Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 2 février 2023 à 14h30
Réhabilitation des militaires « fusillés pour l'exemple » — Discussion générale

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, il m’apparaît toujours délicat de regarder l’histoire avec les yeux, les connaissances et les mentalités du présent. Comment nos propres actions de responsables politiques seront-elles jugées dans un siècle ou deux ? Nul ne le sait. Nous agissons tous avec les critères et usages de notre époque, qui paraîtront peut-être inappropriés aux générations futures.

Ensuite, je veux rappeler le contexte de la période 1914-1918 : la guerre est mondiale, totale, et chaque partie joue sa survie. Des millions d’hommes, dont la plupart étaient de simples civils, se battent sur plusieurs fronts. L’ennemi de la France n’est pas n’importe qui : il s’agit de l’Allemagne et de ses alliés, c’est-à-dire d’une puissance économique, industrielle et militaire considérable. Le traumatisme de 1870 habite les esprits. Une nouvelle défaite de la France aurait signifié la fin de notre pays.

Les soldats mobilisés ont, au cours des combats, été confrontés à un niveau de violence inouï et inédit dans une guerre véritablement industrielle, marquée par l’emploi en masse d’armes très meurtrières et terrorisantes. Les conditions de vie des soldats étaient particulièrement rudes, comme le laisse entrevoir actuellement la guerre de tranchées en Ukraine.

Nous savons dorénavant que de nombreuses vies ont été sacrifiées en 14-18, dans des offensives inutiles ou en raison d’erreurs de commandement. La période 1914-1915 étant celle des combats les plus meurtriers et probablement les moins bien préparés. Elle a donné lieu à de nombreux faits de désobéissance militaire suivis de multiples condamnations ; cela a été mis en lumière en 2013 par le rapport Prost.

En outre, les blessures physiques des soldats s’accompagnaient souvent de troubles psychiques, désormais connus comme des syndromes post-traumatiques, qui altèrent le jugement et annihilent la volonté.

Pour autant, face à un ennemi coriace, la France ne pouvait se payer le luxe de perdre du terrain ou de voir ses troupes gagnées par des actes de désobéissance ou par une démoralisation générale. Des mesures radicales ont alors été prises, conformes à l’esprit de l’époque et à la situation de guerre.

Tous les belligérants ont d’ailleurs prononcé des condamnations à mort dans leurs rangs. Signe des temps, des procès hâtifs ont été tenus, au cours desquels les droits de la défense étaient limités. Il faut souligner et enseigner cette réalité, qui fait partie de notre histoire collective.

Néanmoins, il me paraît inapproprié de mettre sur un même plan ceux qui, épuisés et la peur au ventre, ont pourtant accompli jusqu’au bout leur devoir face à l’ennemi, y laissant souvent la vie, et ceux qui, pour des raisons que l’on peut entendre, n’ont pas voulu se battre. Je me garderai bien de juger ces derniers : des tribunaux l’ont déjà fait et des réhabilitations ont eu lieu dès les années 1920.

À cet égard, je citerai de nouveau le rapport d’Antoine Prost : « Imaginer qu’on puisse aujourd’hui établir une vérité sur la plupart des cas de fusillés est pure illusion ».

Si, comme une majorité des membres de notre commission, je n’approuverai pas cette proposition de loi, elle nous offre l’occasion de rappeler la mémoire de tous les soldats de cette guerre épouvantable, qui a brisé les corps et les esprits et qui a durablement affaibli l’Europe.

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