Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons nous prononcer ce soir sur une proposition de résolution européenne sur l’avenir de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes dont l’action a été sévèrement mise en cause.
Il s’agit en fait d’adresser un message de soutien à Frontex. Certes, le texte évoque les graves accusations de manquement au respect des droits fondamentaux – comment pourrait-il en être autrement après les constats dressés par le Parlement européen et le rapport de l’Olaf ? –, mais force est de constater qu’il minimise grandement les conséquences qu’il conviendrait d’en tirer.
Les recommandations énoncées en matière de relance et de gouvernance de l’Agence semblent toutes guidées par la perception alarmiste de la situation aux frontières extérieures de l’Europe.
En évoquant une « crise de croissance » pour expliquer les difficultés de l’Agence, les auteurs de la proposition de résolution excluent tout lien entre les dérives constatées et la conception même des missions confiées à Frontex.
Or la dérive vers la militarisation de fait des frontières de l’espace Schengen est en partie liée à une politique d’accueil et de droit d’asile toujours plus restrictive. C’est là que se trouvent les racines des atteintes aux droits fondamentaux des personnes migrantes.
Désormais balafré de dix-neuf clôtures frontalières, s’étirant sur plus de 2 048 kilomètres, Schengen prend encore davantage des allures de forteresse qu’il s’agirait de défendre par tous les moyens.
Le texte évoque, par exemple, l’« efficacité du partenariat entre Frontex et la Grèce »… Faut-il rappeler que le rapport de l’Olaf pointait précisément la complicité de l’Agence dans l’abandon, par les autorités grecques, de groupes de migrants sur de petits îlots inhabitables ?
Par la militarisation de ses agents, Frontex est le symbole de la permanence de la réticence des États européens à appliquer le droit d’asile et une politique d’accueil digne. Faute d’une politique européenne à la hauteur de nos devoirs d’accueil et de solidarité humaine, c’est une véritable crise humanitaire qui sévit chaque jour aux frontières de l’Europe.
Des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants se noient toujours en Méditerranée ou meurent d’hypothermie dans l’est de l’Europe. Des femmes victimes de violences, poussées sur les routes de la migration par des réseaux de traite, sont refoulées sans ménagement. Des mineurs sont aussi refoulés, au mépris du droit international.
Malgré cette militarisation progressive de Frontex et la multiplication de son budget par dix-sept depuis sa création en 2004, aucun effet dissuasif n’est constaté. Alors que seules des politiques de migration concertées, organisées autour de voies légales et sécurisées, permettant des parcours respectueux des droits fondamentaux des personnes, seraient à même de changer la situation, nous persévérons dans l’inhumanité en érigeant des murs toujours plus hauts et en externalisant la gestion des frontières extérieures, ce qui ne permettra jamais de supprimer les causes des migrations subies ou forcées ni d’en finir avec les refoulements expéditifs.
En vérité, les politiques répressives n’arrêtent pas les migrations, mais légalisent l’arbitraire. Les clôtures, les barbelés, les barrages de toute nature à un accueil digne, réclamés à cor et à cri par les gouvernements de droite et d’extrême droite en Europe, ne font que favoriser l’insécurité, les contournements, les migrations.
Frontex devient le bras armé de ces politiques quand elle devrait, au contraire, assister les États dans une gestion humaine, digne et sûre des frontières à l’échelle européenne.
La démission de l’ancien directeur exécutif de Frontex n’a été que le symptôme d’un mal plus profond : une activité aux frontières gangrénée par la dissimulation de violations du droit des migrants commises par des États membres de l’Union européenne.
Il paraît de plus en plus évident que Frontex manque cruellement de mécanismes de responsabilité tant en son sein qu’à l’extérieur. C’est une préoccupation que les auteurs de la proposition de résolution semblent réprimer, comme si l’instauration d’un contrôle effectif et indépendant en matière de respect des droits fondamentaux pouvait constituer un frein à l’exercice des missions de Frontex.
Dans ces conditions, laisser l’Agence aller au bout de son mandat sans remettre à plat, au moyen d’une évaluation approfondie, ses missions et les politiques qui les sous-tendent, nous semble au bas mot bien insuffisant. Au regard des graves manquements constatés et des objectifs non atteints en matière de responsabilisation des États membres en termes de respect des droits fondamentaux et du droit européen, de telles dispositions ne nous semblent pas raisonnables.
Toutes ces raisons, parmi d’autres encore, nous conduiront à voter contre cette proposition de résolution européenne.