Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons été appelés à examiner en deuxième lecture, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.
Preuve qu’elle répondait à une problématique observée sur de nombreux territoires, cette proposition de loi est devenue un texte transpartisan, soutenu par plusieurs groupes politiques du Sénat, où elle a été adoptée à l’unanimité en commission et en séance publique en première lecture. Elle a d’ailleurs connu le même sort à l’Assemblée nationale.
Les députés ont néanmoins apporté quelques modifications, qui, si elles ne remettent pas en cause l’esprit du texte voté au Sénat, ont nécessité un nouvel examen.
Pour rappel, cette proposition de loi a émergé en réponse au développement incontrôlé des clôtures en milieu naturel, en d’autres termes de l’engrillagement, observé singulièrement dans le pays de grande Sologne. Ce phénomène rompt avec l’obligation pour les propriétaires et gestionnaires d’espaces naturels d’assurer la libre circulation de la faune sauvage dans le cadre des trames vertes et bleues.
De plus en plus de propriétaires installent des enclos de chasse sur leurs parcelles en édifiant des clôtures de plus de 1, 80 mètre imperméables au passage de l’homme et des animaux.
Non seulement ces enclos dégradent le couvert forestier, mais ils nuisent à la continuité écologique et à la biodiversité. J’ajoute qu’ils ne respectent pas les usages locaux.
Comme le spécifiaient, dans leur rapport du mois d’août 2019, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), ces enclos hermétiques « sont un non-sens cynégétique […] et échappent partiellement au contrôle des élus et de l’État sur des interprétations juridiques discutables ».
Il s’agit bien là de pratiques d’accaparement conduisant à la privatisation et à la perturbation de l’espace naturel et public. Elles heurtent aussi bien les usagers et les élus que les chasseurs eux-mêmes.
Ces espaces permettant la pratique de la chasse sans interruption saisonnière, sans contrôle possible des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) et sans plan de chasse sont donc des zones de non-droit, qui privatisent des espaces issus de notre patrimoine commun.
La prolifération de ces parcs de chasse privés était devenue intolérable et démontrait bien que les seules dispositions du code de l’urbanisme, inscrites dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) ou dans les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi), étaient insuffisantes pour permettre aux maires ruraux de lutter contre leur édification.
Il nous a donc fallu légiférer pour les doter d’un indispensable arsenal législatif.
L’Assemblée nationale a ainsi précisé, en première lecture, un certain nombre de dispositions, sans remettre en cause la philosophie de la proposition de loi.
L’article 1er a été sensiblement enrichi. Il précise désormais les types de clôtures interdites et autorisées. En outre, son champ d’application a été élargi à toutes les zones naturelles ou forestières, et ne concerne plus seulement celles qui sont situées dans des trames verte et bleue.
Par ailleurs, le délai de mise en conformité passe désormais de sept ans – avancée obtenue par le Sénat – à cinq ans, contre dix ans dans le texte initial de la proposition de loi. À cela s’ajoute un autre progrès : les nouvelles règles s’appliqueront aux clôtures édifiées dans les trente années précédant la promulgation de la présente proposition de loi. Cette extension du délai de prescription permettra ainsi de mettre en conformité un plus grand nombre de parcs de chasse.
En revanche, il reste permis de se demander, ainsi que je l’ai déjà signalé en première lecture, qui appréciera l’antériorité de la construction des clôtures : les services de l’État ou bien le ou les maires des communes concernées ? Les risques de connivence avec le propriétaire sont une possibilité que nous ne pouvons exclure ! Voilà un flou juridique que le Parlement n’a pas su éclaircir.
J’aborderai deux sujets qui suscitent encore un certain nombre de réflexions.
L’Assemblée nationale a introduit un article 5 – nous l’avons déjà largement évoqué – visant à interdire l’agrainage et l’affouragement dans les enclos sauf exception. Cet article modifie le code de l’environnement en précisant que l’agrainage et l’affouragement sont interdits dans tous les espaces clos. Il prévoyait initialement quatre exceptions : cette interdiction ne s’appliquait pas dans un cadre scientifique ; au sein des enclos créés pour la protection des cultures et des régénérescences forestières, ainsi que pour le maintien du bétail ; au sein des établissements de chasse à caractère commercial disposant d’un enclos. En séance publique, seule l’exception pour l’agrainage et l’affouragement menés dans un cadre scientifique a été finalement retenue par les députés.
Dans sa rédaction actuelle, cette interdiction aura donc une portée assez large, que le rapporteur a néanmoins souhaité redéfinir.
J’émettrai quelques réserves sur d’autres points. Je pense en particulier aux dérogations prévues à l’article 1er. L’Assemblée nationale a maintenu les dérogations prévues par le Sénat et en a ajouté d’autres. Celles-ci s’élèvent donc désormais à neuf.
J’en citerai deux : les clôtures des parcs d’entraînement, de concours ou d’épreuves de chiens de chasse et les clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières. Pour autant, comment s’assurer qu’une parcelle déclarée comme « parc d’entraînement de chiens de chasse » ne soit pas détournée de son usage originel afin d’être transformée en parc de chasse ? Combien de temps doit-on maintenir une clôture qui est indispensable à la régénération forestière ? Qui s’assurera de sa conformité avec les dispositions de la présente proposition de loi ? Comme toujours, il faut poser la question du contrôle et des moyens afférents à celui-ci.
Hormis ces quelques réserves, mon groupe politique partage la position du rapporteur, qui propose un vote conforme sur l’ensemble des articles, à l’exception de l’article 5, qui est le seul point de désaccord demeurant à l’issue de la navette parlementaire.
De nombreuses questions relatives à la mise en application de cette proposition de loi restent en suspens.