Il me revient de vous présenter les crédits du programme 161 relatif à la sécurité civile, qui est une composante de la mission « Sécurités ».
Le programme « Sécurité civile » finance les moyens nationaux alloués à la sécurité civile qui sont, cette année, en forte hausse. Ces moyens nationaux recouvrent principalement, bien que non exclusivement, les dépenses nécessaires à l'entretien, au pilotage et au renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile.
Les moyens humains, comme le traitement des 43 000 sapeurs-pompiers professionnels, et les moyens matériels terrestres relèvent, quant à eux, des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), dont le budget de 5,1 milliards d'euros représente plus de 80 % des moyens financiers totaux dédiés à la sécurité civile. Or, les Sdis sont financés majoritairement par les départements, qui ne reçoivent à cet effet que 1,2 milliard d'euros issus de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA). J'en conclus - et je l'ai signalé à plusieurs reprises au ministre Gérald Darmanin ainsi qu'à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) - que toute réflexion générale sur les moyens de la sécurité civile, rendue nécessaire cette année, doit impérativement associer les collectivités territoriales et se pencher sur l'enjeu du financement des Sdis, mis en difficulté par l'ampleur de la dernière saison des feux et ne disposant pas des mêmes leviers financiers que l'État pour y répondre.
Cette année, le budget alloué au programme 161 est exceptionnel, pour deux principales raisons. En premier lieu, il fait l'objet d'une augmentation significative résultant du renouvellement tant attendu de la flotte aérienne de la sécurité civile, que nous appelions déjà de nos voeux l'année dernière. En second lieu, il est présenté dans le contexte d'une saison des feux particulièrement éprouvante, qui a remis en question de nombreuses certitudes quant à la résilience du modèle français de lutte contre les incendies.
En effet, la dernière saison des feux a mis à rude épreuve tous les acteurs de la sécurité civile, lesquels, il faut le rappeler, ont dû poursuivre leur mission quotidienne et continue de secours à la personne en parallèle de la lutte contre les feux.
Or, l'année 2022 a marqué une nette rupture pour la sécurité civile. Elle a mis fin à une période bidécennale de modération des feux, avec une moyenne d'environ 10 000 hectares brûlés chaque année depuis un pic en 2003. Cette année a représenté indubitablement la fin de cette tendance modérée, avec 72 000 hectares partis en fumée, soit sept fois plus que la moyenne bidécennale. Fait nouveau, les départements du nord de la Loire, moins préparés pour faire face à ces événements, ont été atteints dans des proportions inédites. Je pense, par exemple, aux incendies ayant touché les monts d'Arrée en Bretagne ou encore le massif du Jura, simultanément à la Gironde.
Si nous avons évité de peu la rupture capacitaire - et encore, au prix de la réquisition en urgence de huit hélicoptères et du recours, pour la première fois depuis son instauration en 2001, au mécanisme européen de protection civile (MEPC) -, c'est uniquement parce que l'arc méditerranéen a été heureusement relativement épargné et qu'en conséquence de nombreux moyens ont pu être déployés sur la zone atlantique.
L'ensemble des acteurs de la sécurité civile s'accorde à considérer que ces niveaux, pour l'instant exceptionnels, deviendront malheureusement la norme, compte tenu de ce que le Président de la République a lui-même nommé « la transformation des risques » liée au réchauffement climatique. Au cours des prochaines années, et probablement dès 2023 vu le fort déficit pluviométrique constaté dès à présent, les feux risquent d'être plus intenses et de s'étendre aussi bien géographiquement que temporellement, mobilisant d'autant plus nos forces de sécurité civile. Il est indispensable de prendre en compte cette transformation des risques et la sollicitation maximale de nos forces de sécurité civile pour apprécier le budget alloué à la sécurité civile pour l'année 2023.
À ce titre, c'est avec satisfaction que je constate que celui-ci est en forte hausse, passant, pour la première fois, le seuil du milliard d'euros d'autorisations d'engagement (AE). Il semblerait que le Gouvernement ait enfin pris conscience de l'urgence à agir pour doter la sécurité civile des moyens nécessaires afin de répondre aux enjeux que je viens d'évoquer. Le Président de la République a d'ailleurs reconnu à deux reprises que les moyens actuels étaient « insuffisants ».
Dans le détail, les AE passeront de 678 millions d'euros en 2022 à 1,22 milliard d'euros en 2023, soit une hausse de 80 %. Cette augmentation inédite s'explique par l'effet de deux mesures, qui représentent à elles seules 51 % des AE du programme 161 : un plan de renouvellement de la flotte des hélicoptères de la sécurité civile, à hauteur de 471 millions d'euros, et la relance des « pactes capacitaires », qui visent à aider les Sdis à moderniser et mutualiser leurs moyens, à hauteur de 158 millions d'euros.
Les crédits de paiement (CP) s'élèvent, quant à eux, à 678,1 millions d'euros, soit une hausse de 19 % par rapport à 2022. Cette hausse n'est portée par aucune mesure emblématique. Elle résulte de l'augmentation modérée, mais généralisée, de la plupart des dépenses, dans un contexte de forte inflation qui affecte, par exemple, l'approvisionnement des aéronefs en carburant.
Les sommes importantes qui sont ainsi engagées ont majoritairement pour objet de renforcer la flotte aérienne de la sécurité civile, dont le vieillissement et le sous-dimensionnement sont unanimement reconnus. À titre d'exemple, la durée moyenne d'exploitation de nos Canadair est de vingt-cinq ans et celle de nos avions de liaison, les Beechcraft, est de trente-huit ans. Il faut avoir à l'esprit que si leur renouvellement est indéniablement coûteux, l'entretien des appareils vieillissants l'est aussi : en 2023, 88,5 millions d'euros seront consacrés au maintien en condition opérationnelle de nos aéronefs.
De nombreuses annonces ont été faites sur ce sujet lors des derniers mois. Contrairement aux années précédentes, au cours desquelles les remplacements d'appareils ont été ponctuels, principalement pour faire suite à des incidents techniques ou à des accidents, une remise à niveau de l'ensemble de la flotte d'hélicoptères et des avions amphibies bombardiers d'eau, c'est-à-dire les Canadair, a été évoquée à plusieurs reprises cette année.
Il s'agit tout d'abord de remplacer l'intégralité de la flotte d'hélicoptères, qui était arrivée à un seuil critique de 33 appareils à la suite de cinq accidents mortels au cours des dernières années. Quatre appareils ont récemment été commandés, dont les deux derniers seront livrés en 2023. La DGSCGC visant un effectif cible de 40 appareils, une enveloppe de 471 millions d'euros est prévue pour l'achat de 36 nouveaux appareils, soit un coût unitaire de 13 millions d'euros.
Je vous propose de donner un avis favorable à ce vaste plan de renouvellement et d'accroissement de la flotte d'hélicoptères, qui correspond par ailleurs aux recommandations que nous avions formulées l'année dernière et qui fait l'objet d'un financement rapide, contrairement au renouvellement des Canadair.
Le deuxième volet de ce renouvellement d'ampleur concerne donc les Canadair. Nous disposons actuellement de 12 appareils, d'une durée moyenne d'utilisation, comme je l'ai dit précédemment, de vingt-cinq ans. Le Gouvernement souhaite renouveler l'ensemble de cette flotte et la renforcer pour atteindre un total de 16 appareils. Ce plan reste néanmoins encore à concrétiser : aucun financement dédié n'est prévu dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Le coût approximatif avancé par la DGSCGC est de 840 millions d'euros pour 14 appareils, soit un coût unitaire de 60 millions d'euros, les 2 appareils restants devant être financés à 90 % par l'Union européenne.
Si ces annonces sont bienvenues tant l'été 2022 a démontré l'insuffisance de nos moyens face à l'accroissement des risques, il convient cependant de les nuancer. J'ai pu constater lors des auditions que la tentation de recourir aux effets d'annonce était grande de la part du Gouvernement. En outre, le calendrier de ce plan de renouvellement d'ensemble est non seulement imprécis, mais - et cela est plus problématique - il fait l'objet d'annonces contradictoires entre le Président de la République et le ministre de l'intérieur. J'en veux pour preuve le plan de renouvellement de nos Canadair.
En effet, j'ai été surprise d'entendre le Président de la République et, par la suite, la presse, présenter le 28 octobre dernier comme une grande nouveauté le renouvellement de nos Canadair, alors que celui-ci avait déjà été largement commenté par le ministre Gérald Darmanin lors de la présentation de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) plusieurs mois auparavant. En outre, l'achat de deux Canadair par l'Union européenne est mis en avant dans tous les discours du Gouvernement relatifs à la sécurité civile : pourtant, il s'agit du troisième avis budgétaire de notre commission qui évoque cet achat promis de façon récurrente. Or, la construction de ces Canadair n'est toujours pas engagée, le Gouvernement arguant des difficultés de nature industrielle de la part du constructeur.
Outre que ces difficultés nous alertent quant aux enjeux de souveraineté industrielle qu'elles soulèvent, je note que le lancement de la chaîne de production a été annoncé le 31 mars 2022. Par conséquent, ces difficultés ne peuvent être qu'une justification de court terme aux blocages constatés.
Ce contretemps contraste fortement avec l'optimisme dont a fait preuve le Président de la République lors de son discours du 28 octobre dernier. En effet, il a déclaré que la France allait « investir pour que d'ici la fin du quinquennat, [les] douze [Canadair] soient remplacés et que leur nombre soit porté jusqu'à 16. »
Ce calendrier particulièrement ambitieux apparaît irréaliste et démontre une certaine confusion dans la communication du Gouvernement. À deux reprises, Gérald Darmanin a déclaré devant notre commission qu'il y avait de fortes tensions sur la chaîne de production des Canadair et que ceux-ci devront se faire attendre. Par conséquent, la DGSCGC estime, selon « les prévisions les plus optimistes » que seuls les deux Canadair commandés dans le cadre du programme RescEU pourraient être livrés d'ici à la fin du quinquennat. Sous réserve que leur financement soit confirmé, les 14 autres Canadair ne devraient suivre qu'au cours de la décennie 2030, après plus de trente ans d'exploitation.
Malgré ces vives réserves sur le respect du calendrier annoncé, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 161.