Intervention de Arnaud de Belenet

Réunion du 8 février 2023 à 21h30
Avenir de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes frontex — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Photo de Arnaud de BelenetArnaud de Belenet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de la proposition de résolution européenne sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, déposée par les présidents de la commission des affaires européennes et de la commission des lois, Jean-François Rapin et François-Noël Buffet, intervient à un moment décisif.

L’Agence traverse en effet une double crise dans sa jeune histoire. Elle a besoin aujourd’hui d’être confortée.

La première de ces crises est structurelle : elle puise ses racines en 2015, lorsque l’Union européenne a échoué à répondre efficacement, et de manière coordonnée, à la crise migratoire. En réaction, Frontex a vu son mandat et ses moyens continuellement et massivement renforcés.

Deux révisions successives de son mandat, en 2016 et en 2019, ont considérablement élargi son champ de compétence : l’Agence n’intervient plus uniquement en réponse à des situations d’urgence, mais également au travers de déploiements de longue durée sur le terrain.

Le périmètre géographique de son intervention ne se limite plus à l’espace Schengen, puisqu’elle peut également assister, dans la gestion de leurs frontières, des pays tiers ayant conclu un accord avec l’Union européenne.

Pour mener à bien ses nouvelles missions, Frontex a bénéficié d’une progression de ses moyens d’une ampleur inédite dans l’histoire de l’Union européenne : son budget a été quasiment multiplié par dix en dix ans pour atteindre 845 millions d’euros cette année. Quant aux effectifs, son contingent permanent de garde-frontières devrait compter 10 000 agents en 2027.

Jamais une entité européenne ne s’était vue attribuer de tels moyens, de telles prérogatives de puissance publique, et encore moins des agents armés et vêtus d’un uniforme à ses couleurs. En moins de vingt ans – elle a été créée en 2004 –, Frontex est devenue l’agence la plus puissante de l’Union européenne.

En plein essor, celle-ci a été sur-sollicitée et a dû faire face à une conjonction de crises internationales, comme la tentative d’instrumentalisation des migrations par la Biélorussie à l’automne 2021 ou l’agression russe en Ukraine, pour ne citer que ces deux exemples.

Frontex éprouvait déjà de grandes difficultés à mener à bien sa mutation dans les délais impartis. L’Agence ne disposait pas des instruments nécessaires pour conduire une réforme aussi ambitieuse aussi rapidement. En matière de ressources humaines ou de passation de marchés publics, par exemple, elle n’avait pas de services suffisamment étoffés pour piloter cette évolution dans de bonnes conditions.

La directrice exécutive par intérim de l’Agence l’indiquait devant nos deux commissions des lois et des affaires européennes cet automne : « la pression politique était forte et les délais extrêmement serrés. En conséquence, la croissance de l’Agence a entraîné des difficultés opérationnelles. »

La seconde crise à laquelle est confrontée Frontex est une crise de confiance. Elle concerne le respect des droits fondamentaux et la réputation de l’Agence.

Frontex a fait l’objet d’accusations de certaines organisations non gouvernementales (ONG) et de certains médias d’investigation, qui ont allégué qu’elle avait participé à des opérations de refoulement en mer Égée. Plusieurs enquêtes ont été menées par le Parlement européen, le Médiateur européen et l’Office européen de lutte antifraude (Olaf). Celles-ci ont permis de tirer trois conclusions.

Premièrement, l’Agence n’a pas directement participé à des pushbacks mais, informée de potentielles violations des droits fondamentaux par les garde-côtes grecs, elle a fait preuve d’une passivité tout à fait anormale.

Deuxièmement, les dispositifs de traitement des incidents n’étaient pas suffisamment robustes pour que l’Agence gère convenablement des situations aussi problématiques.

Troisièmement, la direction de Frontex a échoué dans sa gestion managériale et a manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis de l’Union européenne.

Depuis, l’Agence est en proie à une crise profonde et durable, qui a atteint son apogée en avril 2022 avec la démission de son directeur exécutif, notre compatriote Fabrice Leggeri. Ce n’est d’ailleurs que tout récemment qu’un successeur a pu être nommé, à l’issue d’un long et fastidieux processus de désignation.

Cette crise a aussi révélé, outre des inimitiés personnelles, l’existence d’un débat au sein des institutions européennes sur les priorités de l’Agence. Deux visions s’affrontent. La première est centrée sur l’objectif de protection des droits fondamentaux ; la seconde, sur l’obtention de résultats probants en matière de lutte contre l’immigration irrégulière.

Dans ce contexte, et alors que se pose la question d’une éventuelle révision du mandat de l’Agence fin 2023, la présente proposition de résolution européenne assure au Sénat un positionnement clair reposant sur deux objectifs principaux.

Le premier objectif est politique et touche au sens à donner au mandat de Frontex. En réalité, comme nous en sommes convenus en commission, le débat opposant contrôle des frontières, d’un côté, et respect des droits fondamentaux, de l’autre, est largement monté en épingles. La première mission de Frontex est certes le contrôle des frontières, mais l’Agence doit s’en acquitter dans le respect absolu des droits fondamentaux. Ce sont bien évidemment les deux faces d’une même médaille.

Le second objectif est juridique et pratique. Il a trait à l’éventuelle révision du mandat de Frontex. Cette option est explicitement écartée par les auteurs de la proposition de résolution européenne, qui plaident pour que Frontex se voie accorder le temps nécessaire pour assumer pleinement ses missions actuelles.

Tout comme la commission des affaires européennes, sous réserve de ce qu’indiquera M. le rapporteur pour avis, Claude Kern, dans quelques instants, la commission des lois partage pleinement ces orientations.

Le soutien des parlements nationaux est nécessaire à Frontex ; celui que le Sénat exprime au travers de cette proposition de résolution est très clair.

Alors que la pression migratoire aux frontières de l’Union européenne renoue avec des niveaux très préoccupants, il est impératif que Frontex soit pleinement au travail.

Je rappelle que les passages de clandestins vers l’Europe ont encore augmenté de 64 % en 2022, et même de 150 % sur la seule route des Balkans.

Je rappelle également que la France s’appuie beaucoup sur Frontex, notamment dans ses aéroports – le nombre des interventions de ce type s’accroîtra encore cette année – et sur toute la côte d’Opale. Nous avons donc un intérêt direct à ce que l’Agence laisse la crise derrière elle pour se concentrer sur l’exercice de ses missions.

Soutenir politiquement Frontex n’est toutefois pas suffisant : nous devons également être force de proposition.

C’est ce que nous faisons avec ce texte, qui contribue à renforcer le pilotage politique de l’Agence par la mise en place de réunions du Conseil de l’Union européenne qui y seront spécifiquement consacrées ou par le rehaussement du rang hiérarchique des membres du conseil d’administration de Frontex.

Nous le sommes encore en renforçant le dispositif de protection des droits fondamentaux. La commission des lois est très claire sur ce point : Frontex a besoin d’un officier aux droits fondamentaux indépendant et fort. C’est non pas une contrainte juridique de plus, mais une garantie de crédibilité pour l’institution.

Mes chers collègues, la commission est favorable aux objectifs fixés par les auteurs de cette proposition de résolution européenne ; elle en partage également l’esprit et la lettre. Je vous invite, par conséquent, à l’adopter.

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