Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, la commission des affaires sociales appelait de ses vœux une loi Santé pour examiner les dispositions touchant aux compétences et aux conditions d’exercice des professionnels de santé. Les délais contraints attachés à l’examen d’un texte financier ne nous semblaient pas permettre le débat serein que ce type de mesures nécessite.
Il faut croire, madame la ministre, que nous nous sommes mal compris. Le Gouvernement a choisi de profiter d’un texte, déjà hautement sensible, en discussion à l’Assemblée nationale, pour insérer diverses dispositions, sans étude d’impact et – il faut le dire – sans cohérence d’ensemble ni vision de long terme. Puis, il a opté pour une inscription sans délai à l’ordre du jour du Sénat, laissant moins de deux semaines à notre commission pour examiner ce texte.
Il ne s’agit pas seulement d’un reproche fréquent et mérité sur le respect du travail parlementaire. J’insiste sur la méthode employée, car cet examen précipité a un effet délétère sur les professions de santé et ruine l’ambition affichée dans l’intitulé du texte.
Loin de favoriser la confiance parmi les professionnels de santé, le texte a opposé les professions entre elles ces dernières semaines. Très attendu des paramédicaux dont il valorise les compétences, il a suscité, à l’inverse, l’incompréhension et l’inquiétude de nombreux médecins, qui jugent que certaines de ses dispositions désorganisent le parcours de soins et présentent un risque et de dégradation de la qualité des prises en charge et, in fine, de perte de chances pour les patients.
Or l’examen intervient concomitamment aux négociations de la prochaine convention médicale et contribue largement à en détériorer le climat. Il eût été difficile de choisir moment plus inopportun pour discuter de ce texte !
Un mot enfin de la seconde ambition de la proposition de loi : l’amélioration de l’accès aux soins. Je crois, mes chers collègues, qu’il ne faut pas se bercer de chimères : ce texte oppose des réponses parcellaires à un problème structurel et ne permettra pas de résoudre les graves difficultés auxquelles certains de nos territoires sont confrontés. La démographie des médecins ne s’améliorera pas de sitôt, les professionnels de santé mettront plusieurs années avant de s’approprier de telles innovations et les patients pourront se sentir désorientés.
Malgré ces vents contraires, la commission a examiné ce texte en retenant une approche équilibrée, consistant à adopter les mesures les mieux à même de fluidifier le parcours du patient et de valoriser les compétences des professionnels de santé. Elle a amendé la proposition de loi lorsque cela paraissait nécessaire, pour garantir la sécurité des soins comme pour conserver le rôle central du médecin dans la coordination et le suivi des patients.
Le premier volet de ce texte, sans doute le plus conflictuel, concerne l’accès direct à trois professions paramédicales – infirmiers en pratique avancée, masseurs-kinésithérapeutes et orthophonistes – exerçant actuellement sur prescription médicale préalable.
L’article 1er vise à revaloriser la profession d’infirmier en pratique avancée en améliorant les conditions dans lesquelles celle-ci peut prendre en charge des patients. Pour cela, il prévoit d’autoriser les IPA à prescrire des prestations et des produits de santé à prescription médicale obligatoire. Il permet surtout l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée, dès lors que ceux-ci exercent à l’hôpital, en établissement médico-social ou en ville au sein d’une structure d’exercice coordonné. Cette autorisation est assortie de conditions permettant d’assurer l’information du médecin traitant.
Les infirmiers en pratique avancée bénéficient d’une formation de deux ans supplémentaires et de compétences élargies dans l’un des cinq domaines d’intervention actuellement reconnus. Ils apportent, à l’hôpital comme en ambulatoire, un appui précieux aux équipes de soins.
Autorisée en 2018, la pratique avancée n’a connu jusque-là qu’un développement limité : la France ne comptait l’été dernier qu’environ 1 700 IPA, dont moins de 200 d’entre eux exerçaient en libéral. Le nombre insuffisant de patients qui leur sont confiés par les médecins constitue l’un des principaux obstacles à leur déploiement.
Compte tenu de ces effectifs et contrairement à l’ambition affichée de ce texte, les difficultés d’accès aux soins dans nos territoires ne seront donc pas résolues, à court terme, par ces dispositions. Celles-ci contribueront toutefois à renforcer l’attractivité et la reconnaissance de la pratique avancée. C’est pourquoi la commission les a adoptées, tout en veillant à ce que l’accès direct s’exerce en étroite coordination avec les autres professionnels de santé en le réservant, en ville, aux structures les plus intégrées qui partagent une patientèle commune.
L’article 1er visait également à restructurer la profession en créant deux catégories d’infirmiers en pratique avancée, spécialisés et praticiens. Ces dispositions n’étant pas adaptées au modèle français de pratique avancée infirmière et les organisations d’IPA elles-mêmes y étant opposées, la commission a choisi de les supprimer.
Les articles 2 et 3 visent à permettre également aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes d’exercer sans prescription médicale préalable, dans les mêmes conditions que les infirmiers en pratique avancée. De nouveau, la commission a adopté ces dispositions susceptibles de simplifier le parcours de soins, tout en veillant à mieux encadrer l’accès direct pour le réserver aux structures les mieux intégrées et assurer la sécurité des soins.
Un deuxième volet de la proposition de loi vise à étendre les compétences des professionnels de santé.
Ainsi, l’article 1er bis autorise les infirmiers à prendre en charge la prévention et le traitement de plaies, y compris par la prescription d’examens complémentaires et de produits de santé définis.
L’article 2 bis autorise les masseurs-kinésithérapeutes à prescrire une activité physique adaptée. La commission a adopté ces dispositions en précisant toutefois que la Haute Autorité de santé devrait se prononcer sur leurs conditions de mise en œuvre.
L’article 4 a pour objet de confier de nouvelles compétences à des assistants dentaires dits de niveau II. Leurs missions, actuellement circonscrites à la simple assistance du praticien, seraient étendues à une contribution active aux actes d’imagerie à visée diagnostique, aux actes prophylactiques, aux actes orthodontiques et à des soins post-chirurgicaux. La commission a complété le dispositif en conditionnant l’exercice de ces nouvelles activités à la validation, par l’assistant dentaire, d’une formation spécifique.
L’article 4 bis tend à encadrer le nombre d’assistants dentaires de niveau II en le limitant au nombre de chirurgiens-dentistes. Là encore, la commission a adopté l’article en précisant le dispositif prévu afin de prévenir les risques de contournement de la règle. Ce ratio s’appliquera ainsi sur un même site d’exercice de l’art dentaire et au regard du nombre de chirurgiens-dentistes effectivement présents.
D’autres articles élargissent les compétences reconnues à certains professionnels de santé, sans profondes modifications.
La commission a adopté l’article 4 septies ayant trait à l’élargissement des compétences des pédicures-podologues, afin de fluidifier le parcours de soins des patients et d’éviter les retards de prise en charge du risque podologique pour les patients diabétiques.
Elle a également adopté l’article 4 octies, qui tend à élargir, sous certaines conditions, la compétence reconnue aux opticiens-lunetiers d’adapter la prescription de verres correcteurs ou de lentilles de contact.
La commission a, en outre, soutenu l’article 4 nonies qui permet aux professionnels de l’appareillage d’adapter et de renouveler des prescriptions d’orthèses plantaires.
Enfin, l’article 4 terdecies vise à autoriser, à titre expérimental, les pharmaciens biologistes à pratiquer des prélèvements cervico-vaginaux pour le dépistage du cancer du col de l’utérus. Nous avons soutenu cet article en commission. Je regrette simplement que le Gouvernement ne pérennise pas cette reconnaissance législative d’une compétence que les pharmaciens biologistes détiennent et qui permettrait de renforcer les efforts en matière de prévention de ce cancer.
Une troisième partie de la proposition de loi concerne l’organisation du parcours de soins.
L’article 4 ter vise à permettre aux sages-femmes, aux chirurgiens-dentistes et aux infirmiers de concourir à la permanence des soins ambulatoires. Si ces dispositions sont souhaitables pour améliorer l’accès aux soins non programmés pendant les heures de fermeture des cabinets, la commission a toutefois souhaité supprimer la notion de responsabilité collective, imprécise juridiquement, qui inquiétait les professionnels impliqués.
Elle a également supprimé l’article 4 quater, qui tendait à valoriser l’engagement territorial des médecins. La commission a jugé ces dispositions inutiles, car les partenaires conventionnels sont déjà en mesure de rémunérer l’implication du médecin dans l’amélioration de l’accès aux soins. En outre, elles interféraient avec les négociations en cours, qui d’ores et déjà prévoient la mise en place d’un tel contrat.
En revanche, et pour rendre du temps médical utile aux médecins, la commission a adopté un nouvel article 3 bis visant à lutter contre les rendez-vous médicaux non honorés. Selon les termes de cet article, le soin de déterminer une indemnisation du médecin auquel un patient fait faux bond sans raison légitime est confié à la convention médicale. Cette indemnisation serait à la charge du patient concerné afin de responsabiliser les assurés sociaux.
Enfin, deux articles ont trait au statut de certaines professions et à leurs conditions d’exercice.
L’article 4 sexies tend à modifier les conditions de qualification autorisant l’exercice des professions de préparateur en pharmacie et pharmacie hospitalière, afin de permettre aux étudiants du diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques, récemment créé, d’exercer leur profession, une fois diplômés. La commission a soutenu cet article, de même que l’article 4 decies, qui vise à reconnaître les assistants de régulation médicale comme professionnels de santé. Ce nouveau statut contribuerait à améliorer l’attractivité d’une profession concentrant d’importants besoins de recrutement.
Vous le voyez, mes chers collègues, la commission s’est efforcée d’aborder le texte de manière pragmatique. Elle a retenu les mesures apportant des améliorations attendues sur le terrain par les professionnels, mais a prévenu, grâce à un meilleur encadrement de certaines dispositions, toute désorganisation du système de santé. La commission vous invite à adopter le texte dans la rédaction issue de ses travaux.