Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France a attendu que les effets du réchauffement climatique se fassent ressentir avec plus de force et, surtout, que la sécurité d’approvisionnement en énergie se fragilise pour relancer enfin le nucléaire et les énergies renouvelables. Que de temps perdu ! Cela nous impose désormais de légiférer dans l’urgence pour nous mettre au pas et rattraper plus de vingt ans d’inertie afin de préserver notre souveraineté électrique.
Comme le disait si bien John Fitzgerald Kennedy : « La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline. » Ne faisons pas davantage le procès du passé, car les débats ont révélé un oubli des responsabilités collectives et un rabâchage des mêmes excuses et de postures idéologiques. Mais les revirements ne constituent pas une spécificité nationale : l’Allemagne et la Belgique ont repoussé la sortie du nucléaire, la Suède et les Pays-Bas procèdent à sa relance, quand d’autres pays, comme la Pologne, se lancent dans la construction de réacteurs.
Mes chers collèges, le mix énergétique doit être diversifié. Je regrette que le Sénat ait remplacé cet objectif par celui de décarbonation. Les études prospectives réalisées ces dernières années le démontrent : plus la diversification est poussée, plus on maîtrise les incertitudes dans l’accès aux matières critiques, les technologies ou les coûts. Toutes les énergies décarbonées ont leurs avantages et leurs inconvénients. C’est un pari que nous faisons, car l’équation est complexe.
Atteindre un mix 100 % renouvelable d’ici à 2050 ne serait pas réaliste. Ce serait non seulement coûteux, mais irréalisable, puisque nous ne disposons pas des moyens de stockage d’électricité nécessaires pour pallier les intermittences – même si les investissements dans l’hydrogène connaissent un coup d’accélérateur en raison du nouveau contexte géopolitique.
Il nous faut préserver une certaine souplesse pour adapter nos objectifs de politique énergétique à ce contexte, aux freins sociaux, économiques et financiers, ainsi qu’au rythme des avancées en matière d’innovation, qui ne peuvent se décréter.
Les choix du passé s’imposent pour l’avenir. On ne peut faire table rase d’une réalité qui, elle aussi, s’impose à nous : le mix électrique français repose à 70 % sur l’énergie nucléaire.
Par ailleurs, les efforts de sobriété doivent également être poursuivis en parallèle si nous ne voulons pas sombrer dans la décroissance. En effet, les premiers réacteurs EPR 2 ne seront pas disponibles avant 2035, voire 2037, au mieux.
Pour revenir au cœur du débat, ce projet de loi contribuera à accélérer la procédure administrative en matière de construction de nouveaux réacteurs et à prévenir les contentieux en limitant les occasions de former des recours dilatoires, sans pour autant modifier les règles de fond des autorisations environnementales et des autorisations de création.
Le choix d’implanter des projets sur les sites existants, ou à leur proximité immédiate, renforcera leur acceptabilité, mais aussi leur réussite, les territoires étant déjà prédisposés pour les accueillir. C’est le cas de la centrale du Blayais, chère à notre collègue Nathalie Delattre.
À l’issue de nos travaux, le texte a été complété, notamment par l’intégration de petits réacteurs modulaires, l’extension de la durée d’application des mesures de quinze à vingt-sept ans et la prise en compte des observations des collectivités. Les améliorations portées à la consultation du public sont bienvenues.
En revanche, la question de la fermeture du cycle du combustible est loin d’être réglée. Je regrette l’abandon du projet Astrid, réacteur de quatrième génération, qui remet en cause la stratégie de la France en la matière.
Enfin, si nous saluons une meilleure prise en compte du dérèglement climatique et des cyberattaques, nous regrettons que le périmètre des plans particuliers d’intervention n’ait pas été élargi, comme le proposait notre collègue Véronique Guillotin.
Restons lucides : ce projet de loi ne règle en rien les retards accumulés par notre pays, qui n’a plus construit un seul réacteur depuis vingt ans. Les déboires du chantier de Flamanville doivent servir d’épouvantail. Ce texte demeure symbolique dans son contenu. Des obstacles, qui ne relèvent pas des procédures, persisteront.
Outre les difficultés de recrutement à résoudre, il faudra préciser rapidement le volet relatif au montage financier.
Par ailleurs, quelle régulation du marché de l’électricité sera appliquée en France et en Europe ? Le mécanisme d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), qui doit prendre fin en 2025, ne protège ni les consommateurs français ni EDF, lourdement endettée à la veille de sa nationalisation.
Le marché de l’énergie doit être réformé. On ne peut continuer à subventionner les fournisseurs alternatifs et à favoriser la concurrence pour la concurrence, sans aucune incitation à l’investissement. Oui à la souveraineté, mais oui aussi à la solidarité au niveau européen et à plus d’équité !
En ce qui concerne le calendrier, la concertation publique arrive soit trop tôt, soit trop tard : trop tard, car elle aurait dû avoir lieu il y a quelques années ; trop tôt, car nous ne disposons pas des études de faisabilité et de la liste des sites d’implantation non plus que du coût total du programme de relance du nucléaire et de ses modalités de financement. S’il est facile d’acter des objectifs dans la loi, ceux-ci doivent être réalistes.
Le débat public se poursuit actuellement et la représentation nationale aura l’occasion de s’en saisir. Que l’on y soit favorable ou non, les amendements du rapporteur visant à supprimer le plafonnement de la part du nucléaire à 50 % en 2035 ont quelque peu préempté ce débat.
Cela étant, cet ajout ne constitue pas une ligne rouge pour notre groupe. Gageons que l’architecture générale des choix énergétiques de la France disposera de ses murs porteurs d’ici à la fin de cette année. Ainsi, le groupe RDSE votera en faveur du projet de loi.