Depuis 2020 et l'arrivée de la crise épidémique de covid-19, notre commission a souvent réclamé que le Gouvernement dépose un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale en cours d'année afin que le Parlement puisse se prononcer en temps utile sur les bouleversements que cette crise a entraînés sur les comptes sociaux. Trois années de suite, les prévisions et les objectifs de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) ont été rendus caducs en cours d'exercice, aussi bien en recettes qu'en dépenses. Pourtant, comme vous vous en souvenez, nous n'avons pas été entendus, mais nous avons veillé à introduire, dans la dernière loi organique relative aux LFSS, des « clauses de retour au Parlement » afin qu'un tel dessaisissement du législateur ne se produise plus.
Paradoxalement, c'est en ce début d'année, alors que les prévisions de la dernière LFSS n'ont pas été modifiées en profondeur, que nous sommes saisis d'un « collectif social » afin de porter la réforme des retraites.
J'indique d'emblée qu'un tel véhicule peut contenir, selon moi, de telles dispositions. Nous aurions d'ailleurs mauvaise grâce à prétendre le contraire puisque la commission propose une telle réforme depuis des années lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) - la majorité sénatoriale, je le précise, portait chaque année un amendement en ce sens. Et, sur le fond, peu de mesures pourraient avoir un impact sur les comptes de la sécurité sociale supérieur à celui d'une réforme paramétrique des retraites. Qu'un texte budgétaire soit le cadre dans lequel le Parlement débat de la pérennité financière de notre système de retraite ne me choque pas, au contraire. Il n'empêche que la plupart des mesures dont nous allons débattre auront un impact financier à terme et que la rectification des comptes de l'année 2023 n'est que mineure.
En quelques mots, le Gouvernement n'a pas fait évoluer les prévisions macro-économiques sur lesquelles il s'est appuyé l'automne dernier. Il ne fait donc que tirer les conséquences, pour la seule année 2023, de la réforme des retraites proposée par le présent texte. Or celles-ci sont faibles et font apparaître, paradoxalement, une légère dégradation du solde de la branche vieillesse de 0,4 milliard d'euros. Celle-ci est due, d'une part, à l'augmentation des dépenses à hauteur de 600 millions d'euros en raison notamment de la majoration des minima de pension ; et, d'autre part, à une économie de 200 millions d'euros grâce à la première application du relèvement des bornes d'âge à compter du 1er septembre.
Au total, le déficit consolidé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) serait dégradé de ce montant, passant de 7,1 à 7,5 milliards d'euros.
Pour être complet, on peut cependant ajouter que le Gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale un amendement - il n'a pas été examiné - visant à augmenter l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) de 2023 de 750 millions d'euros afin de « tirer les conséquences des annonces faites par le Président de la République lors de ses voeux aux acteurs de la santé le 6 janvier 2023 et qui auront un impact sur les dépenses de l'assurance maladie en 2023 ». En prenant en compte ce recalibrage, la dégradation du solde pourrait donc dépasser 1 milliard d'euros par rapport à la LFSS de 2023.
Je précise ne pas avoir repris à mon compte les amendements déposés par le Gouvernement sur divers articles du texte afin de tenir compte de cette hausse. En effet, si nos débats nous permettent de parvenir à l'article 15, il reviendra au Gouvernement lui-même de les défendre dans la suite des débats de l'automne dernier qui nous avaient conduits, je le rappelle, à rejeter l'Ondam. Même s'il n'a pas de lien avec les retraites, ce débat sera important. Mais bien entendu, le cadrage financier le plus important intervient à terme puisque l'objet même de ce texte est d'organiser le retour à l'équilibre financier de notre système de retraite à l'horizon de 2030, dans un contexte démographique délicat.
À titre personnel, je souscris à cet objectif, qui me semble cohérent avec les positions que notre commission, et au-delà le Sénat, a défendu depuis longtemps. Je relève que, au fil de ces années, le message du Gouvernement a varié bien davantage puisqu'il s'agissait une année de refonder le système sans objectif financier, puis de refonder le système en l'assortissant d'un « âge pivot », puis de le réformer de façon paramétrique afin de financer toute sorte de dépenses publiques pour, finalement, comme le proposait le Sénat, de présenter une réforme paramétrique pour équilibrer le seul système de retraite.
Dès lors, il est difficile de reprocher à nos concitoyens d'avoir du mal à suivre. La pédagogie, puisque le mot est à la mode, naît de la répétition et non des changements de pied...
Les projections de l'année 2030 font apparaître un déficit du système pris dans son ensemble de quelque 13,5 milliards d'euros en l'absence de réforme. Il s'agit bien d'un chiffre annuel, dont le cumul creuserait une dette susceptible de remettre en cause la pérennité du système par répartition créé à la Libération, c'est-à-dire le principe de solidarité entre les générations qui fait que chaque génération d'actifs finance, par ses cotisations, les retraites de ses aînés en comptant sur le fait que les générations suivantes feront de même.
La solution alternative serait la capitalisation, système dans lequel chacun se finance lui-même en mettant de côté des sommes investies afin de les faire fructifier pour les reverser sous forme de rente. Certains amendements ont d'ailleurs pour objet, sous une forme ou sous une autre, l'introduction d'un tel principe. Soyons donc conscients du manque de confiance que les déficits récurrents de la branche vieillesse entraînent chez les Français, en particulier les plus jeunes, quant à l'avenir même du système.
Face à ce trou de 13,5 milliards d'euros, le relèvement de l'âge légal et l'accélération de la durée de cotisation devraient rapporter 17,7 milliards en 2030, ce qui se traduirait par un excédent théorique de 4,2 milliards à cette échéance. Néanmoins, le présent PLFRSS contient diverses mesures dites d'accompagnement - invalidité ou inaptitude, revalorisation des minima de pension, etc. - pour un total de 5,9 milliards d'euros. Le « trou » de 1,7 milliard qui en résulte a été comblé dans le projet initial par deux mesures, d'ailleurs d'ordre réglementaire, à savoir, d'une part, l'augmentation de 0,12 point des cotisations patronales vieillesse qui sera compensée par la baisse à due concurrence des cotisations accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) ; et, d'autre part, l'augmentation de 1 point des cotisations patronales de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
C'est donc d'un projet tout juste à l'équilibre en 2030, par ailleurs fondé sur des hypothèses qu'il est permis de juger optimistes, que l'Assemblée nationale a été saisie le 23 janvier.
Comme vous le savez, les débats n'ont pas permis aux députés d'aller au-delà de l'examen de l'article 2 ter et seule une mesure adoptée par l'Assemblée nationale aura un impact financier significatif : l'harmonisation à 30 % du taux de la contribution assise sur les indemnités de mise à la retraite d'un salarié à l'initiative de l'employeur et de celles qui seront versées à l'occasion d'une rupture conventionnelle (article 2 bis), dont le rendement en 2030 est estimé à 300 millions d'euros.
Cependant, le Gouvernement a déposé des amendements à l'Assemblée nationale qui n'ont pas pu être examinés, mais qui auraient eu un coût s'ils avaient été adoptés. C'est le cas, en particulier, d'un amendement prévoyant quatre bornes d'âge de départ anticipé au lieu de trois. Ainsi, les assurés ayant validé cinq trimestres avant la fin de l'année de leur 21e anniversaire et justifiant d'une durée d'assurance cotisée au moins égale à 43 ans bénéficieraient d'une possibilité de départ à 63 ans. Il s'agit également de l'annonce de la Première ministre selon laquelle, pour les assurés ayant commencé à travailler avant 16 et 18 ans, seule la durée d'assurance requise de 43 ans sera exigée pour un départ anticipé. Le coût cumulé de ces deux mesures est de 700 millions d'euros. On peut même ajouter environ 150 millions supplémentaires pour un ensemble de mesures plus modestes auquel le Gouvernement s'était montré favorable.
Cette présentation quelque peu aride vise à montrer que, même si le Sénat devra avoir ses propres « marqueurs », nous ne disposerons que de fort peu de marges de manoeuvre pour adopter des mesures « généreuses », en recettes comme en dépenses. Les quelques marges existantes ont déjà été utilisées, et il ne serait pas responsable de notre part de voter une réforme qui suscite tant d'émoi dans le pays si nous ne rétablissons pas véritablement la trajectoire budgétaire de notre système de retraite.
La vraie générosité, pour les générations futures, consiste à leur léguer un système de retraite financièrement solide et dans lequel elles peuvent avoir confiance.
Permettez-moi de dire quelques mots sur les articles que j'ai plus particulièrement instruits, en dehors des articles récapitulatifs dont j'ai déjà parlé.
L'article 1er concerne la fermeture de plusieurs régimes spéciaux selon la clause dite « du grand-père ». Concrètement, les nouveaux personnels embauchés à partir du 1er septembre 2023 cotiseront désormais au régime général et non plus au régime spécial. Cette mesure concerne les industries électriques et gazières (IEG), la RATP, la caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires (CRPCEN), la Banque de France, et les membres du Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Même si cette liste peut sembler présenter un certain aléa, les régimes retenus se caractérisent par un déséquilibre financier, compensé soit par une subvention d'équilibre de l'État, ou de l'employeur dans le cas de la Banque de France, soit par une taxe spécifique.
Je vous proposerai donc de nous en tenir à l'équilibre ainsi défini, au bénéfice de l'adoption d'un amendement de coordination.
L'article 1er bis a introduit une demande de rapport que je vous proposerai de supprimer.
Par ailleurs, l'article 3, qui prévoit l'abandon du projet de transfert aux Urssaf de l'activité de recouvrement de l'Agirc-Arrco et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), constitue un motif de satisfaction pour notre commission. Je rappelle que le rapport d'information remis en juin dernier par nos collègues René-Paul Savary et Cathy Apourceau-Poly soulignait les risques majeurs que ces transferts présentaient ainsi que le faible potentiel d'économies qui pouvaient en résulter à moyen terme. Le Sénat s'était d'ailleurs prononcé en faveur de l'abandon du projet par 302 voix contre 28 lors de l'examen du PLFSS pour 2023. Je vous inviterai à confirmer ce vote.
Enfin, l'article 6 approuve le rapport annexé qui donne la trajectoire financière de la sécurité sociale jusqu'en 2027 et précise notamment quelles mesures de niveau réglementaire accompagneront la réforme. C'est notamment dans ce rapport que figure le principe de l'augmentation des cotisations patronales pour la CNRACL. Je vous proposerai un amendement introduisant dans la loi le principe de compensation intégrale par l'État dès 2023 des surcoûts engendrés par cette mesure pour les collectivités territoriales.
En conclusion, ce rapport est abrupt, car il est budgétaire. Mais une réforme des retraites renvoie à l'intime de chacun de nos concitoyens. En débattre au Sénat sera de nature à leur apporter des réponses face aux angoisses qu'ils expriment. C'est faire acte de générosité envers les générations futures que de réfléchir à la pérennité du système de retraite par répartition au vu des déficits.