Intervention de André Gattolin

Réunion du 2 février 2023 à 14h30
Réhabilitation des militaires « fusillés pour l'exemple » — Discussion générale

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme tout texte législatif à dimension mémorielle, la proposition de loi que nous examinons est particulièrement sensible.

Sur le fond, la question ici posée est de savoir quel statut nous devons, plus d’un siècle après les faits, accorder à 639 soldats de l’armée française ayant été condamnés pour désobéissance militaire par un conseil de guerre entre 1914 et 1918 et n’ayant pas fait l’objet d’un procès en réhabilitation durant les années qui ont suivi la fin de la guerre.

Par leurs actes, ces 639 militaires exécutés ne sont, disons-le clairement et avec des mots crus, ni des héros ni des salauds.

Ce ne sont pas des héros, car, si d’une certaine manière ils sont morts par la France, ils ne sauraient être considérés comme des morts pour la France – une acception clairement codifiée dans notre droit.

Ce ne sont pas non plus des salauds, car aucun d’entre eux, sur cette longue liste de noms, n’a été condamné pour des faits d’espionnage ou de ralliement à l’ennemi.

Il s’agissait tout simplement de soldats engagés dans des combats d’une férocité inouïe et qui, dans des circonstances extrêmes, ont refusé d’obéir aux ordres et de rejoindre leur bataillon ou qui se sont gravement mutilés en vue d’être démobilisés ou gardés à l’arrière du front.

En l’état, et en dépit des déclarations et des gestes successivement engagés par le Premier ministre Lionel Jospin et par les présidents Sarkozy et Hollande, ils demeurent des parias de la Nation. À mon sens, comme à celui de nombre d’entre nous, ce n’est pas admissible.

Le problème qui se pose, c’est que le texte que nous examinons, après son adoption à l’Assemblée nationale, est entaché de nombreuses imperfections et même, je le crains, de vices de constitutionnalité.

Alors qu’il vise à restaurer la dignité des militaires qui ont été exécutés, il déborde largement de ce cadre, en instruisant une sorte de procès des autorités politiques, militaires et judiciaires de l’époque.

Historien de formation, j’appréhende toujours avec beaucoup de précautions, voire de méfiance, les lois mémorielles, qu’elles émanent du Gouvernement ou du Parlement.

Je rappelle que nous sommes tous, dans cet hémicycle, des législateurs, ce qui nous enjoint d’être soucieux de la conformité de nos lois avec la Constitution. À ce titre, il est dommage que ce texte n’ait pas été soumis à un avis préalable du Conseil d’État, comme c’est possible depuis la réforme constitutionnelle de 2008.

Mon plus gros doute concerne l’habilitation juridique du Parlement à procéder de son seul fait à « une réhabilitation générale et collective, civique et morale » des militaires fusillés.

L’acte de réhabilitation, dans notre droit, relève d’une procédure judiciaire qui ne peut être mise en œuvre que par un juge. Il passe par la réouverture des dossiers individuels de chacun des cas concernés.

Conscient de l’importance du sujet, j’ai déposé un amendement visant à réécrire l’article 1er de cette proposition de loi – et non pas l’histoire –, en substituant notamment la notion de réinscription des militaires fusillés dans la mémoire nationale à celle, à mon sens très discutable, de réhabilitation collective, dans une approche plus juste et plus conforme aux principes fondamentaux de notre droit.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion