Intervention de Denis Bouad

Réunion du 31 janvier 2023 à 21h30
Protéger les logements contre l'occupation illicite — Discussion générale

Photo de Denis BouadDenis Bouad :

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, bien souvent, pour être pertinente et efficace, une mesure politique doit s’inscrire dans un bon timing et porter un juste équilibre. Le texte dont notre assemblée doit débattre aujourd’hui ne satisfait pas ces deux exigences. À mes yeux, il n’est ni équilibré ni dans la bonne temporalité. Sur un sujet comme celui-ci, la complexité relève de l’arbitrage entre le droit à la propriété et le droit au logement.

Concrètement, il s’agit de concilier la protection des locataires et celle des bailleurs.

Nous nous devons de faire la différence entre certains faits divers médiatisés et la réalité des chiffres qui nous démontrent que, fort heureusement, ces situations restent exceptionnelles. Dans son rapport, la Défenseure des droits indique d’ailleurs que le squat reste un phénomène très marginal.

En 2021, sur l’ensemble du pays, seulement 160 squats de domicile ont été signalés. Et, selon les chiffres communiqués par Mme la rapporteure pour avis, il n’y aurait eu qu’environ 40 cas d’intervention effective de la force publique. Dans une grande majorité des cas, les propriétaires ont pu retrouver leur logement sans recourir à la justice. La loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique a également permis d’accélérer les procédures liées à l’occupation illégale d’un logement. Cela témoigne que l’arsenal législatif en vigueur nous permet déjà d’apporter des réponses à ces situations.

Aussi, sur ce point, nous nous retrouvons assez bien dans la position du président de notre assemblée qui, lors de ses vœux, appelait à une certaine forme de sobriété législative. Plutôt que de légiférer une nouvelle fois sur ce sujet, veillons à l’application du droit existant !

Au-delà de la simple question du squat, la protection des propriétaires contre des situations abusives est une préoccupation plus que légitime… Nous devons traiter ce problème, tout en conservant l’ambition de faire des expulsions une solution de dernier recours. Si celles-ci sont parfois nécessaires pour libérer le bien d’un propriétaire, il n’en demeure pas moins qu’elles créent des situations humaines compliquées.

La réduction des délais de traitement des contentieux telle qu’elle est prévue dans cette proposition de loi remet en cause l’ensemble du travail d’accompagnement social et de relogement. Cela pose d’abord la question de l’efficacité : dans des délais aussi contraints, comment mobiliser les aides nécessaires à une régularisation de la dette ? Comment, le cas échéant, chercher une solution de relogement ?

Toutes les associations du secteur nous le disent : le délai de deux mois entre le commandement de payer et l’assignation en justice n’est pas de trop ! Le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoyait de limiter ce délai à un mois…

Madame, monsieur les rapporteurs, vous avez reconnu le caractère contre-productif d’une réduction de la période au cours de laquelle la majeure partie des impayés se résolvent. Vous avez ainsi ramené ce délai à six semaines.

Si quinze jours de plus ou de moins ne bouleversent pas fondamentalement l’intérêt du propriétaire bailleur – cela peut même aller à l’encontre de son intérêt –, le même délai en plus ou en moins risque d’avoir des conséquences fort dommageables sur le travail d’accompagnement social qui doit être effectué auprès des locataires en difficulté.

Concrètement, mes chers collègues, ce texte nous conduit à légiférer pour réduire de deux semaines les délais de procédure de prévention des expulsions ! On y revient : c’est parfait… Au-delà de l’efficacité de cette mesure, dont on peut douter, s’agit-il pour nous, collectivement, d’une urgence et d’une priorité, alors même que les difficultés d’accès au logement et de maintien dans celui-ci persistent dans notre pays, voire s’aggravent ?

Mon groupe demande le maintien des délais actuels, nécessaires pour prévenir les expulsions, pour trouver les solutions d’une reprise des paiements et, au besoin, pour mettre en place un accompagnement social. Il s’agit là d’une demande forte de l’ensemble des acteurs de la solidarité.

Je tiens néanmoins à saluer le travail de Mme le rapporteur pour avis, lequel a permis de supprimer certaines dispositions totalement déraisonnables qui étaient inscrites dans le texte transmis par l’Assemblée nationale.

Je pense ici à l’amalgame qui était fait entre « squatteurs » et « locataires en défaut de paiement ».

Je pense aussi à la suppression de certaines prérogatives que le juge peut exercer d’office, et qu’il était question de conditionner à une demande des locataires.

Cela traduit l’ambition des auteurs de ce texte qui est de déséquilibrer le système existant, en fragilisant des locataires en difficulté et souvent de bonne foi.

Je salue également la proposition visant à renforcer le rôle des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex). Mais qu’en sera-t-il des moyens concrets pour agir ? Y aura-t-il davantage de personnel pour accompagner cette évolution ?

Si le contenu de cette proposition de loi nous pose question, pour les raisons que je viens d’évoquer, nous nous interrogeons également sur sa temporalité.

Dans cet hémicycle, nous avons eu régulièrement l’occasion de débattre de la crise du logement que traverse notre pays. Il y a seulement quelques semaines, lors de l’examen du projet de loi de finances, nous étions nombreux, sur les travées de cette assemblée, à partager cette préoccupation.

Aujourd’hui, en France, quelque 14, 6 millions de personnes sont fragilisées par la crise du logement ; plus de 4 millions sont mal logées, dont 300 000 sont dépourvues de domicile ; 12 % des foyers sont en situation de précarité énergétique ; 2, 2 millions de ménages sont dans l’attente d’un logement social.

Face à cette crise du logement, cette proposition de loi est à contre-emploi et à contresens.

Nous savons que des propriétaires peuvent se retrouver eux-mêmes dans une situation difficile, car ils subissent des impayés de loyers de la part de leurs locataires. Ces situations ne sont pas acceptables. Nous devons les regarder en face et, bien sûr, y répondre.

Ce texte, qui arrive après cinq ans d’une politique consistant à faire des économies sur le logement des ménages les plus modestes, est-il réellement de nature à sécuriser les petits propriétaires bailleurs ? Est-il de nature à inciter les investissements locatifs ? Est-il de nature à alléger les procédures de sélection appliquées au moment de la mise en location ?

Les rapports entre propriétaires et locataires sont certes importants, mais la réalité, aujourd’hui, qu’il s’agisse de location ou d’achat, c’est que les logements sont de plus en plus inaccessibles pour une grande partie de nos concitoyens. C’est l’un des principaux facteurs d’inégalité dans notre pays. Face à un tel défi, ce sont des politiques structurelles et ambitieuses qui doivent être mises en place.

En réponse à l’explosion des dépenses de logement, nous devons réfléchir à une revalorisation des aides au logement, et notamment à une réévaluation du forfait « charges » des APL.

Nous devons agir sur le prix du foncier en mettant en œuvre une réelle stratégie de mobilisation du foncier public.

Nous devons également permettre une réappropriation du bâti existant au travers d’un grand plan de rénovation afin de lutter contre la vacance qui impacte, en premier lieu, les territoires ruraux. Je rappelle, à ce titre, que plus de 3 millions de logements sont actuellement vacants.

Bien sûr, nous devons également accroître nos efforts en matière de rénovation thermique afin de favoriser les rénovations globales qui ont une réelle incidence sur la facture énergétique.

Enfin, nous devons construire davantage de logements sociaux. Ces dernières années, la fragilisation financière des acteurs a enrayé la dynamique de construction. Nous devons impérativement trouver un nouvel élan.

Monsieur le ministre, vous évoquiez l’objectif de construction de 125 000 logements, et de 250 000 sur deux ans. Nous en sommes à peine à 85 000 !

Alors qu’il était député, Victor Hugo, qui par la suite siégea dans cet hémicycle, interrogeait le législateur : « Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ? » Messieurs les ministres, mes chers collègues, je reprendrai cette logique : comment sécuriser les propriétaires bailleurs sans se préoccuper des locataires en difficulté ?

Des politiques volontaristes visant à diminuer le poids des dépenses de logement dans le reste à vivre des Français ne sont-elles pas la meilleure garantie que l’on puisse apporter aux petits propriétaires ?

Le groupe des sénateurs socialistes pense que nos politiques ont tout à gagner en termes d’efficacité lorsqu’elles s’attaquent aux causes plutôt que de traiter les symptômes.

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