Intervention de Alain Marc

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er mars 2023 à 9h00
Proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée de la compétence « eau et assainissement » — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain MarcAlain Marc, rapporteur :

Cette proposition de loi entend répondre à une problématique qui nous préoccupe régulièrement et que vous connaissez bien : celle du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux communautés de communes.

Certains de nos collègues, comme Mathieu Darnaud ou Françoise Gatel, s'intéressent depuis longtemps à cette question sur laquelle nous nous penchons de nouveau, parce que les députés n'ont pas souhaité s'en saisir. Nous soumettrons donc ce texte à la sagacité de nos collègues de l'Assemblée nationale, après avoir conduit des auditions qui démontrent la nécessité de rendre la capacité aux communes de choisir si elles souhaitent transférer les compétences eau et assainissement aux communautés de communes.

Je suis conseiller municipal d'une petite commune de 215 habitants et conseiller d'une petite communauté de communes de 5 200 habitants, dont j'ai été président pendant quelques années. Le texte proposé par Jean-Yves Roux répond aux attentes légitimes des élus des territoires ruraux et de la montagne, dont nous sommes tous les deux issus. En effet, l'intercommunalisation forcée des compétences eau et assainissement n'est pas en phase avec les capacités techniques et financières des communes de ces territoires.

En matière d'eau et d'assainissement des eaux usées, le Gouvernement a brutalement remis en cause la liberté des communes par le biais de simples amendements déposés à l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). L'objectif poursuivi était de rendre obligatoire le transfert de ces compétences aux communautés de communes et d'agglomération, à l'instar de ce qui était déjà prévu pour les communautés urbaines et les métropoles.

Notre assemblée s'est opposée à ce transfert obligatoire, consciente des difficultés qu'il allait poser aux communes de nos territoires ne connaissant pas la même urbanisation que les autres intercommunalités. Toutefois, lors de la commission mixte paritaire qui s'était alors tenue, le Parlement avait trouvé un compromis en reportant le transfert obligatoire au 1er janvier 2020.

Il s'agissait d'un premier aménagement, qui a été suivi d'une longue série, car nous n'avons jamais abandonné l'objectif de laisser aux communes leur liberté, ce qui constitue une position constante du Sénat.

Ainsi, dès janvier 2017, le président Retailleau a déposé une proposition de loi visant à rétablir le caractère optionnel du transfert de ces compétences aux communautés de communes et d'agglomération. Sur la base de l'excellent rapport de notre collègue Mathieu Darnaud, notre commission avait adopté ce texte, qui a ensuite été voté à l'unanimité par le Sénat. L'Assemblée nationale a néanmoins décidé de renvoyer l'examen de cette proposition de loi en commission.

Nos collègues députés ont préféré apporter une réponse différente en adoptant un texte visant à reporter le transfert au 1er janvier 2026 pour les seules communautés de communes, à condition pour les communes membres de réunir une minorité de blocage. Ce texte, devenu loi du 3 août 2018 dite « Ferrand-Fesneau », a offert un répit bienvenu, mais insuffisant.

Par la suite, la loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019 a étendu les cas dans lesquels cette minorité de blocage pouvait s'appliquer. De plus, elle a régularisé les délibérations intervenues après le 1er juillet 2019, date butoir à laquelle les intercommunalités devaient se prononcer sur le report. Elle a aussi permis, après le 1er janvier 2020, l'exercice d'une minorité de blocage des communes membres d'une communauté de communes, dans l'hypothèse où cette dernière tenterait d'obtenir l'exercice des compétences eau et assainissement de manière anticipée par rapport à l'échéance de 2026.

Le transfert obligatoire a ensuite fait l'objet d'une autre série d'aménagements, qui demeurent toutefois limités et ne sauraient constituer des réponses adéquates aux attentes exprimées de façon répétée par les élus locaux.

En premier lieu, la loi Ferrand-Fesneau a permis aux communautés de communes de se substituer à leurs communes membres au sein d'un syndicat, si au moins une commune siégeant au sein de ce syndicat n'est pas membre de la communauté de communes.

En second lieu, la loi Engagement et proximité a prévu la possibilité de déléguer les compétences eau et assainissement à une commune membre de la communauté de communes ou à un syndicat infra-communautaire. La délégation à ce dernier est toutefois très encadrée. En effet, le syndicat doit avoir existé au 1er janvier 2019 et être inclus en totalité dans le périmètre de l'intercommunalité. Les communes ne peuvent donc pas créer un syndicat pour bénéficier de cette faculté de délégation. En outre, le maintien du syndicat doit être décidé par le seul organe délibérant de la communauté de communes. La décision ne revient donc pas aux conseils municipaux et aucun mécanisme de minorité de blocage n'est prévu. Même si le syndicat est finalement maintenu, il exerce ses missions pour le compte de l'intercommunalité, à qui il rend compte de son activité.

En troisième lieu, la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) dispose que les syndicats infra-communautaires de gestion des eaux préexistants au sein d'une communauté de communes sont maintenus après le 1er janvier 2026, sauf si la communauté de communes délibère contre ce maintien. Les syndicats exerceront alors les compétences eau et assainissement en lieu et place de la communauté de communes. Une fois de plus, le pouvoir des communes est donc fortement réduit.

En résumé, après le 1er janvier 2026, le transfert des compétences sera définitif, même si les communes peuvent en moduler les effets par le mécanisme des délégations que je viens de décrire. Toutefois, celui-ci ne permet pas aux communes d'être maîtres de leur destin en matière d'eau et d'assainissement.

Cette situation doit donc évoluer rapidement, car, nous le savons, l'échéance du 1er janvier 2026 est proche et risque d'avoir un « effet cliquet ».

Avant d'évoquer la proposition de loi de notre collègue Jean-Yves Roux, je tiens à revenir quelques instants sur les arguments qui justifient un vote favorable de notre commission.

D'abord, les élus locaux craignent une forte augmentation du tarif de l'eau, compte tenu de l'hétérogénéité des modalités de gestion au sein d'une même intercommunalité. En outre, l'intercommunalisation de ces compétences risque d'entrainer simultanément une perte de connaissance des réseaux et des dépenses nouvelles de fonctionnement, pour l'emploi d'agents spécifiques dédiés.

Ensuite, le périmètre administratif des communautés de communes ne correspond pas à la réalité géographique et hydrique des territoires concernés - il s'agit là d'une critique constante de notre commission.

En outre, les maires que j'ai entendus confirment que de nombreuses intercommunalités ne sont pas en demande d'exercer les compétences relatives à l'eau et à l'assainissement des eaux usées. Nombre d'entre elles ne le souhaitent pas. Il est évident que les territoires pour lesquels la mutualisation de ces compétences est pertinente l'ont déjà fait depuis plusieurs années, sans attendre le vote de la loi NOTRe en 2015.

Enfin, les inquiétudes des élus locaux sont objectivées par les statistiques relatives à l'exercice des compétences eau et assainissement par les communautés de communes. En effet, au 1er octobre 2022, seules 329 des 992 communautés de communes exercent la compétence liée à l'eau, 420 sont chargées de l'assainissement collectif et 723 gèrent la compétence de l'assainissement non collectif. Ces chiffres confirment l'absence de consensus majoritaire au sein de l'organe délibérant des communautés de communes pour exercer ces compétences.

Lorsque j'ai procédé à l'audition des services de la direction générale des collectivités locales (DGCL) chargée des questions d'eau et d'assainissement, je leur ai présenté les différents arguments que je viens d'évoquer. Cependant, j'ai été surpris par leur impossibilité de m'expliquer comment justifier concrètement l'obligation de transfert.

J'aimerais également partager une réponse que l'on m'a apportée et qui pourrait vous faire sourire. Il m'a été expliqué que le transfert des compétences aux communautés de communes pourrait résorber le taux de fuites. Ce taux est utilisé pour mesurer l'efficacité de la gestion des réseaux. Mais ce n'est pas parce que la compétence sera transférée à l'intercommunalité qu'il y aura des financements supplémentaires pour les investissements à réaliser ! L'État sera-t-il prêt à dépenser davantage pour les communautés de communes ? Je ne le crois pas et j'aimerais que l'on parvienne à m'expliquer en quoi ce transfert permettra de résoudre le problème.

À l'aune de l'ensemble de ces éléments concrets et de ma conviction personnelle, j'adhère complètement à l'intention qui sous-tend la proposition de loi de Jean-Yves Roux, laquelle prévoit de supprimer le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux communautés de communes.

Je vous proposerai néanmoins d'adopter un amendement de réécriture globale, visant à renforcer l'opérationnalité du dispositif, en organisant les modalités de restitution des compétences aux communes et en leur offrant la possibilité de maintenir les conventions de délégation existantes, et de conclure de nouvelles conventions compte tenu de leur liberté retrouvée en la matière. En prévoyant un mécanisme de restitution aux communes des compétences déjà transférées, nous renforcerons l'effectivité juridique du texte.

La faculté de restitution peut s'exercer à tout moment et pour tout ou partie des compétences. L'amendement proposé donne le pouvoir aux communes, et non à l'intercommunalité, de décider d'une restitution des compétences eau et assainissement. Ainsi, elle pourra être obtenue si une majorité des conseils municipaux la demande. Concrètement, si une communauté de communes est composée de dix communes, il faudra qu'au moins six conseils municipaux, indépendamment de leur poids démographique, délibèrent en faveur d'une restitution des compétences. À titre d'exemple, la communauté de communes de Millau compte 30 000 habitants dont 23 000 se trouvent à Millau. En retenant le poids démographique, si la ville de Millau s'opposait, les communes rurales ne pourraient jamais retrouver leurs compétences.

Afin d'éviter aux communes minoritaires de se voir imposer une « redescente » de compétences qu'elles ne souhaitaient pas exercer, l'amendement prévoit aussi un mécanisme de transfert « à la carte » et simplifié des compétences « redescendues » à la communauté de communes.

En outre, afin d'éviter qu'une minorité de communes ne se retrouvent dans l'impossibilité d'exercer à nouveau ces compétences en cas de majorité défavorable à une restitution, le dispositif prévoit que dès lors qu'il existe un accord sur cette demande entre la communauté de communes et une ou plusieurs communes, la restitution peut avoir lieu.

En second lieu, il semble essentiel d'assurer une stabilité aux conventions de délégation existantes entre les communautés de communes et leurs délégataires. En effet, il ne faut pas remettre en cause des modalités de fonctionnement satisfaisantes pour les communes.

Néanmoins, dans l'hypothèse d'un changement du titulaire de l'exercice de ces compétences en raison d'une restitution de ces dernières à la commune, l'amendement prévoit la possibilité pour la commune de mettre fin à la convention de délégation avant son terme dans le but de la renégocier, d'assurer une restitution effective des compétences aux communes ou de modifier le périmètre des syndicats délégataires.

En troisième lieu, je propose de créer un mécanisme dérogatoire de délégation de compétences plus souple que celui prévu par le droit commun. En effet, les délégataires pourront être des communes ou des syndicats infra-communautaires existants ou créés postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ce qui est actuellement impossible. La délégation pourra également porter sur tout ou partie des compétences eau et assainissement. Enfin, la convention de délégation devra prévoir les conditions tarifaires des services d'eau et d'assainissement des eaux usées sur le territoire de la communauté de communes.

Pour conclure mon propos, je tiens à souligner que j'ai travaillé en parfaite coopération avec Jean-Yves Roux et que j'ai interrogé certains de nos collègues ayant beaucoup travaillé sur ce sujet, pour élaborer l'amendement proposé et pour formuler des pistes de solutions équilibrées et consensuelles, dans l'intérêt de nos communes.

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