Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat se prononce ce soir sur une proposition de résolution sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, communément dénommée Frontex.
Je veux tout d’abord saluer le travail de la commission des lois et celui des deux coauteurs, François-Noël Buffet et Jean-François Rapin. Ce travail nous permet de débattre ce soir du rôle de Frontex, agence déterminante pour la maîtrise de nos frontières, laquelle passe indiscutablement par une action coordonnée à l’échelle européenne.
En 2022, la pression migratoire a retrouvé un niveau proche de l’avant-crise sanitaire. Les franchissements irréguliers détectés par Frontex aux frontières extérieures ont progressé de 64 % par rapport à 2021, même s’ils restent en deçà de ceux qui avaient été enregistrés pendant la crise migratoire de 2016. Les flux migratoires progressent ainsi dans toute l’Europe, avec une pression particulière en Méditerranée centrale et dans les Balkans occidentaux, ce qui fait peser une contrainte spécifique sur l’Autriche, la Hongrie et la Croatie.
Les demandes d’asile ont progressé de 61 % en Europe et de 31 % en France, qui reste le second pays d’accueil après l’Allemagne. Tout en étant le premier État membre à réaliser des transferts relevant de l’application du règlement Dublin, dits transferts Dublin, vers d’autres pays européens, la France reste la cible de mouvements secondaires qui traduisent la nécessité de faire évoluer le système européen de l’asile.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la détermination du Gouvernement est totale pour apporter des réponses efficaces à cette situation migratoire.
À l’échelon national, elle passe par le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui a été présenté en conseil des ministres, le mercredi 1er février, par le ministre de l’intérieur et des outre-mer et le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Ce texte comportera des dispositions inédites pour éloigner les étrangers représentant une menace pour l’ordre public, pour garantir l’intégration par la langue, le travail, le respect des principes de la République et pour simplifier très largement le contentieux des étrangers ainsi que l’organisation de notre dispositif d’asile. Le Sénat aura l’occasion d’examiner ce texte, qui contribue à doter notre pays de nouveaux outils juridiques en matière migratoire, dès le mois mars.
Ces instruments s’ajouteront aux moyens importants que le ministère de l’intérieur et des outre-mer consacre à la politique migratoire.
Il m’importe de rappeler que la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) prévoit la création de 3 000 places dans les centres de rétention administrative (CRA) à l’horizon 2027 pour renforcer notre efficacité dans la lutte contre l’immigration irrégulière.
Elle prévoit également une hausse de 24 % du budget alloué à l’intégration au cours des cinq prochaines années, moyens plus particulièrement destinés à l’intégration des réfugiés et à la maîtrise du français par les étrangers primo-arrivants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la clef de notre efficacité suppose une coordination et des politiques communes à l’échelon européen.
Il est indispensable de travailler avec nos voisins à une gestion coordonnée, c’est-à-dire ordonnée, des migrations, comme cela a été reconnu par tous à l’occasion du sommet de La Valette en 2015, ainsi que dans le pacte mondial sur les migrations, adopté à Marrakech en 2018, sous l’égide des Nations unies.
À la suite du débarquement du navire Ocean Viking à Toulon, le 11 novembre dernier, la France a demandé et obtenu la tenue d’un conseil extraordinaire des ministres de l’intérieur, qui a permis l’adoption d’un plan d’action européen sur la Méditerranée centrale.
Ce plan prévoit une approche mieux coordonnée des sauvetages en mer, notamment en ce qui concerne l’action des ONG, et une coopération renforcée avec les États tiers en matière de prévention des départs irréguliers.
Par ailleurs, la présidence française du Conseil de l’Union européenne a permis de débloquer les négociations relatives au pacte sur la migration et l’asile présenté par la Commission européenne en septembre 2020.
Grâce à une approche graduelle, la France a réussi à faire progresser les négociations et à les orienter vers un juste équilibre fondé sur la responsabilité et la solidarité. Un accord a été obtenu lors du conseil Justice et affaires intérieures de Luxembourg, le 10 juin dernier.
Dans le cadre des négociations en cours, la France est favorable à la mise en place d’un mécanisme de solidarité contraignant et prévisible pour soulager les pays de première entrée, ainsi qu’à celle de procédures efficaces aux frontières extérieures pour lutter contre les mouvements secondaires.
C’est dans ce cadre que la France soutient la montée en puissance de l’agence Frontex, instrument essentiel du dispositif de protection des frontières européennes et de contrôle des flux migratoires.
Comme vous l’avez souligné, en 2016 et en 2019, l’agence Frontex a connu successivement deux réformes majeures qui ont considérablement élargi le champ de ses compétences.
Le règlement de 2019 a permis à Frontex de passer d’un rôle réactif à un rôle proactif et de prévoir des déploiements de long terme – jusqu’alors, l’agence ne pouvait agir qu’en réaction aux situations d’urgence.
Notons-le, Frontex est ainsi devenue l’agence la plus importante de l’Union Européenne, dotée d’un budget de 5, 6 milliards d’euros pour la période 2021-2027 et disposant d’une force de 10 000 agents opérationnels qui pourront être déployés à terme aux frontières extérieures.
Elle agit sur plusieurs terrains d’opération : en Méditerranée, en Italie, en Grèce et à Chypre, par exemple, dans l’est de l’Europe, à la frontière avec la Biélorussie, mais également dans la Manche. Depuis le mois de décembre 2021, un avion de Frontex a ainsi pour mission de renforcer la capacité de détection des tentatives de traversées de la Manche par des migrants voyageant sur des small boats.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de résolution que vous examinez aujourd’hui a pour objet de conforter le mandat de Frontex à la suite du renouvellement de la gouvernance de l’Agence.
Le Gouvernement soutient l’esprit et les grandes orientations de ce texte, à commencer par le renforcement de la veille opérationnelle de Frontex dans le cadre de la surveillance des côtes françaises et belges de la Manche et de la mer du Nord.
Nous sommes également favorables au renforcement du pilotage politique de Frontex, position défendue par la France durant sa présidence du Conseil de l’Union européenne. Ce pilotage passera notamment par une discussion annuelle au sein du Conseil Schengen sur les grandes orientations de l’Agence.
Nous soutenons aussi le renforcement du rôle de celle-ci en matière de retour, concrétisé notamment par l’organisation de vols conjoints mutualisant les moyens d’éloignement et d’escorte par les États membres.
Enfin, nous sommes d’accord pour laisser le temps nécessaire à l’Agence pour assumer pleinement son mandat actuel sans engager une révision de son règlement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’un de nos sujets de discussion portera vraisemblablement sur le respect des droits fondamentaux par Frontex dans le cadre de l’exécution de ses missions.
Il me paraît utile de rappeler ici que Frontex est tenue par son règlement fondateur de garantir une gestion efficace des frontières dans le plein respect des droits fondamentaux. Cet impératif fait déjà clairement partie du mandat du nouveau directeur exécutif de l’Agence, dont l’arrivée s’est accompagnée de la nomination de quarante-cinq contrôleurs des droits fondamentaux et d’un adjoint à l’officier aux droits fondamentaux de l’Agence.
Les accusations d’implication de Frontex dans le refoulement de migrants en Méditerranée ont été traitées par plusieurs instances de contrôle, qui ont conclu que l’Agence n’avait pas participé à ces opérations, mais qu’il n’était pas non plus possible d’affirmer qu’elle n’avait pas eu connaissance de ces agissements.
Les recommandations du conseil d’administration de l’Agence, du Parlement européen et de la Médiatrice de l’Union européenne ont entraîné la mise en place de plusieurs mécanismes de garantie des droits fondamentaux, afin de permettre un traitement efficace des signalements de plaintes et des incidents graves.
La France s’assurera de ce suivi dans le cadre du conseil d’administration de l’Agence où siègent les États membres. Notre priorité est désormais d’accompagner la montée en puissance du corps permanent de Frontex, qui devrait compter 10 000 hommes en 2027, et auquel la France prendra toute sa part.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, la question que vous soulevez aujourd’hui est au cœur des préoccupations du Gouvernement, comme elle est au centre de celles de nos concitoyens. La question de la maîtrise des flux migratoires est décisive pour la France et l’Union européenne. Nous continuerons à agir en ce sens, en déployant des moyens à la hauteur des attentes des Français.