Intervention de Stéphane Piednoir

Réunion du 17 janvier 2023 à 14h30
Construction de nouvelles installations nucléaires — Discussion générale suite

Photo de Stéphane PiednoirStéphane Piednoir :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, intervenant en treizième position dans cette discussion générale, après notamment les excellents rapporteurs Daniel Gremillet et Pascal Martin, j’ai bien conscience que tout ou presque a été dit sur ce texte. Je tenterai toutefois d’apporter un regard peut-être un peu moins technique, et, oserai-je dire, plus « pratico-pratique ».

Mes premiers mots seront pour le titre de ce projet de loi, censé traduire les intentions du Gouvernement. Permettez-moi, en tant que membre de la commission de la culture, d’en faire une présentation quelque peu iconoclaste, fondée sur plusieurs références culturelles bien connues du grand public, de manière à refléter le sentiment assez largement partagé.

S’il fallait trouver un titre qui corresponde précisément aux objectifs affichés, j’opterais volontiers pour l’œuvre de Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu. C’est en effet parce que l’exécutif procrastine depuis dix ans sur la question du nucléaire que nous devons, en catastrophe, envisager les voies et moyens d’accélérer, afin de renouveler notre parc de réacteurs nucléaires.

Dans cette assemblée, chacun sait que le temps perdu ne se rattrape pas. Je rappelle d’ailleurs que Proust a mis seize ans pour achever son œuvre.

Ma deuxième référence, empruntée cette fois au registre pictural, est Le Radeau de La Méduse, tant la gestion de la politique énergétique dans notre pays est un naufrage, dont les récentes tentatives de sauvetage relèvent davantage de la panique générale que d’un plan bien établi.

Ma troisième référence est la chanson de Dalida, Paroles, paroles, particulièrement appropriée pour décrire les déclarations successives du président Macron depuis deux ans, à grand renfort de communication, sans qu’aucune décision concrète soit venue les traduire de manière formelle à ce jour.

Enfin, le populaire film La Vérité si je mens ! synthétise bien les atermoiements que nous observons depuis 2017, notamment la valse des ministres qui se sont succédé à la transition écologique et énergétique, capables de dire tout et son contraire dans un laps de temps assez réduit.

Le bilan du président Macron est lourd : deux pas en arrière avec la fermeture effective des deux réacteurs de Fessenheim, un bond dans le passé avec l’arrêt du programme de recherche Astrid sur les réacteurs de quatrième génération et, aujourd’hui, un tout petit pas en avant avec ce texte aux promesses bien ténues, portant essentiellement sur l’allègement des formalités administratives.

Madame la ministre, le propos peut paraître quelque peu acide, mais il est temps de prendre des positions qui engagent de nouveau notre pays sur la voie d’une souveraineté que d’autres – le général de Gaulle et le président Pompidou en tête – ont su patiemment bâtir en assurant la construction de notre parc électronucléaire en moins de vingt ans.

Une doxa idéologique s’est progressivement imposée dans le débat public national, appuyée par une communication – il faut le dire – assez efficace.

Je prendrai l’exemple assez significatif de la prétendue durée de vie de nos réacteurs. Celle-ci aurait été fixée à quarante ans dès l’origine, en vertu d’une forme d’obsolescence programmée. Il s’agit d’une légende urbaine couramment reprise jusqu’au plus haut niveau de l’État et dont le seul objectif est de discréditer la filière.

Pis, nous sommes aujourd’hui en infraction par rapport à notre propre législation, qui prévoit depuis 2006 la fermeture du cycle du combustible, que seuls les réacteurs à neutrons rapides permettent.

Diviser par dix la quantité de déchets produits, limiter la prolifération de plutonium, pouvoir utiliser les 300 000 tonnes d’uranium appauvri disponibles sur notre sol, assurer la production d’électricité pour plus de 1 000 ans : la promesse d’un nucléaire durable était trop belle et trop tangible pour que quelques idéologues ne nous empêchent pas habilement d’y accéder.

On ne dira jamais assez à quel point l’arrêt du programme Astrid, en 2019, emporte des conséquences désastreuses – j’ai eu l’occasion de les recenser dans un rapport intitulé L ’ Énergie nucléaire du futur et les conséquences de l ’ abandon du projet de réacteur nucléaire de quatrième génération Astrid, que j’ai remis avec un collègue député au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques en juillet 2021.

De plus, au moment même où la demande était sur une tendance haussière incontestable et certainement durable, notre pays a choisi de réduire ses moyens d’y répondre de manière opérationnelle.

Pour être encore plus clair, nous avons accepté quantité de mesures, louables au demeurant, visant à mettre fin au recours aux énergies fossiles, mais sans aucune mesure anticipant la tension que cela induirait sur la demande en électricité.

Pis, les décisions visant depuis vingt-cinq ans à condamner la production d’origine nucléaire sur l’autel de petits arrangements politiciens nous ont conduits dans une impasse. Au bout de cette impasse, nos gouvernements découvrent qu’il y a un mur, celui de l’approvisionnement, qui nous conduit à des risques de « délestages », ce terme élégant et diplomatique désignant des coupures de courant.

Au pays des Lumières, notre destin énergétique est désormais entre les mains du gouvernement de l’ombre, qui tente de gérer la pénurie qu’il a lui-même organisée. Pour citer Bossuet, « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

Je salue pour terminer l’excellent travail, très approfondi, de nos rapporteurs pour pousser le curseur aussi loin que possible de manière à affirmer clairement de nouvelles ambitions pour notre pays.

Madame la ministre, vos déclarations récentes laissent toutefois assez peu d’espoir quant à une position favorable du Gouvernement sur les grands principes plusieurs fois évoqués dans ce débat : revenir sur le plafond des 50 % de nucléaire dans notre mix électrique, prolonger, avec l’avis de l’ASN, les réacteurs placés sur la liste funeste des fermetures programmées, supprimer le plafond des 63 gigawatts de potentiel nucléaire.

Dans ce contexte, madame la ministre, au-delà de ce texte, croyez bien que nous serons très attentifs aux engagements que vous prendrez.

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