Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 13 décembre 2022 à 14h30
Politique de l'immigration — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet :

Néanmoins, pour éviter tout malentendu, et comme l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, je vais vous faire des propositions très concrètes, qui sont ancrées dans les positions constamment soutenues par le Sénat depuis plus de dix ans et qui visent à doter la France d’une stratégie migratoire réellement ambitieuse et efficace.

Madame la Première ministre, vous avez déploré la semaine dernière devant l’Assemblée nationale le manque de propositions. Les nôtres seront sur la table. Permettez-moi de vous en présenter les grandes lignes.

La priorité est de retrouver notre souveraineté en matière d’immigration régulière. C’est à nous de décider qui accueillir sur le territoire, en assumant de prioriser l’immigration économique. Or celle-ci représentait à peine 13 % des premiers titres de séjour délivrés en 2021. C’est au Parlement qu’il revient de fixer ces orientations annuelles, avec, disons-le franchement, un débat sur des quotas ou, à tout le moins, la détermination de grandes directions.

Recouvrer notre souveraineté, c’est aussi assumer de restreindre les voies d’accès au séjour. Je pense à la procédure « étranger malade », pour laquelle il est urgent de revenir au critère de l’absence de soins dans le pays d’origine. Rien que pour 2021, nous avons reçu 5 000 demandes émanant de pays du G20, qui disposent pourtant de systèmes de soins développés !

Je pense aussi au regroupement familial, pour lequel nous proposons de resserrer les critères, naturellement dans le respect du droit européen.

Avoir une politique d’immigration régulière cohérente, c’est aussi mieux traiter ceux que nous acceptons sur notre territoire. Je ne reviens pas sur les situations ubuesques suscitées par les difficultés d’accès aux guichets des préfectures pour obtenir ou renouveler un titre de séjour.

La solution est pourtant là, dans une refonte des pratiques d’instruction autour d’une logique dite « à 360 degrés », où l’on examinerait dès la première demande, et une fois pour toutes, l’ensemble des motifs qui pourraient fonder la délivrance d’un titre de séjour. L’expérimentation conduite par le Gouvernement à la préfecture d’Angers est une très bonne démarche.

Mieux traiter les étrangers en situation régulière demande également de muscler notre dispositif d’intégration. Vous proposez, monsieur le ministre, d’augmenter le volume d’heures de français. C’est une bonne idée.

La contrepartie, c’est le renforcement des devoirs de l’étranger. Vous avez repris la proposition du Sénat, qui suggérait de conditionner la délivrance des titres de séjour de longue durée à la réussite d’un examen de langue. Fort bien ! Nous estimons nécessaire d’aller encore plus loin et de la conditionner également au passage d’un examen civique, par lequel l’étranger démontrerait sa bonne appropriation de nos valeurs, de l’histoire et de la culture de la France.

Passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, c’est la vraie révolution pour le contrat d’intégration républicaine. Cette appropriation des valeurs républicaines n’est pas négociable, et l’obtention d’un titre de séjour n’est pas un blanc-seing : elle vient avec des responsabilités. À cet égard, nous aurons des difficultés à vous suivre dans votre idée d’automaticité du renouvellement des titres pluriannuels. Mais nous attendons de voir ce que vous proposerez exactement.

La deuxième priorité est de fluidifier le traitement des demandes d’asile et de lutter plus efficacement contre le détournement de notre politique d’accueil.

Il est crucial de faciliter l’instruction des demandes de protection internationale, en permettant notamment à l’Ofpra de statuer plus rapidement sur les dossiers les moins problématiques, par exemple en cas de retrait de la demande ou d’abandon du lieu d’hébergement, mais aussi en lui imposant de refuser l’asile en cas de menace pour l’ordre public.

Ainsi, l’Office pourra concentrer son expertise sur les dossiers les plus complexes. Je tiens en tout cas à saluer à cette tribune l’excellent travail des agents de l’Ofpra.

Enfin, nous devons faire de la lutte contre l’immigration irrégulière une priorité nationale et agir, enfin, pour la mise en œuvre des décisions d’éloignement.

Prévenir l’immigration irrégulière, c’est d’abord assumer d’établir un rapport de force avec les États d’origine. Le Sénat avait voté en 2018 une disposition autorisant les restrictions de visas à l’égard des pays délivrant peu de laissez-passer consulaires. Le Gouvernement ne l’avait pas retenue. Il s’y est finalement résolu et, là encore, cela a produit quelques résultats, puisque le nombre de retours forcés vers l’Algérie, nombre certes modeste en valeur absolue, a tout de même été multiplié par seize en moins d’un an.

La montée en puissance de la lutte contre l’immigration clandestine ne se fera pas non plus sans réforme de l’aide médicale de l’État (AME). Avec 400 000 bénéficiaires et un coût supérieur à un milliard d’euros, celle-ci atteint des sommets. Nous ne pouvons pas nous satisfaire des derniers ajustements paramétriques ; c’est d’une réforme structurelle dont nous avons besoin.

Là encore, le Sénat défend de longue date le remplacement de l’AME par une aide médicale d’urgence, centrée sur la prise en charge des pathologies les plus graves. L’AME se justifie pour des raisons de santé publique, madame la Première ministre, mais on ne peut se dissimuler qu’elle constitue aussi, parfois, une incitation à l’immigration irrégulière.

Il en va de même du projet de titre de séjour « métiers en tension », qui est au fond une opération de régularisation qui n’ose pas dire son nom. Soyons clairs, en effet : qu’est-ce que l’attribution d’un titre de séjour à une personne en situation irrégulière sinon une régularisation ?

La problématique est réelle, pourtant, et nous ne pouvons nier que nombre de métiers, parfois indispensables, sont exercés en majorité par des étrangers. Nous pouvons en débattre.

La solution passe-t-elle pour autant par des régularisations massives, sans aucun ciblage, qui risquent de créer un nouvel appel d’air ? Non. Si nous y procédons, cela fera les affaires des filières criminelles qui industrialisent le passage des clandestins et jouent avec leurs vies. Il faudra donc des critères précis et des conditions, qui devront être précisées par la loi. La problématique est réelle, je le répète, et nous devons absolument dire les choses telles qu’elles sont, et non telles que nous aimerions qu’elles soient.

Je formulerai la même remarque s’agissant de la réforme du contentieux. Nous le savons tous, le droit des étrangers est d’une complexité qui frôle l’absurde. Il suffit de voir la taille du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda)… C’est une charge pour les magistrats chargés de l’appliquer, une source d’insécurité juridique pour les justiciables et une aubaine pour les clandestins cherchant à se soustraire à l’éloignement.

Le Gouvernement a souhaité réduire à quatre le nombre de procédures contentieuses. Nous vous proposons de descendre jusqu’à trois. Nous aurons à en discuter.

Madame la Première ministre, ce n’est pas en masquant les problèmes que l’on va les oublier, ce n’est pas en les nommant que l’on va les aggraver, mais c’est certainement avec des propositions concrètes que l’on va les résoudre. Cela tombe bien, nous n’en manquons pas ! Celles que je vous ai exposées, et bien d’autres encore, figureront parmi nos propositions.

Nous avons adopté vingt et une lois sur l’immigration en trente ans, ce qui fait une moyenne d’une loi tous les seize mois. Je vous propose que nous prenions l’engagement de doter notre pays d’une vraie stratégie. Le groupe Les Républicains y est prêt.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion