Intervention de Thomas Dossus

Réunion du 24 janvier 2023 à 14h30
Jeux olympiques et paralympiques de 2024 — Question préalable

Photo de Thomas DossusThomas Dossus :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous aurions vraiment aimé légiférer sur le sport – c’est suffisamment rare !

Nous aurions aimé légiférer pour que les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 se déroulent dans les meilleures conditions et qu’ils laissent un héritage à la hauteur des ambitions environnementales fixées à l’origine.

Nous aurions adoré jouer notre rôle de législateur pour vous accompagner, madame la ministre, dans l’organisation d’un événement auquel nous sommes attachés et dont nous partageons les valeurs, celles de l’olympisme.

Nous aurions aussi aimé débattre sérieusement des conséquences de cet événement sur notre tissu de festivals et d’événements culturels. Nous aurions pu rassurer les milliers de professionnels qui voient leur saison de festivals menacée par des annonces verticales et autoritaires prises sans concertation.

De tout cela, il n’y a rien, ou très peu, dans ce projet de loi.

En revanche, au cœur de ce texte se sont glissées des innovations législatives hasardeuses qui n’ont rien à y faire.

Par une manœuvre d’opportunisme législatif, ce projet de loi s’est éloigné de son ambition initiale pour faire des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 un laboratoire d’expériences sécuritaires. Le public, national ou international, devient, grâce à ce texte, le cobaye d’une fuite en avant expérimentale dans la technologie de surveillance.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Par quel cheminement politique est-on parvenu à la conclusion que l’événement sportif mondial le plus fédérateur ne pourrait être organisé sans le déploiement de technologies d’intelligence artificielle et d’algorithmes de surveillance ?

Certes, il y a bien eu un rapport sénatorial sur ces technologies, mais des rapports du Sénat, on en connaît des dizaines qui n’ont pas eu pour destin d’être transformés en loi d’exception ou d’urgence.

Non, il y a eu un événement déclencheur, un événement traumatisant : il faut au moins cela pour aboutir à la réussite d’un bon cavalier législatif.

Cet événement, on le connaît ; le monde entier le connaît, puisqu’il s’est déroulé en mondovision devant des centaines de millions de téléspectateurs, le 28 mai 2022, le soir de la finale de la Ligue des champions. La capacité de la France à organiser un grand événement sportif international a été, ce soir-là, sérieusement mise en doute.

Les mensonges, manquements et approximations du ministre de l’intérieur comme du préfet de police ont été mis au jour, notamment par notre Haute Assemblée, lors de nombreuses auditions.

Les causes de cet épisode fâcheux se trouvent principalement dans un enchaînement de défaillances organisationnelles, mais aussi dans une mauvaise préparation, l’approche du renseignement adoptée vis-à-vis des supporters anglais se combinant notamment avec une doctrine de maintien de l’ordre inadaptée.

Plusieurs recommandations ont été formulées dans le rapport sénatorial sur cet événement. Peu d’entre elles ont réellement retenu l’intérêt du ministère de l’intérieur ou du ministère des sports, mais il en est une qui a été reprise avec une certaine gourmandise, tant elle était jusqu’alors restée bloquée à cause de son aspect sulfureux : celle qui consiste à adapter en urgence notre cadre législatif, de façon totalement expérimentale, pour mettre en œuvre des traitements d’images par l’intelligence artificielle.

Rappelons tout d’abord que, dans notre rapport sur la finale de la Ligue des champions au Stade de France, cette technologie ne devait concerner que le comptage et la détection des mouvements de foule.

En outre, lors de la remise des conclusions de ce rapport, j’avais déjà signalé les dangers qu’il y avait à utiliser nos grands événements sportifs comme des showrooms sécuritaires.

Disons-le clairement, voir émerger cette recommandation dans ce rapport avait déjà un caractère saugrenu. En effet, l’intelligence artificielle aurait-elle permis d’éviter la défaillance dans l’orientation des supporters anglais ? L’intelligence artificielle aurait-elle déconseillé l’usage immodéré des gaz lacrymogènes sur des supporters pacifiques ? L’intelligence artificielle aurait-elle tiré, en amont, les conclusions d’une grève touchant l’une des deux lignes de RER qui menaient au Stade de France ? En d’autres termes, l’intelligence artificielle aurait-elle fait mieux que les intelligences combinées du ministre Darmanin et du préfet Lallement ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne le pense pas.

Quand on parle d’intelligence artificielle pour la vidéosurveillance, il convient de bien comprendre la technologie dont il s’agit et de mesurer le grand saut qu’elle nous ferait faire dans une société de la surveillance.

Les technologies de vidéo dite « augmentée » désignent des dispositifs vidéo auxquels sont associés des traitements algorithmiques permettant une analyse automatique et en temps réel, deux caractéristiques qui nous font changer de monde.

La Cnil se positionne de manière plus que prudente sur ces technologies, en indiquant qu’elles sont susceptibles d’affecter les garanties fondamentales apportées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques et qu’il serait donc nécessaire de changer la loi : changer la loi, et non expérimenter une nouvelle technologie au mépris de nos libertés publiques.

Non, nos libertés publiques ne peuvent être sujettes à une approche expérimentale ! Non, nos libertés publiques n’ont pas à être le terrain de jeu des start-ups de la sécurité ! Non, nos libertés publiques comme nos données ne doivent pas être marchandées à la légère avec des apprentis sorciers sécuritaires !

Oui, nous avons besoin d’un débat approfondi et éclairé sur ce changement radical dans notre approche de l’espace public. Il a d’ailleurs lieu au niveau européen, mais n’a toujours pas abouti.

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