Intervention de Thomas Dossus

Réunion du 9 février 2023 à 14h30
L'état territorial entre mirage et réalité — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales

Photo de Thomas DossusThomas Dossus :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un monde idéal, les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État devraient être en mesure de répondre parfaitement aux besoins des habitantes et des habitants, comme aux besoins des élus de leur territoire.

L’action publique serait facilitée par une organisation claire, fluide et efficace de la gouvernance à l’échelon local. Les actrices et acteurs publics locaux seraient valorisés et disposeraient de compétences et de moyens importants pour jouer leur rôle. Enfin, les services publics seraient accessibles à toutes et tous.

Force est de constater que ce doux rêve n’est pas la réalité !

Les nombreux échanges que chacun d’entre nous peut avoir avec les élus locaux montrent au quotidien le mirage qu’est l’État territorial à proprement parler. L’excellent rapport d’information sur l’État dans les territoires, réalisé au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation par mes collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, en fait une démonstration limpide.

Prenons déjà l’ensemble des réformes des collectivités et des services déconcentrés. Les années passent, et ces réformes se multiplient au gré des conjonctures politiques. La révision générale des politiques publiques, la modernisation de l’action publique et la loi 3DS en sont autant d’illustrations. Et venant d’une métropole à statut particulier, celle de Lyon, je puis vous indiquer que la lisibilité de l’action publique, qu’elle soit étatique ou territoriale, reste très floue pour nos concitoyens, pour qui le vent des réformes a brouillé la compréhension de l’action publique.

S’il y a un point commun à ces réformes, c’est qu’elles ont été souvent construites de façon brouillonne, avec une concertation très limitée des premiers concernés, c’est-à-dire les élus et, dans une moindre mesure, les représentants de l’État déconcentré.

Il faut aussi se rendre compte de la fatigue des élus face à ces réformes incessantes qui n’ont rien clarifié. Le rapport d’information sur l’État dans les territoires l’explique bien : plus de quatre élus sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes. Pour les préfets et les sous-préfets, ce chiffre s’élève à 43 %.

En 2016, un autre rapport d’information de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation précisait déjà que l’association aux réformes des acteurs de terrain demeurait insuffisante aux yeux de la majeure partie des élus locaux et des syndicats qui ont été auditionnés.

Comment mener une réforme efficace des politiques de décentralisation et de déconcentration si les autorités locales et les administrations concernées ne sont pas suffisamment consultées, si l’État reste trop à distance ? La réponse, c’est qu’on ne peut pas ! Le rapport de mes collègues le démontre, comme celui, plus récent, sur l’ANCT. Le résultat est là : les réformes ne correspondent pas à leurs attentes et ne résolvent pas un certain nombre de problèmes.

Les moyens, principalement humains, manquent parfois dans les territoires, et cela se fait sentir dans l’ensemble des politiques publiques. En 2011, les agents des directions départementales interministérielles (DDI) étaient 39 796 ; en 2020, ils n’étaient plus que 25 474, soit une chute de 36 %. Les préfectures ne sont pas en reste, qui ont connu une baisse similaire. C’est non pas le statut des agents, comme on a pu le dire ce matin, mais bien l’austérité à bas bruit qui a sclérosé notre capacité à mener des politiques publiques agiles et répondant aux besoins.

La situation des services publics – hôpitaux, écoles et autres guichets administratifs – est délétère dans de nombreuses régions, en particulier dans les zones rurales.

À ce titre, près d’un maire de commune de moins de 1 000 habitants sur deux estime que l’offre de services publics sur son territoire est défaillante. C’est d’autant plus compliqué pour ces maires de petites communes qu’ils sont souvent isolés et qu’ils ne disposent pas des mêmes ressources que les grandes collectivités. Ces dernières sont mieux représentées au sein des agences, comme les agences régionales de santé (ARS) ou l’Anah, et elles peuvent mobiliser des réseaux importants, ce qui n’est pas le cas des élus des petites communes.

Aussi, que faire ? Si l’État territorial est un mirage, pourrait-il devenir réalité ?

Il faut commencer par respecter l’ensemble des parties prenantes et inscrire la concertation et le dialogue au cœur de l’action publique déconcentrée. Un lien de relation de confiance durable doit parfois être retissé d’urgence et plus finement avec l’ensemble des actrices et des acteurs des territoires.

Je rejoins les préconisations de mes collègues sur la nécessité d’une concertation nationale avec les élus en amont de toute réforme des services déconcentrés de l’État ou des collectivités territoriales.

Avec mes collègues du groupe écologiste, je suis convaincu que le principe de subsidiarité doit être consacré, tout comme celui de la différenciation territoriale. Cela ne doit cependant pas être fait au travers de la loi 3DS, comme l’a proposé le Gouvernement. En plus d’échouer à clarifier les compétences, cette loi a accéléré la tendance de l’État à se défausser de certaines de ses prérogatives sur les collectivités.

Or les collectivités territoriales doivent avoir les moyens d’agir. Il faut un maillage plus fin de la répartition des effectifs préfectoraux, notamment dans les sous-préfectures. La proposition qui me semble la plus pertinente et la plus forte du rapport de mes collègues, mais qui n’est pas nouvelle, prévoit de passer enfin d’une logique de contrôle de légalité à une logique de conseil aux collectivités territoriales.

Toutefois, l’État est-il prêt à sortir d’une logique de contraction de ses effectifs pour s’adapter à cette demande, notamment au plus près des territoires, parfois démunis en matière de relais préfectoraux à l’ingénierie de leurs projets ? À mon sens, la clé de l’État territorial, c’est la réponse à cette équation.

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