Intervention de Monique Lubin

Réunion du 1er février 2023 à 22h20
Retraite de base des non-salariés agricoles — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Monique LubinMonique Lubin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, nous ne pouvons qu’être favorables à la présente proposition de loi relative à la mise en place du calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles sur les vingt-cinq meilleures années, dès 2026. Chacun connaît en effet leur situation, bien détaillée par les précédents orateurs ; je n’y reviendrai donc pas.

Si les auteurs de ce texte veulent légitimement mettre fin à cette injustice, cette proposition de loi relève cependant d’un exercice paradoxal : l’objectif est limpide et nécessaire, mais les voies à emprunter pour l’atteindre sont tortueuses et susceptibles d’ajouter de la complexité à un régime de retraite déjà peu lisible.

Notre collègue Raymonde Poncet Monge a d’ailleurs évoqué, lors de nos travaux, un rapport de l’Igas de 2012 qui illustre le défi que se donne la présente proposition de loi. Ses auteurs y soulignent que « l’on ne peut considérer de façon isolée une règle d’un régime de retraite sans examiner l’ensemble des règles de ce régime : un alignement limité à une règle n’est pas une garantie d’équité et peut, au contraire, être inéquitable si certaines règles sont introduites sans d’autres qui constituent leur contrepartie. Si le régime des non-salariés agricoles doit être réformé, cette réforme ne devrait donc pas porter sur la seule règle du calcul sur les vingt-cinq meilleures années, mais sur la globalité du régime ».

Notre projet de changer la règle de calcul des pensions agricoles porte donc en creux une très grande ambition.

Le régime des non-salariés agricoles est en effet une machine complexe, qui a pour caractéristiques, d’une part, de reposer sur un système de points, d’autre part, de se composer d’une retraite de base ainsi que d’une ou de plusieurs retraites complémentaires, à leur tour éventuellement complétées d’une épargne retraite collective ou individuelle.

Cette complexité a une histoire. Éric Rance rappelait en 2002, dans son article La protection sociale des exploitants agricoles en mutation, que c’était la loi du 10 juillet 1952 qui avait instauré un véritable régime d’assurance vieillesse pour les agriculteurs. Il y soulignait toutefois que « le système n’a[vait] été conçu que dans un objectif de protection sociale minimale pour éviter autant que possible le prélèvement sur les revenus agricoles. »

À cette époque, le système en question ne comportait « qu’une seule prestation, l’allocation de vieillesse agricole, d’un montant uniforme, et égal à la moitié de l’allocation aux vieux travailleurs salariés ».

Nous parlons donc d’un régime social agricole en proie, dès ses origines, à une tension entre assurance privée et assurance sociale.

Nous travaillons aujourd’hui à résoudre cette tension : les professions agricoles sont des parties prenantes actives et indispensables à l’aménagement de leur régime de retraite, de manière à ce qu’il évolue vers les mêmes principes que le régime général.

Malgré l’objectif partagé par les parlementaires et les retraités, actuels et futurs, du monde agricole, beaucoup reste à faire pour que la situation nous semble satisfaisante. Si les lois Chassaigne nous ont permis d’avancer en ce sens, c’est leur acquis que le présent texte veut encore améliorer.

L’apport de ces lois est effectivement considérable pour ce qu’elles ont permis d’inscrire coup sur coup dans le marbre.

En 2020, la première loi Chassaigne revalorise le complément différentiel de retraite complémentaire des chefs d’exploitation à hauteur de 85 % du Smic net agricole. Elle concerne les anciens chefs d’exploitation ayant une carrière complète.

En 2021, la deuxième loi Chassaigne porte revalorisation de 100 euros en moyenne par mois des plus petites retraites agricoles, des retraites des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux.

Toutefois, ces textes ont perdu de leur portée avec l’écrêtement introduit par amendement gouvernemental lors des débats de 2020 et par les décrets d’application.

L’histoire avait certes mal débuté. Dès mai 2018, le Gouvernement refusait de voter l’amendement d’André Chassaigne visant à faire passer la retraite agricole minimale à 85 % du Smic, au prétexte que cela devait être traité dans la réforme globale des retraites. Ce fut le premier des nombreux actes d’obstruction de l’exécutif sur cette réforme.

L’amendement du Gouvernement à la première loi Chassaigne de 2020 disposait que « les retraités qui touchent déjà au moins 85 % du Smic ne puissent pas prétendre à un tel complément ». Son adoption a eu pour conséquence de subordonner le complément prévu au fait d’avoir demandé l’ensemble de ses droits à retraite, avec un écrêtement opéré en fonction du montant de retraite, tous régimes cumulés.

Le résultat ne s’est pas fait attendre : partout en France, nos retraités agricoles ont reçu de la MSA des relevés de pension, dont certains ont parfois suscité des déceptions.

J’ai moi-même été saisie par un ancien exploitant agricole. Il m’a indiqué ne bénéficier que d’une augmentation très modeste, car le calcul prend en compte ses bonifications pour enfant. Après avoir espéré atteindre une pension de retraite enfin digne, il a acté qu’il ne recevrait pas plus de 940 euros net de pension par mois. Pour lui, la plus-value de la réforme s’est limitée à un gain de 7, 44 euros !

Ces multiples problématiques posées par le régime des retraites agricoles se manifestent aussi pour les polypensionnés. Michaël Zemmour souligne, dans son livre sur la protection sociale, que leur situation « est souvent désavantageuse (parfois fortement) car elle conduit à prendre en compte dans le calcul d’une partie de la retraite – celle du premier régime auquel on a été affilié – des années de début de carrière, relativement mal payées, et qui auraient été exclues du calcul si les personnes avaient passé toute leur carrière dans le même régime ».

Au vu de ces complexités, nous nous inquiétons pour la définition des modalités de calcul des pensions de retraite agricole sur la base des vingt-cinq meilleures années que prévoit la présente proposition de loi.

L’adoption, à l’Assemblée nationale, d’un amendement disposant qu’un rapport serait remis dans un délai de trois mois au Parlement permettra peut-être d’y voir plus clair et de surmonter l’obstacle technique et législatif, même si, comme notre rapporteure l’a souligné, les délais paraissent courts pour un dossier aussi complexe.

Ce rapport présentera, par exemple, les scenarii envisagés, les dispositions législatives et réglementaires à modifier, les conséquences sur le montant des cotisations et des pensions et sur l’équilibre financier du régime…

Creusant ce sillon, l’amendement par lequel notre collègue Raymonde Poncet Monge nous propose une amélioration dudit rapport va dans le bon sens. Il s’agit d’y intégrer des critères visant à favoriser la correction d’une partie des défauts du régime des retraites agricoles, mais aussi de parer les effets pervers que pourrait avoir le calcul des retraites sur les vingt-cinq meilleures années porté par le présent texte.

Évaluant en 2012 les modalités d’une réforme semblable à celle-ci, l’Igas signalait notamment ses potentiels effets anti-redistributifs : les retraités les plus aisés risquaient ainsi de bénéficier de la solidarité des moins bien lotis, lesquels, eux, cotiseraient en vain.

Associer un rapport au passage à la méthode de calcul sur la base des vingt-cinq meilleures années est une réponse intéressante pour éviter de tels écueils.

Nous voterons cette proposition de loi, en espérant que les travaux complémentaires attendus permettront une application juste.

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