Malgré l’accumulation des dispositifs de pension minimale, force est de constater que la plupart des agriculteurs perçoivent encore des pensions très faibles, en moyenne inférieures de 700 euros par mois à celles de l’ensemble des retraités de droit direct. Les polypensionnés, qui représentent plus de 80 % des assurés du régime, perçoivent des pensions généralement supérieures à celles des monopensionnés.
Comment cette situation s’explique-t-elle ? Assez logiquement, elle résulte de la faiblesse des revenus professionnels des agriculteurs. Je rappelle à cet égard que près des deux tiers d’entre eux ne parviennent pas à atteindre le niveau du Smic annuel. Leur effort contributif s’en trouve donc nécessairement amenuisé par rapport à celui des salariés ou des artisans et commerçants, dont les taux de cotisation sont supérieurs.
Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur l’opportunité de maintenir une des spécificités du régime des non-salariés agricoles en matière de calcul des pensions, à savoir son fonctionnement par points, qui fait reposer le montant de la pension sur l’ensemble de la carrière, tandis que celle des ressortissants des régimes alignés, qui résulte d’un système par annuités, est calculée sur le fondement des seules vingt-cinq meilleures années de la carrière.
En effet, il s’agit, avec le régime des professionnels libéraux, dont les affiliés ne connaissent généralement pas les mêmes difficultés financières, du seul régime de base à fonctionner de la sorte.
Fort heureusement, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) s’est déjà penchée sur le sujet voilà plus de dix ans. Son rapport, bien que devenu en partie obsolète compte tenu, entre autres, des multiples revalorisations des minima de pension intervenues depuis sa publication, nous éclaire suffisamment sur ce scénario.
Il ressort de ces travaux que l’instauration d’un régime par annuités favoriserait les retraités les moins modestes au détriment des plus fragiles.
En effet, la bascule impliquerait l’abandon du barème d’attribution des points actuellement en vigueur au profit d’un mode de calcul fondé sur l’application d’un taux au revenu annuel moyen des vingt-cinq meilleures années. Or ce barème est particulièrement redistributif et très protecteur pour les assurés situés en bas de l’échelle des revenus.
À moins qu’ils ne bénéficient de la PMR, qui leur assure un taux de remplacement supérieur à 50 %, les assurés aux revenus inférieurs à 12 500 euros par an verraient leurs droits diminuer, tandis que les agriculteurs aux revenus plus élevés bénéficieraient d’un taux de remplacement supérieur au taux plein de 50 % appliqué dans les régimes alignés.
De plus, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux ne seraient plus en mesure de valider quatre trimestres par an, comme le leur permet leur assiette de cotisation actuelle, si les règles de validation des trimestres des régimes alignés leur étaient appliquées. Il en résulterait une diminution de leur durée de cotisation et, dans certains cas, la perte du bénéfice de la PMR. Ce n’est pas le sens que nous voulons donner à cette réforme.
Nous préconisons donc de retenir la solution identifiée par l’Igas comme la mieux à même de limiter le nombre de perdants, à savoir l’application de la règle des vingt-cinq meilleures années, tout en conservant un fonctionnement par points. Concrètement, il s’agirait de calculer la moyenne annuelle des points acquis au cours des vingt-cinq meilleures années et de l’appliquer à chaque année de la carrière, comme si l’assuré avait obtenu ce même nombre de points chaque année du début à la fin de son activité.
Sous réserve d’une réactualisation nécessaire des travaux réalisés voilà dix ans, les retraités du régime agricole pourraient voir leur pension augmenter de près de cinquante euros par mois en moyenne. Le coût de la réforme pourrait atteindre jusqu’à 470 millions d’euros à l’horizon 2030, mais sans doute bien moins en réalité du fait des différentes réformes des minima de pension des retraités agricoles menées en 2014, en 2020 et en 2021, qui ont absorbé une partie du coût évalué en 2012.
Quoi qu’il en soit, le régime a les moyens d’assumer une telle charge : en maintenant la part de ses ressources, actuellement supportée par la solidarité nationale, son excédent devrait approcher les 800 millions d’euros en 2026.
L’année 2026 est précisément l’horizon auquel le texte, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, fixe l’objectif de mise en œuvre d’un mode de calcul des pensions de retraite des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq meilleures années. De fait, la MSA n’était techniquement pas en mesure de mettre en œuvre un tel changement avant cette date.
Aux termes de la proposition de loi, il reviendrait au Gouvernement de déterminer par décret les paramètres exacts du nouveau mode de calcul des pensions.
Il devra, à cet effet, remettre au Parlement, dans un délai de trois mois, un rapport présentant les options possibles et celle qu’il envisage de retenir, tout en indiquant les dispositions législatives et réglementaires qu’il conviendra de modifier pour permettre son application, en évaluant ses conséquences sur le montant des cotisations et des pensions et sur l’équilibre financier du régime, et en proposant des mesures de redistribution et de simplification.
Il serait opportun, dans ce cadre, de choisir une montée en charge progressive, de façon à éviter de léser les assurés partis à la retraite juste avant l’entrée en vigueur de la réforme.
En outre, le rehaussement de l’effort contributif des assurés, notamment des conjoints collaborateurs, aux fins d’assurer la validation de quatre trimestres par an, mais également des exploitants les moins modestes, doit être envisagé. Les organisations syndicales en ont pleinement conscience et se disent prêtes à y réfléchir.
Nous souhaitons également que le mode de calcul de la PMR, notamment en ce qui concerne la prise en compte des pensions de réversion, ainsi que le plafond de revenus qui lui est applicable soient alignés sur ceux du minimum contributif, dans une logique d’équité. Nous y serons attentifs.
Mes chers collègues, le texte qui vous est soumis est-il parfait ? Bien évidemment, non : j’estime qu’il n’encadre pas de façon pleinement satisfaisante le rôle confié au Gouvernement de définir les paramètres exacts de la réforme. En outre, le délai de trois mois prévu pour la réalisation d’un travail d’évaluation et la formulation de propositions aussi complexes est largement insuffisant. J’ajoute qu’il n’est pas optimal de se prononcer sans évaluation récente et précise des effets et du coût d’une réforme de cette ampleur.
La commission aurait aimé vous proposer des amendements contribuant à remédier à ces lacunes. Cela aurait toutefois entraîné le renvoi du texte à l’Assemblée nationale, sans garantie d’un nouvel examen ni d’une adoption définitive.
Pleinement consciente de l’importance symbolique de cette grande marque de soutien national à ces femmes et à ces hommes auxquels nous sommes tous redevables, la commission a donc jugé préférable de sécuriser les avancées acquises de haute lutte et vous invite à adopter la proposition de loi dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale.
Tous les écoliers de France connaissent par cœur le trop célèbre mot de Sully : « le labourage et le pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée. »