Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite m’adresser à mes collègues les plus réticents à voter cette proposition de loi, en insistant sur ce qu’elle n’est pas.
Ce texte ne vise pas réhabiliter des traîtres, des espions ou des déserteurs – aucun des soldats figurant sur la liste des 639 fusillés pour l’exemple de la Première Guerre mondiale n’a été reconnu comme tel.
Nombre de ces condamnés pour refus d’obéissance ou abandon de poste ont en réalité commis des actes bien compréhensibles, comme celui de s’endormir à leur poste, de se replier parce qu’ils n’avaient plus de munitions ou de méconnaître un ordre qu’ils n’avaient pas entendu ou mal compris.
Voilà deux ans, nous commémorions dans mon département, la Loire, la réhabilitation des six martyrs de Vingré, aux côtés du maire d’Ambierle et des descendants de deux de ces soldats, natifs de cette commune.
Engagés en 1914 dans la défense du village de Vingré, ils ont été fusillés pour abandon de poste, parce qu’ils avaient obéi à l’ordre de repli de leur sous-lieutenant. Si les fusillés de Vingré ont été réhabilités en 1921, quelque 639 familles attendent toujours que cette marque d’infamie soit enfin effacée.
La présente proposition de loi ne vise pas à réécrire l’histoire. M. Antoine Prost, président du conseil scientifique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, l’a parfaitement expliqué dans son rapport : « L’histoire des fusillés de 1914-1918 ne réserve à nos yeux aucun mystère, mais la question posée est celle de la mémoire qu’en veut conserver la Nation. C’est à elle de s’en saisir. »
C’est exactement ce que nous faisons avec ce texte, qui ne tend aucunement à ternir l’histoire de notre pays et de son armée.
Tous les protagonistes de cette guerre ont prononcé des sentences de mort dans des conditions similaires. Mais nos alliés néo-zélandais, canadiens et anglais ont réalisé le travail que nous engageons aujourd’hui en amnistiant ou réhabilitant leurs fusillés. Notre pays s’honorerait lui aussi à tourner cette page de son histoire.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, cette proposition de loi ne ternira en rien la mémoire des soldats honorés chaque 11 novembre. Selon les propres termes d’Antoine Prost, encore, « les soldats revenus du front haïssaient avant tout ceux qu’ils appelaient “les embusqués”, les planqués, les profiteurs, pas ceux qui avaient subi à leurs côtés le grand massacre. »
En tant que législateurs, nous avons aujourd’hui la possibilité de réunir enfin dans notre mémoire collective et sur nos monuments ces hommes qui ont combattu côte à côte et qui ont perdu la vie durant cette guerre.