Intervention de Thierry Cozic

Réunion du 9 février 2023 à 14h30
L'état territorial entre mirage et réalité — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales

Photo de Thierry CozicThierry Cozic :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au travers de la loi relative à l’administration territoriale de la République, dite loi ATR, on retrouve le lien de l’État territorial, entre l’État et ses services déconcentrés, d’une part, et les collectivités territoriales, d’autre part. Mais comment définir cet État territorial ?

Nous pourrions évoquer les services rendus par l’État au travers de ses missions, les services publics et les services au public.

Les réformes de l’État territorial résultent de la sédimentation de phases de la décentralisation. Elles se sont enchaînées ces dernières années, en dépit de l’intention louable d’améliorer le fonctionnement des services pour répondre au mieux à la demande d’État dans les territoires.

Force est de constater que le compte n’y est pas et que le résultat est perfectible. C’est notamment le cas au regard de la baisse des moyens de l’État dans les territoires, trop souvent prélude d’une dégradation à bas bruit de l’offre de services publics. S’y ajoute l’extrême difficulté qu’éprouvent les élus locaux à identifier le bon interlocuteur dans les méandres de l’administration territoriale.

Les conséquences de ces réformes, systématiquement dépourvues d’évaluation, ont ainsi fini par jeter le trouble, tant chez les élus locaux que chez les agents de l’État eux-mêmes.

Nous avons perdu le lien entre les élus et les services déconcentrés de l’État, qui ne s’y retrouvent plus.

À la faveur, si je puis dire, de la crise de la covid-19, le couple maire-préfet a été remis en lumière, mais il n’est pas superfétatoire de s’interroger sur son efficacité.

Tous deux représentants de l’État et dotés de la compétence générale, ils incarnent la République dans les territoires. Le maire et le préfet coproduisent l’action publique au quotidien. Le préfet est le représentant à la fois du Gouvernement, de l’État et du territoire qu’il administre. C’est dans le savant dosage entre ces trois fonctions qu’il doit être jugé. De fait, une étroite collaboration entre élus et préfet est nécessaire, mais à quel prix ?

Les communes gèrent de plus en plus de compétences pour lesquelles elles ne disposent pas de moyens affectés. Malheureusement, ces charges nouvelles sont loin d’être compensées par un État qui, tout en déléguant de plus en plus ses pouvoirs, continue à vouloir les contrôler à distance.

Par ailleurs, le processus d’érosion de la fiscalité locale se poursuit.

À la suite de la suppression de la taxe professionnelle et de la taxe d’habitation, couplée à une baisse des impôts de production, les collectivités semblent frappées par une recentralisation rampante de leurs ressources.

Symbole des relations orageuses entre le président Macron et les maires, la suppression de la taxe d’habitation a été vécue comme injuste et inique par la plupart de nos élus locaux. Je rappelle que cette suppression aura eu pour effet de faire passer de 54 % à 35 % le taux d’autonomie financière des intercommunalités.

Cette réforme ne trahissait que trop bien la vision du candidat Macron, qui n’a jamais caché le peu d’intérêt qu’il portait à l’autonomie fiscale. Selon lui, il s’agissait d’un combat d’arrière-garde au regard de plusieurs exemples européens où l’absence de fiscalité propre n’empêche pas les collectivités d’être puissantes.

Pour ma part, je crois sincèrement qu’il n’y a pas de pouvoir politique sans pouvoir fiscal. Avec les réformes mises en œuvre ces dernières années, le Gouvernement considère les collectivités territoriales comme des sous-traitants de l’État. J’en veux pour preuve le basculement systématique de leurs ressources vers des dotations dont une partie est indexée sur le produit d’impôts nationaux.

De fait, nos collectivités sont placées à la merci du Gouvernement, qui peut modifier comme bon lui semble les dotations et compensations en loi de finances.

Soyons honnêtes : dans cette affaire, en réalité, c’est la pensée dominante de Bercy qui l’a emporté, cette vieille idée tenace qui anime souvent la haute administration française et selon laquelle l’autonomie fiscale locale ne serait pas souhaitable, car les élus locaux ne sauraient pas gérer les finances publiques.

Aussi, madame la ministre, comment penser un État territorial qui ne soit pas un mirage ? On ne peut parler d’État territorial sans lui octroyer les leviers financiers autonomes qui lui permettraient d’administrer ce même territoire !

Sans changement de doctrine de la part du Gouvernement, pensez-vous, madame la ministre, que l’idée d’État territorial ait encore un sens girondin ?

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