Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 13 décembre 2022 à 14h30
Politique de l'immigration — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet :

Nous avons tout d’abord renoncé à la maîtrise de l’immigration légale, dont chacun sait qu’elle nourrit pour partie l’immigration irrégulière.

Pour la seule année 2021, à en croire les chiffres publiés en juin 2022 par le ministère de l’intérieur, 270 000 premiers titres de séjour ont été délivrés en France métropolitaine, soit 100 000 de plus qu’en 2011. Le nombre de titres valides a lui augmenté d’un million, pour atteindre aujourd’hui un total de 3, 4 millions.

L’ampleur de ces chiffres et de leur évolution parle d’elle-même. Certains sur ces travées soutiendront que l’immigration est une chance pour les pays européens. Sans doute ! Mais à condition qu’elle soit un apport pour le pays d’accueil, et non une charge.

Or, comme le souligne l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, la contribution de l’immigration à la société et à l’économie d’un pays, quel qu’il soit, est étroitement liée au niveau de qualification des arrivants. Et celui-ci est bien moindre en France que chez nos voisins européens.

Quant à l’intégration, elle ne peut véritablement advenir qu’avec la maîtrise de notre langue et le respect des principes et des valeurs qui font notre nation. Or, vous l’avez souligné vous-même la semaine dernière, monsieur le ministre de l’intérieur, un quart des étrangers en situation régulière parlent ou écrivent très mal le français.

En ce qui concerne l’immigration irrégulière, nous allons d’échec en échec, avec tout d’abord une maîtrise très insuffisante de nos frontières – c’est un euphémisme ! – à l’échelle européenne.

En 2006, le Gouvernement estimait, ici même, qu’entre 200 000 et 400 000 clandestins étaient présents sur le territoire national. Devant la commission des lois, le 2 novembre dernier, vous avez, monsieur le ministre de l’intérieur, indiqué qu’ils étaient aujourd’hui de 600 000 à 900 000. En quinze ans, leur nombre a donc été multiplié au moins par deux.

La potion est encore plus amère pour ce qui concerne l’éloignement. Selon les chiffres transmis par le ministère, le taux d’exécution des OQTF au premier semestre de 2022 s’établit au niveau famélique de 6, 9 %. On peut toujours discuter de la pertinence de ce taux comme indicateur, mais c’est un fait qu’il a été divisé par trois en dix ans, puisque nous exécutions encore 22 % des OQTF en 2012, soit trois fois plus qu’aujourd’hui.

Il y a du mieux du côté de l’asile, mais nous sommes encore loin du compte. Avec un délai moyen d’examen des demandes d’un peu plus de 330 jours, l’objectif de six mois fixé en 2017 est hors de portée à moyen terme. C’est d’autant plus regrettable que nous renouons avec les nombres exceptionnels de demandes d’avant la pandémie. Nous devrions même dépasser l’année prochaine le record de 2019, puisque 135 000 demandes sont attendues.

Je ne dresse ce tableau ni par malice ni par fatalisme. Se laisser aller à l’une ou à l’autre, ce serait renoncer à chercher des solutions et se réfugier dans des postures stériles. Ce serait alimenter chez nos concitoyens des peurs qui n’ont pas lieu d’être. Ce serait, surtout, ouvrir grand la porte aux extrêmes.

Vous l’avez dit à l’Assemblée nationale la semaine dernière, madame la Première ministre : si nous voulons débattre sérieusement de la politique migratoire, nous devons nous astreindre à un langage de vérité.

Cela implique de nous appuyer sur des données partagées et indiscutables, pour dresser le constat lucide d’une immigration qui n’est pas maîtrisée et d’une politique publique qui a perdu tout son sens. Un langage de vérité nous permettra d’énoncer clairement les objectifs à atteindre et de dénoncer les postures : l’immigration zéro est une chimère ; l’accueil au fil de l’eau est une folie.

Ce qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut, c’est une réelle stratégie. Faute d’anticipation et faute de volonté clairement exprimée, nous ne faisons que subir les soubresauts des flux migratoires. Nous avons été dépassés par l’intensité des flux migratoires en 2015, nous le sommes encore aujourd’hui avec la reprise qui succède à l’épidémie de covid. Et nous venons de vivre un épisode particulier avec l’Ocean Viking, notamment de par la complexité des procédures suivies.

Ce n’est pourtant pas un gros mot que de dire que, comme pour tout État souverain, c’est à nous qu’il revient de décider qui nous accueillons sur notre territoire et qui n’y a pas sa place.

Pour nous, il y a trois principes à suivre. Tout d’abord, nous voulons une immigration régulière choisie, prioritairement économique et qui trouvera d’autant plus sa place dans notre société qu’elle y contribuera pleinement. Puis, il faut de l’intransigeance dans la lutte contre l’immigration irrégulière. Enfin, l’efficacité de la procédure d’asile doit être accrue. Tels sont les trois piliers sur lesquels doit reposer notre stratégie migratoire.

Cette stratégie, c’est celle que défend le Sénat, ou du moins sa majorité, depuis de nombreuses années. C’était le sens des propositions que nous avions portées en 2018 lors de l’examen de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dont une partie a été balayée d’un revers de main par le gouvernement de l’époque.

C’est donc avec satisfaction que j’observe plus qu’une inflexion de la part du Gouvernement, qui envisage désormais de reprendre plusieurs de nos propositions dans le texte qui devrait être examiné en mars prochain par le Sénat en première lecture, ce dont nous vous remercions. Certaines pistes du Gouvernement peuvent être intéressantes, d’autres sont moins acceptables. J’y reviendrai.

Monsieur le ministre de l’intérieur, vous rappelez régulièrement vous être inspiré pour la rédaction de votre texte du rapport Services de l ’ État et immigration : retrouver sens et efficacité, que j’ai rédigé en mai dernier. C’est un bon début !

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