Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 8 février 2023 à 21h30
Avenir de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes frontex — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1995, lors de la mise en œuvre de l’espace Schengen, fondé sur la liberté de circulation sans contrôle aux frontières intérieures, le principe de la responsabilité des États membres sur la partie des frontières extérieures de l’espace Schengen relevant de leur territoire a été posé.

Des échanges d’informations, une politique commune en matière de visas pour de courts séjours ainsi que des politiques d’asile concertées ont alors été mis en place, mais nous nous sommes arrêtés là.

À la suite de l’élargissement de 2004, l’agence Frontex a été créée avec pour principale mission de surveiller les nouvelles frontières de l’Union européenne.

En 2015, le terrorisme lié à l’avènement de Daech aux portes de l’Europe, dont nous avons ressenti les effets dans notre chair en France et à Paris, ainsi que la guerre au Proche-Orient ont jeté des millions de personnes sur les routes de l’exil en direction de l’Europe.

Notre construction européenne, conçue dans un océan calme, n’était plus adéquate. C’est la raison pour laquelle un certain nombre de projets ont été lancés à partir de 2016, notamment le système d’entrée-sortie biométrique, le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (Etias) et la redéfinition du mandat de Frontex.

Le budget de l’Agence, qui dépassait pour la première fois la barre des 100 millions d’euros en 2015, s’élève ainsi à 845 millions d’euros pour 2023. De même, son contingent permanent de garde-frontières devrait doubler d’ici à 2027 par rapport à son niveau de 2018.

Ces mesures, mises en œuvre pour préserver la sécurité et la liberté de circulation dans l’espace Schengen, ont suscité deux crises au sein de Frontex.

Il s’agit tout d’abord, comme cela a été souligné, d’une crise de croissance : en quelques années, l’Agence a dû gérer un budget multiplié par plus de huit, un triplement de son contingent et de nouvelles responsabilités.

Il s’agit ensuite d’une crise que je qualifierais de systémique et qui n’est toujours pas résolue : Frontex, contrairement à ce que laisse entendre son nom, est non le garde-frontière de l’Union européenne, mais plutôt un prestataire de services pour des États dont la souveraineté continue de s’exercer sur la partie des frontières extérieures de l’Union européenne qui les concerne.

C’est ici que réside la difficulté pour l’Agence. Durant l’été et l’automne 2021, par exemple, des migrants en provenance de Biélorussie se sont dirigés vers les frontières de la Pologne et de la Lituanie. La Pologne a alors choisi de ne pas faire appel à Frontex et de gérer seule cette situation nouvelle et inattendue. Elle l’a fait d’une manière choquante au regard du respect des droits fondamentaux : aucune transparence, aucune possibilité pour les journalistes ou les parlementaires du pays d’observer ce qui se passait dans la zone frontalière. À ce jour, seuls les témoignages des habitants de cette zone ont permis de savoir ce qui s’y était déroulé. Et si la Pologne n’a pas fait appel à Frontex, c’est en raison des exigences de l’Agence en matière de droits fondamentaux.

Autre exemple : en Grèce, en 2021, un certain nombre de médias et d’ONG ont relayé l’existence de pushbacks, c’est-à-dire de refoulements à la frontière, effectués d’une manière absolument scandaleuse, aussi bien sur terre que sur mer, à l’égard de migrants. Frontex a constaté l’existence de ces situations, mais l’Agence agit toujours sous la responsabilité des États membres.

Si nous avons accordé un nouveau mandat à Frontex en 2016, c’est précisément afin de mieux gérer ces situations aux frontières sud de l’Union européenne et en Grèce. Or dénoncer la façon dont les choses se sont passées à la frontière entre la Grèce et la Turquie, c’est aussi remettre en cause la capacité de Frontex à agir en Grèce.

C’est toute la difficulté : à ce jour, Frontex ne peut remettre en question la façon d’agir d’un certain nombre d’États, qui auraient pourtant besoin de ses services. Si la Grèce déclarait demain qu’elle ne veut plus de Frontex, comment seraient surveillées ses frontières ?

Il s’agit bien d’une crise systémique, puisque Frontex n’est qu’un prestataire de services. Dès lors, comment faire ?

Il faut tout d’abord se montrer intransigeant à l’égard de Frontex en matière de respect des droits fondamentaux et veiller à mieux garantir l’indépendance des personnes chargées de cette question au sein de l’Agence, ce qui a tenté d’être mis en œuvre à la suite de la crise de 2021-2022. Et cette responsabilité ne doit pas relever exclusivement du directeur de l’Agence.

Le respect des droits fondamentaux est non pas une option, mais une condition indispensable à la crédibilité de cet organisme, susceptible d’intervenir hors de l’Union européenne, par exemple en Macédoine, en Moldavie ou dans des pays situés au sud de la Méditerranée afin de les accompagner dans la surveillance de leurs frontières.

Or, à ce jour, Frontex n’est malheureusement pas irréprochable. Mettre en place une surveillance interne en matière de respect des droits fondamentaux autrement plus efficace que celle qui existe aujourd’hui ou que le dispositif envisagé dans la présente proposition de résolution est indispensable.

C’est la raison pour laquelle, même si nous sommes d’accord pour renforcer le pilotage politique de Frontex au travers de son conseil d’administration, même si nous partageons l’idée que le mandat de Frontex doit être pleinement mis en œuvre avant de penser à le réviser, même si nous partageons la volonté d’un contrôle plus fort des parlements nationaux, nous ne pourrons nous prononcer en faveur de l’adoption cette proposition de résolution si nos amendements ne sont pas adoptés.

À nos yeux, ce texte ne va pas assez loin sur la question des droits fondamentaux. Frontex est certes un élément indispensable pour garantir la liberté de circulation dans l’espace Schengen et assurer la surveillance des frontières, mais nous ne pouvons accepter que cette agence ne soit pas contrôlée de manière irréprochable et qu’elle ne soit pas, elle-même, irréprochable en matière de respect des droits fondamentaux lors de ses interventions, y compris dans le cadre d’opérations conjointes menées avec les États membres.

Ce n’est qu’en garantissant l’indépendance totale des personnes chargées de cette question en son sein que Frontex pourra être à la fois irréprochable et efficace sur le long terme.

C’est la raison pour laquelle nous défendrons trois amendements. S’ils étaient adoptés, nous serions alors favorables à cette proposition de résolution européenne dont, vous l’avez compris, mes chers collègues, nous partageons les objectifs. À défaut, nous ne pourrons malheureusement y souscrire.

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