Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 12 février 2009 à 22h00
Consultation des électeurs de mayotte — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, Mayotte est devenue française en 1841 et, cinq années plus tard, l’ordonnance royale du 9 décembre 1846 abolissait l’esclavage dans cet archipel qui avait connu de nombreuses razzias.

Dès les premières années, l’appartenance à la France est ainsi devenue synonyme de liberté pour la grande majorité des Mahorais.

Le 18 avril 2008, le conseil général de Mayotte a adopté à l’unanimité une résolution demandant que l’île accède au régime des départements et régions d’outre-mer, défini à l’article 73 de la Constitution. Le Président de la République, conformément à ses engagements, a choisi de lancer le processus d’évolution statutaire.

Comme vous l’avez rappelé, madame le ministre, les électeurs de Mayotte auront donc à répondre le 29 mars prochain à la question suivante : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée Département”, régie par l’article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d’outre-mer ? »

Vous l’avez également signalé, madame le ministre, une exigence de transparence, que nous partageons bien entendu, veut que les Mahorais soient informés des tenants de cette future départementalisation avant de faire leur choix. Le Pacte pour la départementalisation de Mayotte a donc été adressé à tous les électeurs pour leur permettre de se prononcer en toute connaissance de cause.

Les Mahorais attendent la question qui leur est posée depuis des décennies, et l’attention du Sénat et de sa commission des lois a accompagné chaque étape de l’histoire de Mayotte.

Ainsi, à la veille d’une probable évolution statutaire majeure, une mission d’information de la commission des lois s’est rendue à Mayotte du 1er au 6 septembre 2008. Il s’agissait – nos collègues de Mayotte s’en souviennent ! – du troisième déplacement de la commission sur l’île en huit ans.

Au cours de cette mission, Michèle André, Christian Cointat, Yves Détraigne et moi-même avons rencontré l’ensemble des responsables politiques, administratifs, socio-économiques et associatifs. Ceux d’entre nous qui connaissaient déjà Mayotte ont mesuré les progrès indéniables de la collectivité en matière d’équipement. Nous avons également observé les retards dont la correction suppose un effort particulier de la part des Mahorais, de leurs élus et de l’État.

À l’issue de cette semaine de travail, complétée par des auditions à son retour à Paris, la mission d’information a proposé à la commission des lois d’approuver la démarche engagée par le Président de la République et le Gouvernement pour permettre à Mayotte de devenir le cent unième département français.

Mayotte exprime depuis plus de cent soixante ans un attachement indéfectible à la France. Depuis 1958, la départementalisation est revendiquée comme le moyen d’ancrer le plus solidement possible Mayotte au sein de la République française. Le choix d’accéder au statut départemental représente aussi une garantie pour la population de Mayotte : un ancrage plus fort dans la République et l’assurance de pouvoir vivre dans un état de droit et dans une société démocratique.

Au cours des trente dernières années, cette revendication ne pouvait être satisfaite, car Mayotte n’était pas prête. Outre le contexte international, c’est avant tout l’attachement des Mahorais à leur mode de vie traditionnel qui a justifié les options statutaires passées. À cette époque, Mayotte n’aurait pu devenir un département sans connaître une profonde crise sociale et identitaire, en raison d’une application trop brutale du droit commun.

Mais, en 2009, la situation a évolué. La population de Mayotte est devenue plus mobile. De nombreux Mahorais ont fait des études et se sont déjà rendus plusieurs fois en métropole ou à la Réunion.

Les efforts accomplis depuis trente ans pour rapprocher l’île du droit commun dans de nombreux domaines ont changé la donne. Mayotte dispose aujourd’hui d’un statut sur mesure, défini en 2001 et actualisé en 2007, qui lui a permis d’avancer progressivement vers l’application du droit commun.

L’accès au statut de département et région d’outre-mer permettra d’achever cet alignement sur le droit commun, tout en préservant des possibilités d’adaptation, bien évidemment justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte, tel que le prévoit la Constitution pour les territoires d’outre-mer.

Si Mayotte est aujourd’hui une collectivité d’outre-mer, elle le doit en grande partie à ses très fortes particularités.

Ainsi, à Mayotte, deux statuts civils coexistent : le statut de droit commun, que nous connaissons en métropole, et le statut personnel ou statut civil de droit local, dont relèvent les Mahorais musulmans qui n’y ont pas renoncé. À cette dualité de statuts correspondent une dualité des règles en matière d’état des personnes et des biens ainsi qu’une justice particulière aux citoyens de statut personnel, rendue par les cadis.

Le statut personnel, la justice cadiale et l’état civil sont trois points majeurs d’évolution nécessaire en vue de la départementalisation.

Le statut personnel a certes connu plusieurs modifications, qui, depuis 2001, l’ont rapproché des principes républicains en matière de polygamie, de répudiation, de divorce ou de droit des successions. Mais il doit encore être rendu pleinement compatible avec les droits fondamentaux de notre République. De nouvelles modifications doivent lui être apportées pour garantir aux personnes qui en relèvent les mêmes droits qu’aux personnes ayant le statut civil de droit commun.

Il s’agit d’une réforme indispensable pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, comme vous l’avez rappelé, madame le ministre. La départementalisation rend ainsi indispensable l’interdiction de toute nouvelle union polygame.

En ce qui concerne la justice cadiale, les membres de la mission d’information ont rencontré le grand cadi, les cadis et les magistrats du tribunal supérieur d’appel.

Je rappelle que le cadi fonde ses décisions à la fois sur la doctrine musulmane et sur des règles coutumières issues d’Afrique de l’Est. La justice cadiale est marquée par la quasi-inexistence de règles procédurales, une méconnaissance totale du principe du contradictoire et de la représentation par avocat. C’est, il faut le dire, une justice aléatoire, sans garantie, critiquée par les Mahorais eux-mêmes.

C’est pourquoi la commission des lois estime, comme l’a également souligné Mme le ministre, que la départementalisation devra s’accompagner de la suppression des fonctions juridictionnelles des cadis.

La départementalisation de Mayotte et l’organisation même de la consultation du 29 mars prochain posent en outre la question de l’état civil des Mahorais.

Vu de métropole, où l’état civil remonte au xvie siècle – il est en réalité beaucoup plus ancien, mais il n’est à peu près lisible que depuis cette époque –, il est difficile de mesurer le changement que représente pour les Français de Mayotte la fixation de leur état civil, avec nom et prénoms.

Les travaux de la Commission de révision de l’état civil, la CREC, ont progressé trop lentement. Les Mahorais ayant fait en grand nombre la démarche de saisir cette commission, qui doit fixer leurs nom et prénoms et établir les actes d’état civil, on dénombre plus de 14 000 dossiers en instance. Il me semble avoir lu dans les comptes rendus des débats de l’Assemblée nationale que, pour l’année 2008, moins de 800 dossiers avaient été traités.

En outre, y compris après le traitement de ces 14 000 dossiers, de nombreuses personnes n’auront toujours pas d’état civil parce qu’elles ne l’ont pas demandé.

Or, les Mahorais, en l’absence d’un acte de naissance reconstitué par la CREC, pourraient se trouver comme des « étrangers en France », n’étant pas en mesure d’obtenir des documents d’identité. Hors Mayotte, en effet, les exigences de certaines préfectures, mairies ou départements pour le renouvellement d’une carte d’identité sont impossibles à satisfaire, ce qui est paradoxal. Une telle situation est contraire au principe d’égalité et exige d’être rapidement corrigée. L’action de l’État doit trouver en ce domaine plus de cohérence.

Nous ne pouvons demander aux Mahorais d’appliquer le droit commun si nous ne sommes pas en mesure de fixer leur état civil. La réalisation de cet objectif conditionne en outre l’établissement de listes électorales fiables.

La commission des lois, notamment notre excellent collègue Yves Détraigne qui s’exprimera tout à l’heure, a d’ailleurs émis plusieurs recommandations pour accélérer le traitement des dossiers par la CREC.

Il faut prévoir la nomination d’au moins un vice-président, qui pourrait être un fonctionnaire qualifié en matière d’état civil, afin de doubler le nombre d’audiences et de multiplier ainsi le nombre de décisions rendues chaque semaine.

Il convient également de créer une équipe administrative de cinq ou six fonctionnaires aguerris en matière d’état civil, qui seraient chargés de coordonner les travaux des rapporteurs et de superviser la préparation des décisions.

La mission d’information de la commission des lois a souligné que la population de Mayotte devait être pleinement informée des implications et des conséquences de la départementalisation. Le Pacte pour la départementalisation de Mayotte, que tous les Mahorais ont lu, j’en suis sûr, avec le plus grand intérêt, a fait connaître ces éléments.

Cette évolution statutaire interviendra en effet, alors que la situation de Mayotte paraît porteuse de risques et d’inquiétudes. Elle demandera d’importants efforts aux habitants, aux élus et à l’État. L’avenir de l’archipel repose sur un équilibre fragile, que l’accès au statut de département et région d’outre-mer doit non pas compromettre, mais renforcer.

Il appartiendra à chacun d’assumer ses responsabilités pour que le changement de statut permette à Mayotte de mieux surmonter les défis auxquels elle est confrontée.

Le premier de ces défis, particulièrement visible, réside dans l’immigration irrégulière, qui, contribuant à la jeunesse et à la forte croissance de la population, paraît annihiler parfois les efforts déployés pour développer l’archipel.

Mayotte est confrontée à une très forte pression migratoire en provenance des îles composant l’Union des Comores, en particulier de l’île d’Anjouan, distante de soixante-dix kilomètres.

Un nombre élevé de clandestins perdent la vie en tentant de gagner Mayotte à bord de « kwassas-kwassas ».

En dépit des moyens très importants déployés par l’État dans la lutte contre l’immigration illégale, la population en situation irrégulière représenterait environ 35 % de la population totale de Mayotte, soit près de 60 000 personnes.

Madame le ministre, la délégation de la commission des lois a visité le Centre de rétention administrative, créé en 2003 pour accueillir les étrangers faisant l’objet d’une procédure d’éloignement ou d’une interdiction du territoire français. Ce centre a bénéficié – et c’était bien utile – de travaux d’amélioration au cours des derniers mois. Mais la construction d’un nouveau centre, qui est prévue par votre ministère, doit rester une priorité.

Le maintien de règles spécifiques en matière d’entrée et de séjour des étrangers paraît donc indispensable.

La commission des lois considère par ailleurs que l’immigration ne pourra être maîtrisée sans une coopération massive – elle se révèle difficile, je le sais – entre la France et l’Union des Comores. Celle-ci serait bénéfique aux deux pays et favoriserait un équilibre plus solide dans cette partie de l’océan Indien.

Mayotte est donc confrontée à des difficultés que peu d’autres collectivités françaises connaissent : elle doit à la fois faire face à une explosion démographique, former ses enfants, assurer à ces derniers un avenir professionnel et assimiler l’ensemble des principes républicains.

La population de l’archipel a été multipliée par huit au cours des cinquante dernières années, atteignant aujourd’hui près de 190 000 habitants.

Entre 1997 et 2007, la population scolaire de Mayotte a augmenté de 62 % : quarante écoles, qui accueillent deux fois plus d’élèves qu’en métropole en raison de l’organisation du temps scolaire – les élèves vont en classe soit le matin, soit l’après-midi –, ont été construites, ainsi que sept collèges et quatre lycées.

Les enfants mahorais doivent souvent faire l’apprentissage de deux ou trois langues : le shimaoré ou le shibushi, l’un ou l’autre étant leur langue maternelle, le français, langue de l’école, et l’arabe, enseigné à l’école coranique.

L’intense effort de scolarisation déployé par l’État est donc indispensable à l’apprentissage de la langue française et au développement équilibré de l’archipel. Nous avons d’ailleurs pu observer sur place la grande motivation des personnels de l’éducation nationale.

L’explosion démographique et l’immigration irrégulière donnent l’impression que les efforts visant à développer Mayotte s’apparentent à un travail de Sisyphe ! Aussi l’accès au statut de département et région d’outre-mer doit-il être le moyen pour Mayotte de relever les énormes défis auxquels elle est confrontée.

La départementalisation devrait ainsi s’accompagner, à terme, d’un changement de statut de Mayotte au sein de l’Union européenne. Mayotte figure en effet parmi les pays et territoires d’outre-mer. L’obtention du statut de région ultrapériphérique lui permettrait d’accéder aux financements européens et de faire des progrès rapides en matière d’infrastructures et de développement économique.

Certes, l’évolution du statut de Mayotte en droit interne est sans conséquence sur la situation de la collectivité au regard de l’Union européenne.Le traité de Lisbonne permettrait d’intégrer Mayotte à la liste des régions ultrapériphériques, sans modifier l’article 299, si le Conseil de l’Union européenne le décidait à l’unanimité. Cet objectif fera l’objet du programme suivant, qui sera mis en œuvre à compter de 2013. Une telle évolution, qui est indispensable, devrait permettre de financer les équipements nécessaires dans un certain nombre de domaines.

Enfin, en ce qui concerne la nouvelle organisation statutaire de Mayotte, la commission des lois juge adapté le maintien d’une seule assemblée exerçant à la fois les compétences du département et de la région. La question qui sera posée aux Mahorais porte d’ailleurs sur ce sujet.

Le nouveau département aura besoin de ressources fiscales.

Il faudra pour cela créer une fiscalité locale, qui paraît aujourd’hui inapplicable. En effet, si le plan cadastral de Mayotte est achevé depuis décembre 2004, il ne comporte aucune évaluation de la valeur locative des parcelles.

Par ailleurs, la collectivité départementale tire une part importante de ses ressources des droits de douane : ces recettes douanières ne pourront subsister que de façon transitoire si Mayotte accède au statut de région ultrapériphérique.

L’évolution statutaire impliquera donc un effort important en matière de fiscalité : il sera nécessaire de défaire le système actuel pour en construire un nouveau. Mais peut-être, d’après ce que j’ai compris, une telle évolution ne concerne-t-elle pas uniquement Mayotte.

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