Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 1er février 2023 à 14h30
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd’hui a été rejeté en commission mercredi dernier, trois jours après l’organisation d’une manifestation « pour la vie » à Paris. Rien de nouveau sous le soleil sénatorial : un texte similaire avait déjà été rejeté en octobre dernier.

Si le recours à l’avortement est protégé en France par la loi Veil du 17 janvier 1975, il ne bénéficie pas pour autant de la protection la plus forte qu’offre notre droit. Sanctuariser, en le faisant entrer dans la Constitution, ce droit fondamental de la femme à disposer de son corps le mettrait à l’abri des tempêtes politiques françaises.

Souvenons-nous de ce qui s’est passé dans des pays de l’est de l’Europe, comme la Pologne ou la Hongrie, et dans une grande démocratie, les États-Unis, sous la pression des conservateurs. L’Italie risque à son tour de s’engager dans cette voie de la régression.

Notre collègue Philippe Bas a proposé une nouvelle rédaction de la formule retenue par l’Assemblée nationale, en substituant à la notion de « droit d’accès à l’IVG » celle de « liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse », liberté déjà reconnue, selon lui, par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juin 2001.

Mais, dans ce cas, quoi de neuf ? La question se pose d’autant plus que « liberté » n’est pas « droit » ; or le recours à l’IVG doit être traité comme un droit effectif, ainsi que le préconisait un rapport d’information réalisé en 2020 par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale.

Combien de temps encore devrons-nous nous battre pour une reconnaissance pleine et entière du droit des femmes à disposer de leur corps, à choisir leur maternité ? Les hommes choisissent bien leur paternité et jouissent bien du droit de reconnaître ou non leur enfant… Pourquoi vouloir toujours, ouvertement ou indirectement, contrôler la sexualité des femmes ?

Si cette navette parlementaire devait échouer au Sénat, il serait opportun que l’exécutif, faisant preuve de courage, se saisisse de la présente proposition de loi constitutionnelle pour en faire un projet de loi.

De surcroît, seul ce véhicule législatif permettrait d’éviter la case du référendum, très périlleuse dans le contexte politique actuel, au cas où les deux chambres se mettraient d’accord sur un texte ; à moins, bien sûr – je ne l’espère pas –, que le but inavoué de l’exécutif soit de faire traîner les choses ou de les rendre difficiles.

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