Intervention de Jean-Michel Arnaud

Réunion du 8 février 2023 à 21h30
Avenir de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes frontex — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Michel ArnaudJean-Michel Arnaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution nous donne l’occasion de mettre en lumière le sujet brûlant des migrations vers notre Europe. Je remercie nos collègues socialistes et écologistes de nous permettre d’en débattre.

Les défis de l’Europe face aux flux migratoires s’incarnent bel et bien dans les récentes mutations qu’a opérées, non sans difficulté, l’Agence européenne des garde-frontières et garde-côtes, communément appelée Frontex.

Cette agence, sans doute la plus connue de nos concitoyens, remplit une triple mission : assurer un rôle de veille permanente aux frontières extérieures de l’Union ; venir en appui des États membres dans la lutte contre la criminalité transfrontalière ; aider les pays tiers qui ont conclu un accord avec l’Union européenne à juguler les flux migratoires irréguliers qui se dirigent vers l’Europe. Jamais une agence supranationale ne s’est vu confier de telles prérogatives de puissance publique.

Le renforcement des missions de Frontex, en 2016 puis en 2019, s’est accompagné d’un accroissement de ses moyens humains et financiers. Ainsi, quelque 5, 8 milliards d’euros seront mobilisés dans les années à venir, l’objectif étant d’atteindre 10 000 personnels à l’horizon 2027, qu’ils soient propres à l’institution ou détachés des États membres.

Cette volonté de faire de Frontex l’apanage de la politique migratoire européenne s’est heurtée à de multiples difficultés.

Tout d’abord, la croissance fulgurante de ses moyens dans un temps court n’a pas laissé un délai suffisant au bon calibrage de l’organisation, notamment pendant la crise sanitaire.

Ensuite, le rapport spécial de la Cour des comptes européenne, publié en juin 2021, et celui de l’Office européen de lutte antifraude, paru en février 2022, ont sapé la légitimité de Frontex en raison d’un déficit de transparence dans le coût des opérations et de manquements au respect des droits fondamentaux.

Ces révélations, qui s’ajoutent aux critiques adressées par certains États membres, ont entraîné la démission du précédent directeur, Fabrice Leggeri.

Enfin, des luttes d’influence internes aux institutions européennes consacrées à la politique migratoire ont été mises au jour.

Entre la protection des droits fondamentaux des migrants et la lutte contre l’immigration irrégulière, les positions des États membres divergent sur les priorités opérationnelles de Frontex. Dès lors, il s’avère nécessaire de clarifier ces missions.

L’agence Frontex est confrontée à une transformation de son organisation, alors même qu’elle souffre d’un déficit de légitimité et que ses responsabilités tendent à se renforcer.

Pour reprendre les termes employés par le président de la commission des lois, ces « crises de croissance et de confiance » appellent à proposer un ensemble de recommandations relatives à l’avenir de l’Agence.

Tel est l’objet de la présente proposition de résolution européenne. À cet égard, je tiens à saluer la qualité du travail de la commission des affaires européennes et de la commission des lois.

Le pilotage politique de Frontex a montré ses faiblesses. La récente nomination du nouveau directeur doit s’accompagner de l’instauration d’un conseil d’administration doté de personnels d’une expérience et d’un niveau hiérarchique suffisants. Ainsi, la constitution d’un groupe parlementaire conjoint entre les parlements nationaux et le Parlement européen semble indispensable.

Le contrôle parlementaire ne peut être qu’un atout. Il s’agit, à l’échelle tant des parlements nationaux que du Parlement européen, d’instaurer une stabilité institutionnelle et une légitimité politique au bénéfice d’une organisation en plein développement.

Par ailleurs, le mandat de Frontex doit être clarifié, ce que visent les alinéas 37 et 46 de cette proposition de résolution européenne. Il est impératif de définir certains critères pour le recrutement des contrôleurs et, surtout, des officiers aux droits fondamentaux. Demander qu’une expérience professionnelle dans le domaine des droits fondamentaux soit un prérequis me semble également pertinent. C’est la raison pour laquelle notre groupe soutient vivement la recommandation tendant à soumettre les décisions de l’officier des droits fondamentaux à un avis annuel du Médiateur européen.

Les opérations menées conjointement par l’Agence et les États membres sont réalisées exclusivement à la demande d’un État et sous son autorité. Bien que le rôle de Frontex ne soit en aucune façon de surveiller l’action d’un État souverain, une procédure d’alerte pour violation des droits fondamentaux demeure un recours possible, à condition que les modalités de déclenchement en soient encadrées. Il s’agit d’un élément majeur pour renforcer la confiance dans cette agence, mobilisée par des États membres parfois peu soucieux d’accompagner dignement les personnes migrantes.

La proposition de résolution européenne appelle aussi au maintien de la capacité opérationnelle de Frontex. Si ses effectifs s’accroissent, sa montée en puissance doit aller de pair avec une plus grande transparence sur les effets et les coûts des opérations et avec un renforcement des coopérations entre les États membres et les autres structures communautaires.

Je profite également de ma présence à la tribune ce soir pour appeler de mes vœux une coopération intergouvernementale plus étroite sur la question des migrations secondaires. Mon département, les Hautes-Alpes, qui se situe à la frontière italienne, est particulièrement concerné : en 2019 et en 2020, plus de 11 000 passages illégaux ont été répertoriés entre l’Italie et la vallée du Briançonnais. Ces passages s’effectuent principalement via le col de l’Échelle, tristement célèbre malgré sa beauté. Cette route extrêmement dangereuse, fermée en hiver, est utilisée par des passeurs et par un certain nombre de personnes migrantes en quête d’une destination, d’un horizon plus heureux. Ces personnes, désespérées, sont souvent victimes de l’hiver.

De telles situations ont été évoquées, voilà quelques instants, à l’est de l’Europe, mais elles peuvent également se produire chez nous, en France.

La pression migratoire locale est également renforcée par l’inadéquation des moyens alloués à la police aux frontières, ce qui ne permet pas à celle-ci d’assurer correctement ses missions. De même, les moyens mis à disposition des associations humanitaires à Briançon ne sont pas à la hauteur de l’accompagnement nécessaire pour préserver la dignité des personnes migrantes, prises en charge dans l’urgence.

Par cette proposition de résolution, le Sénat appelle nos démocraties européennes à être à la hauteur de leurs idéaux. Nous ne pouvons rester indifférents au sort de ces enfants, de ces femmes et de ces hommes qui aspirent à un avenir meilleur en franchissant nos frontières extérieures et intérieures.

Pour autant, nous ne devons pas être naïfs. Voilà quelques jours, le nouveau directeur exécutif de Frontex s’est engagé à rétablir la confiance dans l’Agence, à en réorganiser le travail et à produire des résultats tangibles sur le plan humanitaire, dans le respect des droits fondamentaux.

Frontex doit muer afin de trouver l’équilibre entre l’absence de naïveté dont elle doit faire preuve à nos frontières face à des migrations parfois organisées et l’indispensable accompagnement, digne et humain, de personnes ayant fait le choix, parfois politique, souvent économique et social, de nourrir d’autres espérances à l’intérieur des frontières européennes.

Mes chers collègues, comme vous l’imaginez, le groupe Union Centriste, conformément au souci constant d’équilibre qui lui est propre, votera en faveur de cette proposition de résolution européenne, mais conserve l’objectif de renforcer notre humanité à l’égard des populations les plus fragiles qui arrivent en Europe.

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