Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours des six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne, le Gouvernement avait pour objectif de rendre l’Europe « plus humaine ». Toutefois, entre les slogans et les actes persiste toujours le même fossé.
Certes, l’Union européenne, ses États et ses citoyens ont fait preuve d’une générosité et d’une solidarité sans faille pour accueillir les Ukrainiennes et les Ukrainiens. Reste que, dans le même temps, au Conseil de l’Union européenne, la France plaidait en faveur du renforcement du contrôle des personnes aux frontières, au travers du règlement sur le filtrage, et d’une surveillance accrue avec le renforcement de la base de données biométriques Eurodac. La solidarité, contrairement aux dispositifs de répression, n’a fait l’objet que d’une déclaration non contraignante.
Mes collègues eurodéputés du groupe écologiste ont observé, à l’échelle européenne, une continuité de la ligne brutale suivie pendant le précédent quinquennat, celle de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie de 2018, dite Asile et immigration
La guerre en Ukraine, quant à elle, a démontré qu’il était possible d’accueillir des exilés avec dignité : pour la première fois, la directive relative à la protection temporaire, datant de 2001, a été activée.
Les autres exilés – Irakiens, Afghans, Syriens… – sont affublés du terme de « migrants » plutôt que de celui de « réfugiés ». Leur parcours migratoire est souvent criminalisé tout comme le sont les personnes solidaires : Domenico Lucano, qui a choisi d’accueillir dignement des exilés dans le petit village de Calabre dont il était maire, risque aujourd’hui jusqu’à treize ans de prison.
Interrogeons-nous avec clairvoyance sur les causes et les mécanismes des flux migratoires. Regardons la situation en face : 87 % des migrations dans le monde se font en direction du pays voisin de celui qui est fui. Seule une infime partie de ces personnes demande à être accueillie au sein de l’Union européenne.
Cependant, depuis des années, l’Union européenne traite les questions migratoires principalement par une surenchère sécuritaire. Ce n’est pas un succès, c’est plutôt une défaite morale. Il est temps de proposer un pacte sur la migration et l’asile à la hauteur de l’exigence humanitaire. Des femmes, des enfants, des hommes, meurent à nos frontières chaque jour. Personne ne peut dire qu’il ne sait pas.
De fait, Frontex met en péril la bonne conduite des opérations de sauvetage et de secours en mer par les navires affrétés par des ONG. Des situations humanitaires intenables en résultent, comme celle d’Ocean Viking en 2022.
Même lorsque les exilés ont débarqué sur le sol européen, leurs droits les plus fondamentaux ne sont pas pleinement reconnus. Comme le demandent mes collègues écologistes au Parlement européen, une partie des 900 millions d’euros d’argent public alloués à Frontex – la somme de 5, 6 milliards d’euros a été évoquée pour la période 2021-2027 – devrait servir à financer une véritable politique de contrôle et d’accueil.
À grand budget, grandes responsabilités : Frontex doit agir avec plus de transparence et cesser d’ignorer les demandes légitimes formulées par les eurodéputés.
Ce qui se passe aux frontières de l’Union européenne relève, hélas ! bien trop souvent de la négation de la dignité humaine avec le concours, sinon la passivité, de Frontex. Or je ne décèle pas, dans cette proposition de résolution européenne, une volonté d’y mettre un terme.
J’y trouve surtout un vocabulaire issu d’un champ lexical plutôt militaire : « sécurité », « menaces », « anticipation des risques », « criminalité »… Certes, l’expression « potentielles irrégularités » y figure, mais pour qualifier d’importants dysfonctionnements mis à jour et dénoncés à la fois par l’Office européen de lutte antifraude, le Parlement européen, des ONG et des journalistes.
À lire le texte de cette proposition de résolution européenne, la garantie du respect des droits humains apparaît à la fin d’une phrase ou est souvent minorée par un « mais ». Il n’y est fait nulle mention des 48 647 personnes mortes aux frontières de l’Union européenne depuis 1993 ! Et personne, ce soir, n’a encore évoqué ce bilan.
Cette proposition de résolution prévoit de laisser à Frontex le temps nécessaire pour mettre en œuvre l’intégralité de son mandat actuel. Or permettre à Frontex de continuer de fonctionner selon les mêmes règles revient, je le crains, à conforter des violations du droit européen et international. Dans ce contexte, la France devrait plaider pour une refonte structurelle et complète de l’Agence plutôt que de proposer d’en repousser la date butoir.
Au travers de cette proposition de résolution européenne, le Sénat aurait également pu envoyer un signal politique fort, comme l’a fait le Parlement européen en refusant de voter la décharge budgétaire. Des eurodéputés de tous bords ont ainsi exigé une rupture dans la culture interne et la pratique de l’Agence.
Nous croyons profondément en la capacité collective à faire des choix de solidarité. C’est le sens de nos amendements dont l’adoption, contre toute attente, nous éviterait de devoir voter contre cette proposition de résolution contre-productive.