Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Réunion du 14 février 2023 à 14h30
Amélioration de l'accès aux soins — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Agnès Firmin Le Bodo :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le début de l’année 2023 a été marqué, dans le monde de la santé, par d’importantes annonces.

Le 6 janvier dernier, le Président de la République a tenu à adresser directement ses vœux aux acteurs de la santé. Cela témoigne de l’importance accordée à ce que nous réussissions les changements profonds auxquels aspirent les professionnels de santé et les Français.

Avec le ministre de la santé et de la prévention François Braun, nous avons également tenu à nous adresser, fin janvier, à toutes nos forces vives pour détailler la feuille de route et les jalons de cette refondation.

Moins de quinze jours plus tard, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui traduit ces paroles fortes en actes concrets.

Ce texte, déposé par la rapporteure générale de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Stéphanie Rist, et cosigné par l’ensemble du groupe Renaissance, comporte de nombreuses dispositions importantes pour accélérer le décloisonnement de notre système de santé.

Il témoigne du besoin ressenti sur le terrain de favoriser les coopérations entre les professionnels de santé, en ville comme en établissement. Cela doit nous permettre, sans dégrader la qualité des soins ou créer une médecine à deux vitesses, de libérer du temps médical et de faciliter l’accès à la santé.

Je veux le dire ici : alors que nos médecins généralistes manifestent aujourd’hui, il ne s’agit pas de nier leur rôle essentiel. C’est bien eux, dans le cadre des coopérations dont je parlais, qui sont au centre du parcours de soins, car ils disposent d’une expertise essentielle.

Nous devons poursuivre la transformation de notre système de santé pour répondre à des besoins qui évoluent et à une démographique médicale qui est celle que nous connaissons.

En effet, la pandémie mondiale de la covid-19 a profondément bouleversé notre système de santé qui, pour y faire face, a déployé des ressources et des moyens parfaitement inédits. Nous avons inventé des solutions, expérimenté des modes d’organisation innovants et bâti des solidarités nouvelles.

Je pense, par exemple, à l’extension des compétences vaccinales aux professionnels de proximité en 2021, qui a permis d’accompagner le déploiement d’une campagne de vaccination massive, laquelle fut une réussite collective.

Il s’agit d’un progrès que nous avons ensuite entériné dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, en élargissant l’accès à la prescription de vaccins aux pharmaciens, maïeuticiens et infirmiers.

Les contextes de crise ont peut-être ce seul avantage d’être des vecteurs de transformation et des catalyseurs de changements, portant en eux les ferments d’une résilience renouvelée, une fois les difficultés surmontées.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 comporte d’ailleurs de nombreuses autres mesures opérationnelles et efficaces pour l’accès aux soins, dont certaines sont d’origine parlementaire et transpartisane.

Je pense à la simplification des aides à l’installation, aux expérimentations relatives à l’établissement de certificats de décès par les infirmiers ou aux consultations avancées en zones sous-denses.

Nous avons récemment lancé une expérimentation qui permet aux sages-femmes de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse (IVG) instrumentales, dans certaines conditions et dans un cadre sécurisé. Ce nouvel élargissement de compétences sera généralisé fin 2023, ce qui favorisera l’accès à l’IVG pour toutes les femmes.

Pour amplifier la dynamique amorcée et faire face aux défis actuels et futurs, qui sont immenses, il nous appartient de nous inscrire dans ce mouvement qui fait bouger les lignes et de tracer le chemin d’un système de santé où chaque professionnel trouve sa place.

Ce système de santé, que nous refondons, doit reposer sur une confiance et une collaboration renforcées entre tous les professionnels, et permettre de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens et de lutter contre toutes les inégalités d’accès aux soins.

Si la pandémie de la covid-19 est désormais derrière nous, nous faisons face à d’autres défis majeurs, auxquels il faut opposer des actions immédiates adossées à des changements structurels.

Il faut nommer les choses : l’urgence à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés est celle d’une crise de l’accès à la santé.

En matière de santé publique, une bonne politique contribue à faire coïncider le temps de la gestion des crises et les nécessités de plus long terme.

En ce qui concerne les médecins, nous avons corrigé une erreur historique en supprimant le numerus clausus. Il faudra toutefois attendre encore des années avant d’en voir les effets sur le terrain.

Dans le cadre d’un grand pacte autour de la formation, que nous construisons avec les régions, nous avons déjà créé plus de 5 000 places supplémentaires dans les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et plus de 3 000 dans les instituts de formation d’aides-soignants (Ifas).

Par ailleurs, nous comptons déjà près de 200 infirmiers et infirmières en pratique avancée et 4 000 assistants médicaux. Nous en visons 10 000 d’ici à 2024.

Aujourd’hui, notre objectif et notre défi, qui vont au-delà du simple fait de poursuivre le renforcement de nos effectifs, c’est de mobiliser tous les leviers nous permettant de mieux partager les tâches et de gagner du temps médical pour nos soignants, au service des patients.

Les leviers que nous actionnons avec ce texte sont la rénovation des métiers du soin, avec des compétences élargies pour chaque acteur de santé, dans le rôle qui est le sien, ainsi que la rénovation de l’organisation du parcours de soins autour du médecin traitant, pour que chacun, avec ses compétences, soit le plus efficace possible au service du patient.

Tout cela s’inscrit dans une logique partenariale entre les soignants, une logique de confiance entre les pouvoirs publics et les professionnels, une logique de coopération entre la ville et l’hôpital, et dans un esprit de dialogue et de responsabilités partagées.

C’est là aussi un enjeu majeur d’attractivité et de fidélisation, pour les jeunes en particulier, alors que je soulignais l’insuffisance de l’offre de soins par rapport aux besoins croissants de la population.

Vous l’aurez compris, il s’agit de répondre à la double exigence d’améliorer l’accès aux soins des Français et de donner de nouvelles responsabilités et perspectives d’évolution professionnelle aux soignants.

C’est ce à quoi nous nous sommes attelés au travers de cette proposition de loi, qui nous permet d’avancer dans le sens d’un renforcement de la pratique avancée, de l’accès direct, des partages de compétences et des délégations d’actes, qui doivent se déployer dans des organisations territoriales collectives et coordonnées.

Grâce à un débat parlementaire transpartisan de grande qualité, nous avons pu faire de ce texte le vecteur de nombreuses avancées qui n’étaient pas prévues dans le dispositif initial.

Je pense, par exemple, à la possibilité pour les personnes souffrant de diabète de se faire prescrire directement des orthèses plantaires par un pédicure-podologue, à la possibilité pour le pharmacien de renouveler les traitements chroniques lorsque le médecin prescripteur n’est pas disponible, pour une durée maximale de trois mois, à la possibilité pour les infirmiers formés à cet effet de prendre en charge le traitement des plaies chroniques, à l’évolution du métier d’assistant dentaire, en lien avec la demande des chirurgiens-dentistes de libérer du temps médical, ou encore à la reconnaissance des assistants de régulation médicale comme professionnels de santé, ce qui contribue à améliorer l’attractivité d’une profession où les besoins de recrutement sont importants.

Je salue ces élargissements et ces facilités d’accès. Je suis profondément convaincue que le chemin que nous empruntons est le bon.

Je veux aussi saluer, madame la rapporteure, le travail effectué par les sénateurs dans le cadre de la commission des affaires sociales.

J’ai, par ailleurs, été sensible aux questions portant sur les évolutions du statut des infirmiers anesthésistes diplômés d’État (IADE). Les métiers des soins infirmiers sont aussi divers qu’indispensables et j’accorde la plus grande attention aux réformes qui les concernent.

Les professions d’IADE, d’infirmier de bloc opératoire diplômé d’État (Ibode), d’infirmier puériculteur (Ipuer) sont aussi spécifiques que celle, plus récente, d’infirmier en pratique avancée (IPA).

Une définition du cadre d’exercice en pratique avancée, propre à chacune de ces professions, est nécessaire. Ce cadre est appelé à se stabiliser au travers de concertations que nous mènerons et poursuivrons, en associant l’ensemble des parties prenantes concernées.

Dans cette perspective, les auteurs du rapport de l’Igas et de l’IGESR rendu public en janvier, Jean Debeaupuis et Patrice Blemont, proposent de maintenir la notion de spécialité infirmière, notion ancienne et toujours structurante de l’identité de ces professionnels.

La commission des affaires sociales du Sénat a choisi de ne pas retenir les dispositions distinguant infirmiers en pratique avancée spécialisés et praticiens. À la suite des concertations que nous avons conduites avec les représentants professionnels, cette distinction semble effectivement inadaptée au système français. Par conséquent, le Gouvernement soutiendra ce choix.

Les IADE, Ibode ou Ipuer ont tous une page à écrire dans le projet que nous élaborons actuellement autour de la pratique avancée. Les parlementaires souhaitant être associés à ce travail, qui sera suivi d’évolutions principalement réglementaires, sont bien évidemment les bienvenus.

Attentive à l’ensemble de ces sujets, je le suis également particulièrement à l’égard de certaines craintes exprimées par les médecins généralistes.

Je veux encore m’adresser ici autant à vous qu’à eux, dont certains sont aujourd’hui dans la rue, en grève. Je le répète : l’objectif n’est en aucun cas de mettre de côté le médecin généraliste ! Au contraire, nous voulons accroître le niveau de coopération entre les professions de santé, en organisant le système autour du médecin généraliste traitant qui joue un rôle pivot en la matière et dont nous renforçons la place centrale.

Le Président de la République l’a rappelé lors de ses vœux aux soignants : « nos médecins généralistes sont, pour les Français, le visage le plus familier de notre système de santé ».

La médecine de ville est la colonne vertébrale de notre système de santé. Les généralistes reçoivent en moyenne 1 million de patients par jour. Ce chiffre est important et doit rester un motif de fierté pour la profession. Cependant, cela ne change rien au fait que 6 millions de Français n’ont actuellement pas de médecin traitant.

Cette situation ne peut être acceptée sans rien changer. C’est pour cela qu’il est indispensable de trouver les voies afin de toujours mieux concilier le principe de liberté, qui structure la médecine libérale et qui ne saurait être remis en cause, avec la nécessité d’un engagement territorial d’un plus grand nombre de professionnels de santé.

Nous souhaitons qu’une part structurante de la rémunération repose sur ces objectifs de santé publique, à l’échelle d’un territoire.

Je suis profondément convaincue que le médecin traitant assure un rôle central dans la réponse locale aux besoins de santé. Nous devons mieux reconnaître et mieux valoriser ce rôle, lorsqu’un médecin s’engage à la fois envers ses patients et en faveur de la coopération à l’échelle de son territoire.

Pour susciter et ancrer cet engagement, la solution, n’est pas la contrainte, mais encore une fois le développement accéléré des coopérations et de l’exercice coordonné. Ainsi, il nous faut encourager le plus grand nombre de médecins à s’engager envers leurs patients et leur territoire, par une démarche collective au service de la santé des Français. Certains le font déjà et doivent, à ce titre, bénéficier d’une valorisation financière supérieure.

Ce mécanisme d’engagement territorial, que nous voulons inscrire dans la loi, aura des traductions très concrètes. Il s’agit, par exemple, d’accepter de prendre en charge des patients qui ne trouvent pas de médecin traitant, d’assurer des soins non programmés, de limiter le reste à charge des patients ou encore de proposer des parcours de prise en charge pluriprofessionnels par l’exercice coordonné.

Oui, nous souhaitons accorder davantage de moyens à nos médecins généralistes, mais encore faut-il, pour être efficaces, qu’ils soient au bon endroit.

J’entends les craintes et je veux rassurer ceux qui les expriment, mais je souhaite aussi profiter de cette tribune pour appeler chacun à faire preuve de sang-froid et pour réfuter certaines affirmations relevant de l’instrumentalisation politique.

Je l’ai détaillé : les mesures d’accès direct ne sont en aucun cas généralisées. J’ai pu entendre que les IPA constitueraient une « menace » pour les médecins. De nouveau, je m’inscris en faux !

Dans le cadre d’un exercice coordonné pour le bien des patients, la montée en charge des infirmiers en pratique avancée, le déploiement d’assistants médicaux et bucco-dentaires comme l’accès facilité aux kinésithérapeutes et aux orthophonistes, ce sont autant de professionnels directement mis au service des patients que d’heures gagnées pour nos médecins, qui ont tout à y gagner.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour réussir à convaincre sans contraindre et à transformer sans abîmer, nous devons collectivement adopter une vision systémique de la réponse aux besoins de santé, au sein de laquelle chaque professionnel et chaque structure, à sa juste place, sera le plus efficace et le plus utile.

Nous débattons aujourd’hui pour progresser dans cette voie et structurer ensemble les déterminants de l’exercice professionnel médical de demain. Je sais pouvoir compter sur l’engagement et la compétence des sénateurs dans ce travail collectif, encore une fois, et toujours, au service de la santé de tous nos concitoyens.

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