respectée chaque année depuis 2019, ce dont nous nous félicitons. Cependant, si elle est respectée d’un point de vue budgétaire, elle ne l’est pas d’un point de vue capacitaire, pour trois raisons principales.
Premièrement, le prélèvement de vingt-quatre avions Rafale sur la dotation de l’armée de l’air et de l’espace, pour les besoins d’un export au profit de la Grèce et de la Croatie, constitue une profonde remise en cause de l’objectif fixé par la LPM à l’horizon de 2025 pour la flotte de Rafale. Par ailleurs, cette ponction de près de 20 % du parc a des conséquences sur le plan opérationnel et affecte durablement la formation des pilotes de chasse, dont le nombre annuel d’heures de vol passerait de 162 à 147 en 2023, loin de l’objectif fixé par la LPM.
Deuxièmement, la fourniture de dix-huit canons Caesar aux forces armées ukrainiennes ampute les moyens de l’armée de terre de près du quart de son parc.
Troisièmement, l’actualisation stratégique décidée en 2021, au mépris du respect de la LPM et du Parlement, a eu pour conséquence de remettre en cause l’exécution et le calendrier de plusieurs programmes pour un montant que nous estimons à plus de 3 milliards d’euros, et que nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées évaluent à près de 8, 6 milliards d’euros. Il ne s’agit donc pas tout à fait de l’épaisseur du trait…
Ainsi, les commandes de recomplètement de notre flotte de Rafale s’élèvent à plus de 2, 5 milliards d’euros et celles du parc de canons Caesar à près de 80 millions d’euros. Elles seront financées sous enveloppe LPM, affectant d’autant son exécution dans l’attente de la prochaine programmation annoncée par la Première ministre dès l’année prochaine.
Cette année, nos armées ont été mobilisées sur le flanc Est de l’Europe, dans le cadre des missions de réassurance de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan).
À ce titre, la France intervient notamment comme nation-cadre de la mission Aigle en Roumanie. Le surcoût de cette projection de nos armées s’élève à près de 700 millions d’euros en 2022, et il est déjà estimé à environ 250 millions d’euros pour 2023. Il a fait l’objet d’un financement grâce à l’ouverture de crédits dans le cadre de la loi de finances rectificative en fin de gestion.
Cependant, comme les années précédentes, les surcoûts liés aux opérations extérieures (Opex) – en raison, notamment, de la réarticulation en cours du dispositif Barkhane au Sahel – ont été financés par des redéploiements internes à la mission, sous enveloppe LPM, contrairement aux dispositions de son article 4. Ces surcoûts représentent près de 400 millions d’euros.
Au-delà de ces éléments de contexte, plusieurs points d’attention méritent d’être soulignés pour l’exercice qui s’ouvre.
Premièrement, il convient de mettre l’accent sur les effets de l’inflation sur le budget des armées, évalué à 1 milliard d’euros. Afin que cela ne conduise pas à absorber le tiers de l’augmentation des crédits, le Gouvernement a fait le choix d’un financement par reports de charges sur l’année 2024, privilégiant ainsi l’affichage d’un respect strict de la marche prévue par la LPM plutôt que le reflet fidèle des besoins des armées. Cette méthode, qui revient à créer de la dette dans la dette, me paraît constitutive d’une forme d’insincérité.
De plus, à l’heure où le Gouvernement parle d’« économie de guerre » et attend une réactivité accrue de la part des industriels pour accélérer les livraisons indispensables au renouvellement des matériels, il paraît malvenu de laisser entrevoir un paiement différé des livraisons, lui-même générateur d’agios en raison des retards.
Deuxièmement, des efforts importants ont été consentis ces dernières années en matière de maintien en condition opérationnelle, notamment grâce à la conclusion avec les industriels de larges contrats verticalisés dont il conviendra d’évaluer l’efficacité. Pour autant, la disponibilité technique opérationnelle des équipements des trois armées reste globalement en deçà des objectifs, avec un point de vigilance qui perdure s’agissant des hélicoptères de l’armée de terre.
Troisièmement, notre retrait du Sahel et notre soutien à l’Ukraine modifieront certainement nos projections, avec une baisse des Opex au sens financier du terme et une structuration de notre mobilisation sur le front ukrainien. Je ne doute pas que nos collègues de la commission de la défense développeront ce point.
Quatrièmement, et surtout, cette année budgétaire sera l’heure de vérité pour l’avenir de nos armées et, au-delà, pour notre souveraineté nationale. Je veux parler du système de combat aérien du futur (Scaf), lancé en 2017. Ce projet conditionne l’avenir de notre armée, ainsi que notre place en Europe et au sein de l’Otan.
Chaque jour de retard supplémentaire dans la conduite de ce projet est un jour perdu pour la préparation des armées françaises à la guerre aérienne du futur, alors même que les besoins opérationnels ont été exprimés avec la plus grande clarté par nos chefs d’état-major.
Le projet consiste à rassembler et à connecter des moyens de combat autour d’un nouvel avion de chasse polyvalent et en ayant recours à l’intelligence artificielle. Ce futur avion devra aussi répondre aux exigences opérationnelles des armées françaises, puisqu’il devra assurer la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire et être « navalisable », c’est-à-dire en mesure d’apponter sur le nouveau porte-avions.
Toutefois, les négociations ont pris un sérieux retard, même si l’accord entre les industriels devant fixer le cahier des charges du nouvel avion, en vue du lancement de la phase de démonstration prévue pour l’an prochain, a enfin été signé. Il ne s’agit toutefois que d’une première étape sur un chemin qui semble encore semé d’embûches.
Dans ce contexte, on ne peut plus tout à fait exclure qu’il faille travailler à une solution de remplacement. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous examinerons un amendement de notre commission ; le Gouvernement pourra ainsi exprimer clairement ses intentions et sa vision des choses.