Nous sommes opposés à cet article pour au moins deux raisons. Nous ne voyons pas d’inconvénient a priori à ce qu’un service de santé au travail interentreprises élabore, au sein d’une commission nommée à cette fin, un projet de service pluriannuel.
Il se peut en effet que l’organisation du service requiert l’élaboration d’un plan de travail en fonction des entreprises à visiter, de la dangerosité potentielle des sites ou d’autres paramètres.
Encore faut-il déterminer quels seront les membres de cette commission de projet, et ce que l’on entend exactement par le terme « projet ».
L’exposé des motifs de cet article à l’Assemblée nationale indiquait que « la commission aurait, parmi ses missions, la possibilité de pouvoir procéder à des appels d’offre pour trouver des réponses à des projets que les services ne peuvent assumer seuls ».
Est-ce à dire que la règle du moins-disant va s’appliquer ? Bien entendu, nous ne sommes pas ici régis par le droit public. Néanmoins, on peut clairement prévoir que les considérations financières seront importantes dans des services de santé au travail interentreprises financés par les employeurs.
Autre question : de quels projets pourra-t-il s’agir ? La suite de l’article est éclairante : ce projet définira des « priorités d’action » et s’inscrira dans un « contrat d’objectifs et de moyens ».
Pourtant, il s’agit en l’occurrence non pas de déterminer un processus de production en fonction d’objectifs commerciaux, mais de mener des actions de prévention et de protection des travailleurs.
Nous avons déjà pu voir, dans l’administration du travail, ce à quoi aboutit le système des priorités d’action définies dans le cadre d’un projet pluriannuel : faire au mieux avec un minimum de moyens.
Ainsi, au lieu d’effectuer des missions de contrôle dans les entreprises pour faire respecter le droit et assurer la sécurité des salariés, l’inspection du travail se trouve souvent transformée en un organe de conseil aux employeurs, amené à faire aussi de la prévention pour éviter des contentieux aux employeurs.
Les contrôles ne sont plus programmés qu’en fonction de priorités diverses. La recherche d’ateliers clandestins, en soi louable, a ainsi pu être érigée en priorité, étant bien entendu que les ateliers clandestins sont remplis de travailleurs étrangers…
La médecine du travail ne doit pas se voir réduite à de telles manipulations. Le danger est analogue, et il est tout aussi grave.
De fait, les médecins ont aujourd’hui une telle indépendance dans le cadre de leurs visites qu’il leur arrive de déclarer l’origine professionnelle d’une pathologie. Ils signalent parfois le dépassement de seuils en matière de bruit ou d’exposition aux produits CMR, cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, autant de remarques déplaisantes, voire déplacées, pour des chefs d’entreprise qui se battent durement, comme chacun sait, dans un contexte de concurrence mondiale.
S’il doit y avoir des priorités, ce sont aux médecins de les définir en fonction d’impératifs sanitaires et en se fondant sur leurs compétences.
On veut les transformer en animateurs, dont la mission sera axée sur la prévention, et qui participeront, avec des sous-traitants privés, à l’élaboration de projets, à la détermination de priorités, en fonction de contrats d’objectifs limités par des moyens réduits. On ne sait si, dans ce cas, la santé et la sécurité au travail y gagneront.
C’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de cet article.