Intervention de Daniel Salmon

Réunion du 17 janvier 2023 à 14h30
Construction de nouvelles installations nucléaires — Question préalable

Photo de Daniel SalmonDaniel Salmon :

Tout d’abord, en mettant ce projet de loi à l’ordre du jour du Parlement, le Gouvernement ne respecte pas le débat démocratique qui a lieu en ce moment même – nous sommes là dans le droit fil de l’histoire du nucléaire.

En effet, sont en cours une concertation publique sur le mix énergétique, ainsi qu’un débat, organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) jusqu’au 27 février prochain, sur le projet de construction d’une paire d’EPR 2 sur le site de Penly, et, plus largement, sur le programme de construction de six nouveaux réacteurs.

Ce projet arrive également avant les débats qui doivent se tenir autour de la future loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat, dont doivent découler la programmation pluriannuelle de l’énergie et la stratégie nationale bas-carbone. C’est à l’issue de ces débats, et évidemment pas avant, que sera défini notre mix énergétique, et je note que, sur ce point, nous sommes en accord avec le rapporteur.

En plaçant le présent projet de loi dans ce calendrier, l’idée du Gouvernement est de gagner quelques mois – quelques mois à comparer aux trente-quatre années d’études et de construction pour un EPR qui n’a pas encore fourni 1 mégawattheure !

Demander aux parlementaires de voter un projet de loi actant une relance du nucléaire avant cette loi de programmation, alors qu’aucune obligation légale ou réglementaire ne l’impose, nous paraît largement prématuré et profondément anti-démocratique. Quel est l’objectif, sinon mettre les acteurs concernés, ainsi que nos concitoyens, devant le fait accompli ?

Toutes les garanties doivent être apportées pour que ces choix politiques soient pris dans le respect du Parlement et de nos concitoyens, et non décidés unilatéralement par le chef de l’État, à Belfort.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’oppose au fondement même du projet : la relance du nucléaire.

Nous ne pouvons que nous y opposer, même si nous sommes lucides sur le fait de devoir encore, hélas ! composer avec le nucléaire existant un certain temps. Depuis des années, en effet, l’inaction est de mise sur l’efficacité et la sobriété, et le rythme de développement des énergies renouvelables n’a pas été respecté.

Il n’est pas acceptable de relancer des activités nucléaires polluantes et dangereuses qui nous engagent pour au moins un siècle, alors que les menaces de tous ordres, en particulier les bouleversements climatiques, vont accroître de façon considérable les risques encourus par cette filière.

Qui peut vraiment prédire le climat et l’état de la planète en 2050, alors qu’il y a déjà d’énormes incertitudes sur les cinq ans à venir ? Ce n’est pas acceptable, d’autant que des solutions alternatives totalement crédibles, non dangereuses, plus rapides à mettre en œuvre et bien moins chères sont à portée de main.

Nous tenons en premier lieu à souligner l’incohérence de l’objectif affiché dans l’exposé des motifs quant à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Le temps de développement des nouveaux réacteurs est long, très long – soyons lucides, on ne peut pas envisager une échéance de moins de quinze ans, et probablement de vingt ans. Or le dérèglement climatique demande des solutions ayant un impact fort dans les dix années à venir. C’est maintenant qu’il faut agir, et radicalement !

D’ailleurs, le Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, classe le nucléaire loin derrière les énergies renouvelables et les économies d’énergie, au regard des objectifs de développement durable qu’il a établis, en prenant en compte les coûts élevés, la nécessité d’un soutien public très important, l’enjeu de la gestion des déchets, les impacts sur les ressources en eau, la pollution liée aux mines d’uranium, le risque de prolifération, etc.

Nous ne pouvons exposer la question du nucléaire sans parler des enjeux de sûreté.

Les impacts des accidents nucléaires survenus dans le passé perdurent. Ainsi, trente-six ans après l’accident de Tchernobyl, des territoires entiers restent contaminés. Il ne suffit pas de minimiser les faits d’une manière mensongère dans une bande dessinée pour que cela devienne réalité ! Il faudra des siècles pour que la radioactivité disparaisse des sols. À Fukushima, il faut continuer à refroidir le combustible. Plus d’un million de tonnes d’eau contaminée restent présentes sur le site.

En France, un accident nucléaire n’est pas une vue de l’esprit : un tel scénario a été chiffré par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) – jusqu’à 430 milliards d’euros pour un accident majeur. Selon Gregory Jaczko, ancien président de l’Autorité de sûreté nucléaire américaine, les accidents nucléaires graves sont inéluctables.

Le nucléaire est un malade chronique, qu’il faut surveiller sans cesse en temps de paix. Mais il faut ajouter à cette maladie une vulnérabilité intrinsèque face aux agressions extérieures, ce qui en fait une énergie profondément dangereuse. Nous pouvons le constater encore aujourd’hui avec la situation gravissime autour de la centrale de Zaporijia, en Ukraine.

Autre sujet de vulnérabilité, dont les manifestations vont aller croissant : les bouleversements climatiques, entraînant une hausse du niveau de la mer, un accroissement de la température et une baisse du débit des fleuves, des tempêtes et tornades de plus en plus fréquentes et violentes, des inondations… Qui peut prévoir ce qui se produira avec des EPR conçus aujourd’hui, mais qui entreront en production en 2040, dans un monde dont la température aura augmenté de 2 degrés, et termineront leur carrière en 2100, avec, peut-être, une température ayant progressé de 4 degrés ?

Certains associent facilement nucléaire et souveraineté, mais depuis quand « nucléaire » rime-t-il avec « indépendance énergétique » ?

Nos 210 mines ont produit en totalité l’équivalent de dix ans de consommation. Elles sont toutes fermées depuis vingt ans. Aujourd’hui, 100 % du combustible est importé. Ces importations se font au prix de compromissions avec certains régimes autoritaires et au mépris de la santé des populations locales. Au Niger, par exemple, l’extraction d’uranium suscite des poussières radioactives, empoisonne l’eau et la nourriture et affecte la santé des habitants.

Quant au coût du démantèlement des centrales en fin de vie, sur ce sujet comme sur d’autres, EDF avance des chiffres totalement fantaisistes, déconnectés des réalités.

Les déchets sont l’autre bout de la chaîne d’un cycle qui n’est pas du tout fermé, malgré ce que l’on entend dire. Stockés dans des piscines, exportés, non comptabilisés, ces déchets attendent une issue. Ce sera peut-être Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) pour les plus radioactifs, un enfouissement sans retour aux risques et aux coûts sous-estimés. Pour les moins radioactifs, issus des démantèlements, la solution avancée semble être la dissémination, la dilution dans l’environnement.

Tout cela a et aura des coûts faramineux, et c’est bien le contribuable qui devra mettre la main au portefeuille – une habitude pour le nucléaire !

Par ailleurs, où va-t-on vraiment gagner du temps avec ce projet de loi ? Ce ne sont pas les procédures administratives en matière d’urbanisme ou de droit de l’environnement qui freinent le déploiement du nucléaire, comme le laisse croire ce texte. Cette analyse simpliste ne permet pas de poser les vraies questions sur les défaillances et les contraintes structurelles de l’énergie atomique.

Il faut plutôt chercher dans les domaines du travail de conception, des études détaillées, de l’instruction technique. À tout cela s’ajoute l’absence de compétences, qui suscite des malfaçons en cascade.

J’en viens au fleuron, l’EPR, la définition même de ce que l’on appelle un fiasco industriel et économique, mis en cause au mois de juillet 2020 par la Cour des comptes elle-même, au travers d’un rapport extrêmement sévère sur la filière.

Ce rapport revient sur la longue liste des problèmes responsables des retards interminables et du surcoût du chantier de Flamanville, ainsi que des autres réacteurs en construction de par le monde. Surtout, la Cour des comptes met en doute l’opportunité de relancer un nouveau parc nucléaire, appelant l’État à se demander si d’autres options de production d’électricité ne sont pas plus pertinentes et moins chères.

L’EPR, en effet, est aussi un gouffre financier. Ce qui pourrait seulement interroger devient proprement scandaleux lorsque le coût estimé pour Flamanville atteint désormais près de 20 milliards d’euros et que le chantier n’est toujours pas terminé.

Quel acteur du secteur privé pourrait se permettre un budget multiplié par six ? Comment se fier, pour la construction d’autres EPR, …

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