Intervention de Christophe Béchu

Réunion du 16 février 2023 à 10h30
Favoriser les travaux de rénovation énergétique — Vote sur l'ensemble

Photo de Christophe BéchuChristophe Béchu :

Monsieur le président, madame la rapporteure Eustache-Brinio, mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette proposition de loi, il est très exactement question de transition écologique et de cohésion des territoires. Comment, en particulier, soutenir les élus locaux et leur donner les moyens d’accélérer leur action en matière de rénovation des bâtiments publics, dans un contexte que nous connaissons et avec une équation à résoudre entre urgence climatique, d’un côté, et montants colossaux à investir, de l’autre ?

Notre pays, comme toute l’Europe, est engagé dans une stratégie de décarbonation. Nous en connaissons les termes : avoir réduit nos émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % en 2030. Pour atteindre cet objectif, il faut jouer sur tous les leviers.

Celui de l’énergie, nous l’avons mobilisé avec le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, qui a été voté, et avec le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, qui est en attente d’une adoption définitive.

S’agissant des infrastructures, je peux évoquer la remise imminente du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI) et les efforts que nous allons avoir à faire sur le transport ferroviaire, en particulier.

La rénovation des bâtiments constitue le troisième levier d’importance. Il faut, à ce titre, distinguer les deux types de bâtiments concernés.

Les logements individuels – le parc résidentiel – sont responsables d’environ deux tiers des émissions. Pour ces logements, nous disposons déjà d’un mécanisme, certes perfectible : MaPrimeRénov’ a permis d’engager 1, 5 million de rénovations et nous allons continuer de travailler sur sa performance.

Parmi les bâtiments non résidentiels, responsables d’un tiers des émissions, une part considérable est formée par les bâtiments publics : représentant plus d’un tiers du parc tertiaire, ils cumulent une surface supérieure à 400 millions de mètres carrés, dont 100 millions de mètres carrés appartenant à l’État et plus de 300 millions de mètres carrés aux collectivités locales. Dans cette dernière catégorie, un mètre carré sur deux est scolaire – écoles, collèges, lycées –, c’est un patrimoine vivant, et non dormant, dans lequel la transmission des savoirs s’opère et la relève générationnelle se construit.

Cette proposition de loi entend faire œuvre d’efficacité et d’exemplarité : efficacité, parce que, sans rénovation du parc public, nous n’atteindrons pas nos objectifs ; exemplarité, parce qu’au moment où l’État et les collectivités locales encouragent nos concitoyens à faire des efforts sur leurs biens, si eux-mêmes ne font rien sur leur propre patrimoine, la capacité prescriptive de leur parole risque de s’en ressentir.

Le problème est assez simple. Si l’on considère qu’une grande partie des 400 millions de mètres carrés du parc public nécessite d’être rénovée et que l’on applique des ratios moyens en termes de coûts d’isolation des bâtiments, les factures se chiffrent en centaines de milliards d’euros. Comment y faire face dans le contexte actuel des finances publiques ?

Les subventions et crédits ont leurs limites. Même en ayant ajouté un fonds vert doté de 2 milliards d’euros, avec les crédits issus du plan de relance, la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), qui peut servir à une partie de ces travaux, les certificats d’économie d’énergie et un fonds Chaleur que vous avez majoré de 150 millions d’euros par rapport à la trajectoire initiale et qui atteint désormais 520 millions d’euros, nous arrivons à un total de 4 milliards d’euros. On constate bien évidemment un delta par rapport aux montants à financer…

D’où cette idée de sortir du cadre et de desserrer le frein à la rénovation des bâtiments publics que constitue l’impossibilité de lisser les paiements et, en conséquence, de se rembourser sur les économies d’énergie stratégiques que de nombreux acteurs privés, eux, sont en train de dégager.

Il serait désormais possible, par dérogation au code de la commande publique, de procéder à un paiement différé pour la réalisation de travaux de rénovation énergétique, et ce dans le cadre de marchés globaux de performance énergétique. Il s’agirait, non pas d’une réhabilitation des partenariats public-privé, mais d’un mode permettant de maintenir l’exigence de gestion publique tout en offrant une nouvelle faculté aux élus volontaires – ceux qui ne le souhaitent pas n’auront aucune obligation de s’en saisir.

La conclusion en ce sens de contrats de performance énergétique (CPE) serait autorisée pour une durée de cinq ans – ce délai détermine la période pendant laquelle les contrats pourront être conclus et n’a rien à voir avec la durée des travaux ou de l’amortissement.

J’y insiste, ce n’est pas un partenariat public-privé, d’une part, parce que l’on peut opter pour un partenariat public-public, par exemple en s’appuyant sur son intercommunalité, la Banque des territoires, une société d’économie mixte (SEM), une société publique locale (SPL) ou un syndicat d’énergie, ce qui évite d’avoir à s’interroger sur le niveau de profit ou de rentabilité du dispositif ; d’autre part, parce que la délégation porte uniquement sur le chantier, et pas sur la gestion du bâtiment.

La présente proposition de loi a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Elle a été adoptée à l’unanimité en commission des lois du Sénat, cette unanimité tenant au travail de votre rapporteure, la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, que je salue. Les amendements adoptés par votre commission me semblent effectivement apporter à la fois quelques garde-fous et quelques incitations supplémentaires.

En particulier, en étendant le bénéfice de l’expérimentation aux actions de mutualisation des travaux de performance énergétique menées par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou les syndicats d’énergie, on travaille très clairement à lever une partie des freins que j’évoquais voilà quelques instants.

Dans le même temps, la simplification de la procédure de vérification demandée aux collectivités est cruciale. On le sait, si le dispositif est trop lourd, les plus petites collectivités ne s’en saisiront pas, alors même qu’ayant les épargnes les plus contraintes, elles sont les moins à même de pouvoir avancer sans ce type de dispositifs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite évidemment que ce texte fasse l’objet du vote le plus large possible. Je conclurai en vous livrant trois réflexions à haute voix.

Premièrement, nous ne contraignons personne en votant ce texte. Nous ajoutons simplement, dans la boîte à outils de tous les élus de ce pays, la possibilité de bénéficier d’un mode de financement innovant pendant quelques années et, ainsi, de sortir de la double injonction voulant que, si l’on ne fait rien, on n’agit pas face à l’urgence climatique et, si l’on fait quelque chose, on prend le risque d’engager des montants de financement public à des hauteurs difficiles à assumer.

Nous avons ici une solution rationnelle, inscrite dans la durée, apportant un bienfait immédiat pour le climat et, si ce n’est pour le pouvoir d’achat, au moins pour les dépenses budgétaires des collectivités locales à moyen terme. J’y ajoute un autre bienfait, celui que ressentiront les usagers de ces bâtiments : on raisonne effectivement comme s’il ne s’agissait que de décarbonation ou de dépenses, mais il y a des enfants et des enseignants dans nos écoles et la qualité des cours dépend aussi de la température dans les bâtiments !

Deuxièmement, je travaille en temps masqué pour que, lorsque la proposition de loi aura été votée, nous disposions des véhicules permettant de se saisir de manière simple de la mesure : ingénierie, offre de prêts structurés, mécanismes d’accompagnement, y compris des régions ou des départements ayant décidé d’une accélération sur leur territoire. Grâce à ce travail mené avec la Banque des territoires, et toujours sous réserve de l’adoption de ce texte par le Sénat, puis d’une commission mixte paritaire conclusive, nous serons en mesure dans un mois de proposer un dispositif à tous les élus locaux de ce pays.

Troisièmement, et je terminerai sur ce point, nous sommes dans une année où, avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France, nous allons discuter des budgets verts. Nous pourrons réfléchir dans ce cadre, en tenant compte des dépenses à engager, à un possible accroissement des soutiens de l’État sur les projets vertueux pour le climat ou la biodiversité.

Nous avons aussi le souci de montrer ce qu’est une dette verte et comment l’on peut investir de l’argent aujourd’hui pour éviter des dépenses plus élevées demain – le climat est un usurier et l’inaction a un coût que nous ne sommes pas encore totalement capables de mesurer. Nous ferons donc œuvre utile dans ce domaine également.

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