Avant tout, je tiens à revenir brièvement sur la méthode retenue par le Gouvernement.
Cette réforme vient après quatre années de débat et quatre mois de concertation. L'ensemble des partenaires sociaux et les représentants de tous les groupes politiques des deux assemblées ont été reçus au ministère du travail comme à Matignon. Cette concertation a été fructueuse : nous avons certes constaté un certain nombre de désaccords, mais nous avons aussi construit des convergences, qu'il s'agisse des carrières longues ou de la pénibilité.
De telles convergences n'emportent évidemment pas l'adhésion à la réforme dans sa globalité. Mais l'ensemble des partenaires sociaux ont participé à ces concertations du début jusqu'à la fin. En outre, ces réunions ont permis d'avancer sur un certain nombre de sujets et d'apporter au texte, dès sa présentation, un certain nombre d'améliorations qui sont le fruit de travaux ou de demandes des parlementaires.
Premièrement, nous mettons fin à certaines injustices héritées du passé, en particulier dans le cadre des travaux d'utilité collective (TUC). Entre le milieu des années 1980 et le tout début des années 1990, plusieurs centaines de milliers de personnes, qui demandent aujourd'hui la liquidation de leurs droits, constatent que les périodes de travail accomplies à ce titre n'ont pas été comptabilisées. Nous allons également mettre un terme aux anomalies que présentent d'autres types de contrats qui n'étaient pas assujettis à cotisations.
Deuxièmement, nous avons prévu la revalorisation des pensions les plus faibles pour les retraités disposant d'une carrière complète. La retraite minimale sera garantie à hauteur de 85 % du Smic, non seulement pour les nouveaux retraités, mais aussi pour les retraités actuels. Selon nos estimations, 1,8 des 17 millions de retraités que compte notre pays sont concernés.
Troisièmement, nous avons modifié ou complété un certain nombre de dispositions relatives aux retraites agricoles, adoptées dans le cadre des deux propositions de loi Chassaigne. À ce titre, le Parlement a voté, pour les exploitants, la garantie d'une retraite minimum à 85 % du Smic pour une carrière complète. Malheureusement, un certain nombre d'entre eux doivent cesser leur activité de manière anticipée, du fait d'incapacités et d'inaptitudes physiques dues à la pénibilité de leur métier : ils sont donc privés de cette retraite minimum, que nous élargissons aux retraités ayant fait valoir leurs droits à pension pour ces motifs. Ce sont ainsi 45 000 nouvelles personnes qui bénéficieront des garanties Chassaigne. Nous aurons également à travailler sur la proposition de loi de M. Dive, transposant au régime agricole le système des vingt-cinq meilleures années applicable au régime général.
J'en suis convaincu : les débats nous permettront d'améliorer encore ce texte, notamment pour ouvrir des pensions de réversion aux enfants en situation de handicap qui perdent leurs parents. Je sais que la Haute Assemblée est particulièrement attentive à ce sujet.
J'en viens aux principales caractéristiques de la réforme que nous présentons.
Tout d'abord, il s'agit d'une réforme d'équilibre, qui répond à la situation décrite par le Conseil d'orientation des retraites (COR), à savoir un déficit structurel, prolongé et accru d'année en année.
À la page 11 de son rapport, le COR précise que, quels que soient la convention et le scénario retenus, le système est déficitaire sur les vingt-cinq prochaines années. Selon l'hypothèse centrale retenue par le conseil, le déficit atteint 1,8 milliard d'euros dès 2023, puis se creuse à 12,4 milliards d'euros en 2017 et à 25 milliards d'euros en 2040.
Notre attachement commun au système par répartition doit nous conduire à prendre les décisions les plus responsables pour assurer l'équilibre : ignorer la dégradation du solde, c'est prendre le risque de condamner le système par répartition. En effet, il n'y a pas que les dépenses qui comptent ; il y a aussi les recettes.
Nous voulons léguer aux générations futures un véritable système de protection. Dans ce cadre, un certain nombre d'options peuvent être discutées. Toutefois, la diminution du niveau des pensions est inconcevable à nos yeux et la hausse des prélèvements obligatoires serait contradictoire avec tout ce que nous faisons depuis plus de cinq ans pour la compétitivité, le marché du travail et le pouvoir d'achat des Français. Nous ne pouvons pas non plus laisser la dette filer au cours des dix prochaines années - cela représenterait 150 milliards d'euros d'endettement supplémentaire -, d'autant que notre pays est déjà lourdement endetté et que l'on assiste à la remontée des taux obligataires.
Voilà pourquoi nous devons collectivement travailler un peu plus longtemps : l'âge légal sera relevé progressivement de trois mois par an à compter du 1er septembre prochain, pour atteindre 63 ans et 3 mois à la fin du quinquennat et 64 ans en 2030. S'y ajoute une accélération de la mise en oeuvre de la réforme dite « Touraine », à raison d'un trimestre par an, pour atteindre la durée de cotisation de quarante-trois ans à la fin du quinquennat.
Ces mesures ne surprendront pas le Sénat : elles rejoignent un amendement adopté chaque année par la Haute Assemblée lors de l'examen du PLFSS.
En parallèle, nous maintenons à 67 ans l'âge de suppression de la décote. Cet âge peut paraître élevé. Toutefois, je rappelle que, chaque fois que l'âge de départ à la retraite a été relevé, l'âge d'annulation de la décote a été relevé en conséquence. En le maintenant à 67 ans, nous réduisons la période d'application de la décote et nous protégeons les assurés les plus fragiles, notamment les femmes ; beaucoup de celles et ceux qui vont aujourd'hui jusqu'à 67 ans ont connu des carrières plus hachées que la moyenne.
Cet effort, que nous demandons à tous - salariés, indépendants, fonctionnaires et assurés de régimes spéciaux -, permettra de dégager quelque 18 milliards d'euros de marges de manoeuvre en 2030. Ces crédits seront dédiés pour les deux tiers au retour à l'équilibre et pour un tiers au financement de mesures de justice et de progrès.
Il s'agit bel et bien d'une réforme de justice.
Le principe retenu est bien de travailler plus longtemps ; mais il ne s'appliquera pas à tous et pas de la même manière pour les uns et les autres.
Premièrement, nous voulons mieux prendre en compte les carrières les plus longues en améliorant le dispositif en vigueur depuis 2003, afin de le rendre plus juste et plus lisible. Lorsque l'âge légal de départ sera de 64 ans, à l'horizon 2030, il restera à 58 ans pour ceux qui ont commencé à travailler avant 16 ans, dans des conditions facilitées par rapport à aujourd'hui, puisque nous réduirons la condition de durée d'assurance exigée ; il sera de 60 ans pour ceux qui ont commencé entre 16 et 18 ans - c'est un nouveau palier que nous créons, en cohérence avec notre soutien à l'apprentissage ; et il sera de 62 ans pour ceux qui ont commencé entre 18 et 20 ans.
En outre, le dispositif protégera mieux les femmes, en prenant en compte les périodes de congé parental pour le calcul de la durée d'assurance.
Ce ne sont pas là des mesures anecdotiques ou marginales, mais des améliorations substantielles. Le seul dispositif permettant d'inclure des trimestres de congé parental pour cotiser au titre de l'assurance vieillesse concerne 1,9 million de femmes chaque année.
Pour la sincérité de nos débats, je précise que vous ne trouverez pas trace desdites mesures dans ce PLFRSS, et pour cause : elles sont de nature réglementaire. Néanmoins, le tableau d'équilibre financier en traduit le coût et, partant, l'engagement du Gouvernement.
Deuxièmement, les personnes invalides, en situation d'inaptitude ou d'incapacité permanente pourront toujours partir à 62 ans avec une retraite à taux plein, ce qui permettra de maintenir le nombre de départs anticipés au même niveau qu'aujourd'hui. De même, les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ayant donné lieu à un taux d'incapacité supérieur ou égal à 20 % pourront partir de manière automatique, sans l'avis médical supplémentaire exigé actuellement. Nous faciliterons aussi les conditions de départ pour les personnes présentant un taux d'incapacité supérieur à 10 % et inférieur à 20 %.
Les travailleurs en situation de handicap pourront toujours prendre leur retraite à partir de 55 ans - ils font aujourd'hui l'objet de deux conditions cumulatives ; nous ferons en sorte qu'un seul des deux critères soit exigé à l'avenir - et les travailleurs exposés à l'amiante conserveront la possibilité de partir à 50 ans.
Ainsi, nous facilitons l'accès aux systèmes de protection pour bon nombre de salariés et, globalement, l'augmentation du temps de travail ne sera pas de deux ans, mais d'un peu plus de six mois. Pour les 20 % de retraités percevant les pensions les plus faibles, le décalage sera même plutôt de l'ordre d'un trimestre.
Toujours au nom de la justice, nous devons donner plus de place au travail des seniors : c'est une condition du plein emploi et de la réussite de la réforme.
Si la formation et l'accompagnement de l'emploi des seniors ne relèvent pas de ce texte, c'est le cas des dispositions facilitant les transitions.
Nous simplifions l'accès à la retraite progressive, deux ans avant l'âge légal de départ, dispositif que nous ouvrons à la fonction publique. Nous facilitons l'accès au cumul emploi-retraite en le rendant contributif : aujourd'hui, un retraité qui occupe un emploi cotise pour l'assurance vieillesse sans pour autant en tirer de droits. Ainsi, nous autoriserons une seconde liquidation, qui permettra une revalorisation du niveau des retraites, qu'il s'agisse du régime de base ou des régimes complémentaires.
Nous allons créer un index seniors, que nous entendons appliquer à toutes les entreprises de plus de 300 salariés. Nous prévoyions un dispositif de sanctions financières, comparable à celui de l'index de l'égalité professionnelle femmes-hommes, pour les entreprises qui refuseraient cette obligation de publicité. À l'issue des discussions avec les représentants des employeurs et avec les syndicats, qui ont considéré cet index comme un outil intéressant, une obligation renforcée de dialogue social a semblé plus pertinente qu'une sanction financière en cas de non-respect d'objectifs sur la base des indicateurs et des évolutions connues. L'emploi des seniors a donc été réinscrit parmi les items de la gestion des emplois et des parcours professionnels, faisant l'objet d'une obligation de négociation triennale.
Il s'agit également d'une réforme de progrès.
Tout d'abord, nous entendons mieux prévenir l'usure professionnelle et, à cette fin, améliorer la prise en compte de la pénibilité.
Nous voulons faciliter et renforcer les droits acquis au titre du compte professionnel de prévention (C2P). Nous allons ainsi abaisser de 120 à 100 le nombre de nuits travaillées par an pour obtenir des points. Nous allons mieux protéger les travailleurs dits « poly-exposés ». Non seulement les points du C2P sont déplafonnés, mais ils pourront être utilisés pour financer un congé de reconversion. Grâce à ce dispositif, un salarié pourra arrêter son activité en restant rémunéré pour suivre une formation qualifiante lui permettant d'envisager une reconversion. Cette réorientation est souvent le meilleur moyen de prévenir la pénibilité et les conséquences de l'usure.
Nous voulons aussi travailler sur les trois critères ergonomiques dont nous avons constaté, en 2017, combien ils étaient difficiles à appliquer de manière individuelle, en particulier dans les petites entreprises : le port de charges lourdes, les postures pénibles et les vibrations mécaniques.
Nous souhaitons que les branches professionnelles négocient des accords de prévention de l'usure professionnelle sur la base d'une notification par la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) des métiers qui sont, potentiellement, les plus exposés à la pénibilité. Cette branche sait le faire, en étudiant les taux d'accidentologie et la prévalence des maladies professionnelles, ou encore en s'appuyant sur un certain nombre de travaux, comme l'enquête Surveillance médicale et risques professionnels (Sumer). Ces accords de prévention pourront être cofinancés par la branche à hauteur de 1 milliard d'euros pendant le quinquennat, soit à un rythme cinq fois supérieur à ce que nous connaissons aujourd'hui.
Ces métiers feront l'objet d'un suivi médical renforcé articulé autour de la visite médicale professionnelle à 45 ans, adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, et d'une nouvelle visite obligatoire à 61 ans. Ainsi, ceux qui souffrent des conséquences de l'usure professionnelle seront sûrs de pouvoir bénéficier d'un départ anticipé.
Le chiffre de 100 000 départs anticipés pour problèmes physiques n'est pas acceptable. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de mesures de réparation ; il faut avant tout accéder à la retraite en bonne santé. C'est pourquoi la prévention reste l'une de nos priorités.
Cela étant, nous allons aussi faire en sorte que ce suivi médical renforcé permette des départs anticipés sous l'angle de la réparation : si efficaces soient-ils, les dispositifs de prévention ne pourront jamais concerner tout le monde. En outre, un certain nombre de travailleurs sont d'ores et déjà exposés à cette usure.
L'augmentation de la pension minimale traduit un engagement pris par le Président de la République lors de la campagne. Nous entendons garantir une pension minimale représentant 85 % du Smic pour une carrière entièrement cotisée à hauteur du Smic. Concrètement, nous allons revaloriser le minimum de pension de 100 euros par mois à compter du 1er septembre 2023 ; il atteindra 1 200 euros par mois pour une carrière complète, ce qui passe par une revalorisation du minimum contributif majoré et du minimum contributif de base.
Pour que cette garantie soit pérenne, nous prévoyons une indexation sur le Smic du minimum de pension à la liquidation. Nous savons que 200 000 retraités par an, soit un quart des départs à la retraite, bénéficieront, grâce à cette réforme, d'une revalorisation. J'y insiste, cette dernière s'appliquera aussi aux retraites actuelles, ce qui représente 1,8 million de personnes.
Il s'agit, enfin, d'une réforme d'équité.
Améliorer la solidarité entre générations, c'est aller au bout de la promesse d'équité du régime par répartition. Voilà pourquoi nous entendons fermer certains régimes spéciaux de retraite, qui nous paraissent désormais archaïques ou source d'injustices.
Nous fermerons donc les régimes spéciaux de retraite de la RATP, des industries électriques et gazières, des clercs et employés de notaires, de la Banque de France et du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Nous le ferons en respectant le contrat social : ces régimes seront uniquement fermés pour les personnes embauchées à compter du 1er septembre 2023.
L'équité commande de demander à l'ensemble des actifs de travailler un peu plus longtemps : les entreprises salariant des personnels relevant des régimes spéciaux devront donc ouvrir très rapidement des négociations pour créer des périodes de convergence, comme après la réforme de 2010, et ainsi relever de deux ans l'âge de départ à la retraite.
Quant aux indépendants, ils doivent avoir les mêmes droits que les salariés pour un même montant de prélèvement. C'est pourquoi, parallèlement à l'examen de ce texte, nous engagerons la réforme de l'assiette sociale, pour la concrétiser dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Nous veillerons à ce que les indépendants réalisant une carrière complète bénéficient pleinement de la garantie de retraite minimale.
Enfin, cette réforme nous permet de mettre un terme à quelques irritants. Ainsi, nous proposons de mettre fin au processus d'unification du recouvrement entre l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf), l'Agirc-Arrco et la Caisse des dépôts et consignations.