Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Réunion du 8 décembre 2022 à 10h30
Lutte contre la fraude au compte personnel de formation — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, utilisable par tous, tout au long de la vie active, y compris en période de chômage, le compte personnel de formation est au moins un succès quantitatif avec un doublement des effectifs chaque année, 500 000 formations demandées en 2019, plus de 1 million en 2020 et plus de 2 millions en 2021.

Toutefois, si la monétisation du CPF a favorisé sa démocratisation, elle a également eu des effets pervers avec une fraude en tout genre et des démarchages abusifs.

Dans le sillage du CPF, un lot de pratiques douteuses, incontrôlables et incontrôlées sont apparues : usurpations d’identité et détournements des droits, nuisances par des appels et sollicitations intempestives.

Le CPF, qui pèse pour 2, 7 milliards d’euros de dépenses, soit un cinquième du budget de France Compétences, attire désormais une délinquance économique organisée, comme le démontrent les 440 enquêtes ouvertes par le service central de renseignement criminel de la gendarmerie.

La recrudescence atteint même des sommets : selon la cellule de renseignement financier nationale Tracfin, l’année 2021 a été marquée par la plus forte hausse de faux organismes détectés avec un préjudice cumulé de 43, 2 millions d’euros après démarchage téléphonique ou en ligne, soit une multiplication par six de la fraude en seulement un an.

Force est donc de constater que le récent guide de prévention contre les arnaques publié par le ministère de l’économie et des finances n’aura pas été efficace, non plus que les timides campagnes de sensibilisation. L’action du Parlement est donc pleinement nécessaire pour endiguer ce phénomène.

Pourtant, dès 2018, le Sénat avait à la fois mis en garde et exprimé des réserves sur la monétisation et la désintermédiation du CPF.

Le Gouvernement avait déclaré qu’il s’agissait d’un « pari ». Si celui-ci a permis à un plus large public d’accéder à la formation, il a aussi occasionné des dérives que l’on s’efforce de traiter au travers du présent texte.

Cette proposition de loi est donc la bienvenue afin de contrer des pratiques qui siphonnent des crédits destinés à la formation professionnelle, un programme déjà difficilement pilotable compte tenu des rallonges budgétaires répétées et votées à France Compétences en lois de finances. Le CPF n’a par conséquent pas un seul euro à perdre !

Face à la fraude, les pouvoirs publics ne sont pourtant pas restés inactifs. Je tiens à saluer plus particulièrement le travail des forces de l’ordre, qui, grâce à des enquêtes minutieuses et complexes, ont réussi à démanteler plusieurs réseaux de faux organismes au cours des dernières semaines, dont un dans les Alpes-Maritimes, à Cannes-Mandelieu, pour un préjudice de 8, 2 millions d’euros.

Cette proposition de loi permettra non seulement d’en finir avec ces escroqueries, mais aussi de restaurer l’image dégradée du CPF, lequel, faute de réponse adaptée, perd en visibilité.

En effet, bon nombre de Français ne prennent plus les appels ou textos au sérieux, risquant ainsi de se détourner de leur CPF, pourtant essentiel au cours de leur carrière professionnelle.

À l’avenir, la question du financement des formations sera aussi un enjeu de nature à réduire la fraude, tout particulièrement celle qui est consentie par des actifs dans le cadre de la revente de codes d’accès CPF.

Comme l’a proposé et voté le Sénat le 28 novembre dernier, dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2023, instaurer un plafonnement de prise en charge par le CPF du coût de certaines formations serait de nature à sécuriser le CPF au travers d’un mécanisme de régulation.

J’espère ainsi que l’amendement adopté au Sénat, accueilli par un avis de sagesse du Gouvernement, obtiendra votre soutien, madame la ministre, une fois le 49.3 de nouveau dégainé à l’Assemblée nationale.

Ce qui est vrai pour le budget de la sécurité sociale l’est aussi pour la formation : ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Si nous voulons que les salariés participent plus activement non seulement à la lutte contre la fraude, mais aussi à leur parcours professionnel, sans se contenter de répondre à un appel ou à un message leur signalant qu’ils ont du crédit sur leur CPF, il faudra en passer par un reste à charge encadré, sans pour autant en faire une barrière tarifaire.

Cette piste avait d’ailleurs été mise en lumière par l’excellent rapport de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et vous-même, monsieur le rapporteur.

Enfin, en matière de prévention contre la fraude, l’arsenal de la Caisse des dépôts et consignations contient les « conditions générales d’utilisation » (CGU), auxquelles doivent se conformer les 44 000 organismes de formation, dont certaines start-up innovantes, essentiellement digitales. Plusieurs de ces organismes qui ont dynamisé le secteur m’ont fait part d’une rigidité dans la mise à jour des conditions générales d’utilisation et de délais très courts pour s’y conformer, avec un risque juridique contractuel pour les formations proposées.

Cette question ne relevant pas du domaine de la loi, je n’ai finalement pas déposé d’amendement visant à laisser aux organismes un délai minimal de mise à jour des CGU. Toutefois, je tiens à vous signaler, madame la ministre, que bon nombre d’entre eux sont inquiets.

De l’aveu même du rapport de la commission des affaires sociales, les CGU ont été modifiées à plusieurs reprises, mais la mise à jour demande un important travail juridique que ces organismes ne sont pas tous en mesure de fournir, puisque ce n’est pas leur cœur de métier.

À ce titre, l’article 3 inscrit dans la loi les conditions du référencement des formations sur Mon compte formation et établit un contrôle des formations éligibles au financement CPF, au travers de la certification qualité Qualiopi, de la législation fiscale, de la sécurité sociale, mais aussi de la satisfaction aux CGU établies par la Caisse des dépôts et consignations. Pouvez-vous rassurer ces organismes sur ce point précis ?

Il serait regrettable qu’un excès de règles contraignantes succède à un excès de simplification. Ces organismes souhaiteraient donc que la Caisse des dépôts et consignations fasse preuve de plus de souplesse.

Pour conclure, le groupe Les Républicains votera ce texte en l’état, les dispositifs proposés permettant de rendre plus efficaces les efforts déployés pour lutter contre les abus de fraude au CPF.

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