Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que resterait-il des frontières de l’Union européenne sans l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, communément appelée Frontex ?
Aujourd’hui plus que jamais, c’est une responsabilité commune que de surveiller et d’entretenir les frontières extérieures de l’Union européenne.
En premier lieu, Frontex est indispensable compte tenu de sa raison d’être, à savoir la connaissance et la régulation des flux migratoires aux portes de l’Union européenne. Elle doit rester le centre de gravité de nos débats.
Chaque événement international qui s’est produit au cours de ces dernières années a conduit à un accroissement de ces flux. Je citerai trois exemples : en 2019 et 2020, les tensions entre la Turquie et l’Union européenne se sont concrètement traduites par des pressions étrangères sur les autorités locales de Frontex et par le risque de migrations précipitées dans les territoires de l’Union.
En 2021, les tensions avec la Biélorussie ont provoqué ce qu’il faut appeler une crise frontalière, de laquelle a résulté un afflux massif de migrants venus du Moyen-Orient vers le nord de l’Europe.
En 2022, c’est bien évidemment le conflit en Ukraine qui a conduit à des déplacements de populations entières vers les territoires des États membres.
Dans certains cas, il ne s’agit aucunement de crises migratoires au sens strict, ni de mouvements de population spontanés, ni même de simples questions d’asile et de droits de l’homme. Il s’agit plutôt de tentatives de déstabilisation étrangères et de périls pour notre sécurité commune. Or, plus ces flux migratoires sont imposants, plus ces défis sécuritaires sont importants, plus la réponse de l’Union européenne doit être forte.
C’est la raison pour laquelle Frontex constitue désormais non seulement un moyen de coordination de nos frontières, mais également une force opérationnelle, qui doit être capable de se projeter dans ces zones, afin de soutenir les États concernés. L’échelle continentale de nos frontières et l’ampleur des flux migratoires l’exigent.
En second lieu, la finalité de l’action de Frontex reste inchangée, à savoir la préservation de l’ordre et de la sécurité aux frontières extérieures de l’Union européenne. Or, là encore, les défis se sont multipliés au cours des dernières années, accroissant ainsi les missions confiées à cette agence.
Il en est ainsi en raison d’abord du terrorisme international, qui rend nécessaires une maîtrise accrue de nos frontières et une plus grande vigilance à l’endroit des zones de conflit.
C’est ensuite en raison de la criminalité transfrontalière, qui s’est ajoutée aux missions de Frontex depuis 2016.
Enfin, les trafics qui se déroulent dans les zones frontalières rendent indispensable l’appui aux États membres.
Il en résulte une nouvelle hausse salutaire des moyens et des capacités opérationnelles de Frontex, puisque l’Agence est appelée à intervenir en soutien des États et parfois directement sur le terrain.
Un constat d’ensemble s’impose ainsi à tous les États membres et à l’Union européenne elle-même : nos frontières ne peuvent se réduire à de simples zones d’accueil. Nos États membres ne peuvent faire face seuls aux défis géopolitiques et sécuritaires du continent tout entier. L’élargissement du mandat de Frontex et la croissance de ses moyens opérationnels sont une évidente nécessité. C’est ce qui doit conduire cette organisation à devenir la plus grande agence européenne tournée vers le maintien de l’ordre à nos frontières et vers la bonne application de notre politique migratoire.
Nous voudrions insister sur la croissance naturelle de cette agence, qui justifie pleinement l’adoption, sans modification, de cette proposition de résolution par la commission des affaires européennes.
Elle est non seulement naturelle, parce qu’elle répond aux défis que nous venons de souligner, mais également logique, car elle s’inscrit dans le prolongement de nos propres valeurs républicaines.
Raymond Barre soulignait déjà, en 1976, lors de son discours de politique générale, l’importance de tourner davantage notre attention vers la liberté, la responsabilité et la sécurité. La raison d’être de Frontex ne s’en écarte pas, puisqu’elle a pour objet de contrôler des frontières extérieures contre l’immigration irrégulière, les pressions étrangères et l’insécurité dans l’Union européenne. Ne laissons pas croire que la liberté implique l’insécurité ; la sécurité, bien au contraire, est indispensable à la liberté !
La proposition de résolution européenne de nos collègues Jean-François Rapin et François-Noël Buffet répond pleinement à cet enjeu en ce qu’elle tend à apporter notre soutien à l’agence Frontex. Elle vise ainsi à la stabiliser efficacement sur les plans politique et juridique.
Juridiquement, il faut acter l’irréversibilité du mandat de Frontex, renforcé en 2016. Les moyens opérationnels de l’Agence doivent accompagner cette croissance. L’enjeu de la sécurité frontalière s’en trouve satisfait. D’une part, Frontex n’intervient qu’à la demande des États membres : il ne revient pas à l’Agence de les surveiller ni même d’intervenir par elle-même, mais de les soutenir quant au maintien de l’ordre à leurs frontières. D’autre part, la coordination de la lutte contre la criminalité transfrontalière, l’immigration irrégulière et la sécurité intérieure s’avèrent préservées dans les strictes conditions déterminées par les États membres.
Il faut ensuite soutenir politiquement l’autorité de son futur directeur exécutif. La place institutionnelle de Frontex au sein de l’Union européenne et la crédibilité internationale de l’Agence s’avèrent liées par cette condition politique. C’est pourquoi nous voudrions réaffirmer ici tout le soutien que nous apportons à Frontex, et ce malgré les critiques et les polémiques dont elle a fait l’objet.
Mes chers collègues, accordons-nous au moins sur un point.
Quelles sont les conclusions des rapports consacrés à l’activité de Frontex, qui ont d’ailleurs été cités dans les travaux préparatoires de cette proposition de résolution ? Tous relèvent que si Frontex n’a pas participé directement à des opérations de refoulement, elle ne les a néanmoins pas empêchées.
Certes, les incidents et les atteintes aux droits fondamentaux ont révélé des insuffisances structurelles dans leur traitement ; bien sûr, les cadres dirigeants se sont plaints de l’ignorance des enjeux opérationnels de l’agence. Mais que manque-t-il véritablement à Frontex, si ce n’est davantage de moyens, afin de pouvoir précisément garantir le respect des droits fondamentaux ?
La seule introduction, en 2019, d’un officier aux droits fondamentaux, assisté de contrôleurs et d’un code de conduite ne suffit pas. Pour que ces garanties deviennent effectives jusqu’au cœur des missions opérationnelles de Frontex, il faut continuer à la soutenir et lui fournir les moyens idoines.
Les recommandations jointes à cette proposition de résolution convergent justement vers ce renforcement des moyens : accroissement de la transparence et instauration d’un contrôle parlementaire.
Soutenir Frontex afin de l’aider surmonter sa « crise de croissance et de confiance » ne peut se faire qu’au travers de l’augmentation de ses moyens et de l’expression de notre assentiment.