Intervention de Philippe Bas

Réunion du 1er février 2023 à 14h30
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Quoi qu’il en soit, la rédaction proposée ne définit pas ce qu’est le droit à l’interruption volontaire de grossesse, le présente comme un absolu, une sorte de créance sur la société, et ne prévoit de garanties par le législateur que pour son « effectivité », qui relève plutôt de l’organisation du système de santé, et pour son « égal accès », qui est naturellement une mesure sociale tout à fait estimable, mais qui n’est pas au cœur du débat.

Ce qui est au cœur du débat, en revanche, c’est la substance de ce droit indéfini à l’interruption volontaire de grossesse que les auteurs de cette proposition de loi prétendent vouloir reconnaître.

Comme M. le garde des sceaux l’a suggéré dans son intervention, l’idée que ce droit serait illimité, le mettant à part de toutes les autres libertés constitutionnelles, n’est pas exclue par la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.

Et il nous semble que l’on ne peut reconnaître un droit ou une liberté sans en prévoir aussi les conditions, c’est-à-dire les limites. C’est précisément ce qui fait l’équilibre de la loi Veil : jusqu’à l’achèvement d’un certain délai, c’est la liberté de la femme qui prévaut ; après l’achèvement de ce délai, c’est la protection de l’enfant à naître, dont je m’étonne que personne n’ait parlé.

Cet équilibre fondamental, c’est celui qui, précisément, a fait accepter la loi Veil par la société française depuis près de cinquante ans ; c’est celui qui justifie que se soit nouée une forme de consensus autour du droit à l’interruption volontaire de grossesse tel qu’il a été défini par la loi Veil, nonobstant les quelques réformes qui l’ont fait évoluer au cours du temps.

La question qui se pose à nous est la suivante : est-il pertinent d’inscrire une liberté ou un droit dans la Constitution ? Je réponds que tel est déjà le cas : l’article 1er y fait figurer l’égalité devant la loi et le respect de toutes les croyances ; on y a ajouté la reconnaissance des libertés locales, via l’organisation décentralisée de la République, et l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives. On a décidé également que nul ne peut être condamné à la peine de mort.

La Constitution est donc bien un lieu qui permet d’accueillir des libertés que le pouvoir constituant, qui est souverain et auquel on ne peut assigner aucune limite, veut voir consacrer.

Je vous soumets, mes chers collègues, une contre-proposition au texte qui nous est présenté.

Cette contre-proposition vise à garantir l’équilibre de la loi Veil : elle reprend l’énoncé d’une liberté qui a été reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juin 2001 et elle consolide cette liberté. Mais elle prévoit aussi que le législateur en détermine les conditions, donc les limites, comme l’a prévu la loi Veil.

Ma conviction est que l’on ne peut pas sortir de cette équation : il n’y a pas de droit absolu ; il y a une liberté déjà reconnue et que nous pouvons écrire dans la Constitution, mais à la condition que soient conciliés les droits de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse et la protection de l’enfant à naître après l’achèvement d’un certain délai.

Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez dit tout à l’heure, rappelant une formule célèbre, qu’il ne fallait toucher à la Constitution que d’une main tremblante. Les vôtres, de mains, sont restées dans vos poches !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion