Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne répéterai pas les conclusions de nos brillants rapporteurs MM. Duplomb, Louault et Mérillou, mais il faut nous rendre à l’évidence : notre excédent commercial agricole s’érode et nous perdons en compétitivité. Le Sénat formule vingt-quatre recommandations afin d’y remédier à l’horizon de 2028.
Heureusement, la France demeure une grande puissance agricole et conserve son rang de principal producteur européen, devant l’Allemagne et l’Italie. Néanmoins, en vingt ans – cela a été dit –, elle est passée du deuxième au cinquième rang mondial.
Je pourrais me satisfaire de cette situation et dire que, finalement, nous ne nous en sortons pas si mal. Mais, monsieur le ministre, ce serait nier plus de vingt ans de travail au Sénat et de rencontres avec les organisations agricoles.
Ce serait nier le rapport parlementaire portant sur le suicide des agriculteurs, rédigé par Henri Cabanel et moi-même.
Ce serait nier, monsieur le ministre, six années de rapports budgétaires et d’auditions, au cours desquelles nous constations une perte de compétitivité des exploitations françaises, due bien souvent à une surtransposition de normes européennes ou à des contraintes que je qualifierai d’« administrato-paperassiales », qui plombent la vivacité de nos fermes.
Pour illustrer mes inquiétudes et mes alertes, je rappelle qu’en 2021, le solde commercial français s’élève à 8 milliards d’euros. Certes, cela correspond à une progression de 3, 4 % par rapport à son niveau en 2019, mais celle-ci est principalement due aux exportations de vins et spiritueux, dont le solde est de 14, 2 milliards d’euros.
Cette filière constitue le fleuron d’un secteur agroalimentaire qui n’arrive pas à valoriser correctement le reste de ses produits. En clair, sans les vins, nous serions déficitaires ! Cela ne choque pas un État surendetté, mais permettez-moi de l’être.
À qui et à quoi attribuer cette perte de compétitivité ? Peut-être à la stratégie du « tout montée en gamme » conduite par votre majorité depuis 2017 ?
Nos rapporteurs citent le « poulet du dimanche ». Ainsi, les Français se tournent vers la découpe et les produits élaborés, dont 16 % seulement proviennent des signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine (Siqo). Le vaste marché du poulet standard est donc ouvert aux importations et près d’un poulet sur deux est importé, contre 20 % en 2000 !
Je peux citer l’exemple des betteraves, qui se trouvent coincées par la justice européenne ! Mais, rassurez-vous, le Brésil saura nous vendre du sucre pour pas cher, produit dans des conditions déplorables pour l’environnement ou le droit social…
J’évoquerai le coût de la main-d’œuvre, qui est de une à trois fois plus élevé qu’en Espagne, qu’en Allemagne ou qu’en Pologne.
Je pourrais multiplier les exemples de surtransposition des normes européennes. En effet, notre pays se caractérise par la place importante des surtranspositions « politiques », pour lesquelles l’arbitrage politique l’emporte sur le choix d’une transposition mesurée.
D’autres pays se sont également posé cette question. Il en ressort que la majorité des États affichaient une part de normes d’origine européenne plus faible que la nôtre : 14 % pour le Danemark, 10 % pour l’Autriche.
Je vous l’accorde, ce taux est de 39 % pour l’Allemagne – soit ! –, mais pour contrebalancer ce poids, depuis 2015, ce pays surveille l’impact de la législation européenne sur ses entreprises et a adopté le principe du one in, one out pour contenir la complexité. Cette politique aurait permis de baisser les coûts de 3, 5 milliards d’euros depuis 2015. Trois milliards et demi, monsieur le ministre !
Nous n’en sommes pas à notre première interpellation sur ce sujet.
Monsieur le ministre, il vous faut dresser le bilan de vingt années de stratégie agricole. Quels en sont les résultats ? Stoppons le déclassement international, il est encore temps d’inverser la tendance ! Écoutez le Sénat, monsieur le ministre, il est l’écho de la ruralité et de nos agriculteurs !