Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 24 janvier 2023 à 14h30
Construction de nouvelles installations nucléaires — Vote sur l'ensemble

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je voudrais ici rappeler le contexte et les objectifs qui étaient les nôtres lors de la discussion de ce texte visant à accélérer la construction d’installations nucléaires sur des sites existants ou à leur proximité.

Le contexte, c’est celui de cinq années de désintérêt, de tergiversations au plus haut niveau de l’État, débouchant en février 2022 sur une décision de commande ferme de six EPR 2 et de mise à l’étude de huit unités supplémentaires, avec l’espoir d’une hypothétique mise en service, dans le meilleur des cas, en 2035, et sans avoir lancé de débat ou de consultation, un tant soit peu démocratiques, avec les premiers concernés : nos compatriotes.

Pendant des années, nous avons sollicité, sans cesse, les gouvernements, les uns après les autres, afin d’engager ce débat avec les Français et, au Parlement, avec vous.

Nous vous avons interpellée, madame la ministre, au sujet de la nécessité de prendre le temps d’avoir un débat approfondi sur le mix énergétique, qui doit évoluer au regard de l’indispensable sortie des énergies fossiles.

Sans cesse, nous avons rappelé la situation alarmante d’EDF et attiré l’attention sur la crise de l’énergie que nous voyions se développer bien avant la crise géopolitique européenne actuelle.

S’agissant des objectifs, quelle organisation adoptée pour l’énergéticien français, qui sera bientôt, peut-être, 100 % public ? Après le projet Hercule rebaptisé Grand EDF, nous n’avons toujours aucun échange, sur le fond, avec vous, qui représentez l’État.

Dans le cadre de quelle stratégie sommes-nous ? Avec quels moyens financiers ? Pour servir quels objectifs de souveraineté industrielle, dans l’intérêt premier des consommateurs aussi bien particuliers, professionnels qu’industriels ? Sur la base de quelles propositions françaises de réforme du marché européen ? Un marché qui a démontré son inadéquation avec les intérêts stratégiques des États membres et de l’Union européenne.

Lors de la discussion générale, j’indiquais que nous ne voulions pas que ce projet de loi soit le prétexte à la tenue d’un pseudo-débat d’affichage sur une partie, fût-elle importante, du mix énergétique dont la France a besoin, de toute urgence, pour répondre aux enjeux climatiques.

Sans débat de fond entre nous, portant sur ce que pourrait ou devrait être le mix énergétique, la majorité sénatoriale a élargi le périmètre du projet de loi initialement consacré à la simplification des procédures de délivrance des autorisations.

Nous nous sommes opposés à ce changement de périmètre. Pourquoi ? Parce que ce débat ne peut pas être traité à la légère, au Parlement, au détour – et en quelques heures de discussion – d’un texte qui ne lui est pas entièrement consacré et qui n’a pas été préparé dans ce but.

À tout le moins, convenez-en, une solide étude d’impact, s’appuyant notamment sur les études robustes de Réseau de transport d’électricité (RTE) ou de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), est nécessaire.

Or s’agissant du seuil des 50 % comme de celui des 63, 2 gigawatts, nous n’avons rien ! Nous ne sommes plus dans les années 1960 ou 1970 ; ce débat intéresse et concerne l’ensemble des Français !

En outre, comme le prévoit la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, les Français ont à connaître et doivent pouvoir discuter des politiques énergétiques comme climatiques qui conditionneront la durabilité, si ce n’est la viabilité, du monde de demain.

A contrario du trop peu de considération – c’est un euphémisme – accordée à la Convention citoyenne pour le climat, nous devons respecter les débats en cours, animés par la CNDP, portant sur l’avenir énergétique du pays et sur la composition de notre futur mix énergétique, ainsi que les consultations sur les nouveaux EPR 2.

Respecter la dimension consultative ou participative de notre démocratie ne nous permet pas d’anticiper le contenu de la future loi quinquennale, examinée par le Parlement en 2023.

Le mix devra résulter d’un optimum combinant les différents modes de production disponibles, tout en tenant compte de leurs divers effets spécifiques. Nous n’écartons a priori aucun moyen de production décarboné.

Dans une perspective d’emplois et de souveraineté nationale, nous devrons nous donner l’objectif de disposer de filières industrielles implantées dans nos territoires. La formation et la reconnaissance des métiers devront être notre priorité ; cela pour chaque mode de production.

Sur le plan technique, les possibilités de prolongation des réacteurs pèseront lourdement sur le mix retenu. Elles ne sont actuellement pas connues ; l’ASN ne les a pas encore instruites.

Au moment où nous parlons, de nombreuses incertitudes technologiques restent aussi à lever.

En considérant ces différents aspects, soyons réalistes et rationnels afin d’adopter une position politique éclairée, dont les effets seront majeurs à long terme. C’est la position de principe du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Quant au débat, l’ensemble de nos amendements tendant au rétablissement du périmètre initial ont été rejetés.

Nous avons aussi voulu porter le débat sur des points de vigilance qui méritent l’attention. Il s’agit de ceux qui sont relatifs à la nécessaire prise en compte des aléas climatiques extrêmes – ressource en eau, trait de côte, inondations, etc. –, autant de sujets qui, avec d’autres, conditionneront la performance et la sécurité du parc de production nucléaire dans les décennies à venir.

Sur ce point, notre groupe a obtenu que soient confortés les moyens humains de l’ASN et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pour maîtriser à la fois l’emploi du nucléaire et les nouvelles contraintes liées aux changements climatiques, nécessitant des expertises supplémentaires.

Enfin, à propos des conséquences des procédures dérogatoires instaurées par ce texte, je soulignerai deux avancées issues de nos propositions.

La première, c’est le renforcement du dialogue avec les exécutifs locaux en amont de la mise en œuvre des procédures dérogatoires de mise en compatibilité des documents d’urbanisme.

La deuxième, c’est la possibilité de s’assurer que la consultation du public se déroulera dans les meilleures conditions possible pour tous les citoyens, notamment en offrant la possibilité de consulter à la mairie un dossier imprimé.

En définitive, le texte soumis à notre vote est hybride : d’un côté, il détaille diverses procédures ; de l’autre, il aborde, sans la traiter correctement – il s’en faut ! –, la question centrale du mix énergétique.

Enfin, sa portée, pour être réelle et utile, est à relativiser. Ce texte permettra de gagner une année, deux au mieux, alors que le pays en a perdu cinq pour des installations industrielles dont la durée de vie pourrait être de soixante ans ou plus.

En conséquence, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstiendra.

Madame la ministre, nous vous demandons d’engager sans tarder le processus de révision du mix énergétique national, en travaillant dès maintenant de façon approfondie avec le Parlement.

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