Deux ans après l'adoption de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue) en matière économique et financière, la commission des affaires économiques se voit déléguer par la commission des affaires sociales l'examen au fond de deux articles d'un nouveau projet de loi Ddadue dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture.
Les articles 30 et 31 sur lesquels nous sommes saisis portent sur l'agriculture et sont plutôt techniques. Aussi, si un désaccord devait émerger entre l'Assemblée nationale et le Sénat, ils n'en seraient probablement pas la cause. Je vous proposerai de les adopter mais, au préalable, je souhaiterais formuler quelques observations critiques et je vous présenterai quatre amendements.
D'abord, l'article 30 clarifie le cadre juridique applicable aux régions et à FranceAgriMer, autorités de gestion respectives des aides à l'installation des jeunes agriculteurs et des interventions de marché de la politique agricole commune (PAC).
Dans le cas de FranceAgriMer, il s'agit de donner une base légale à la compétence réglementaire de son directeur général en matière de dépenses d'intervention de marché. Celles-ci correspondent aux aides du Fonds européen agricole de garantie (Feaga) à destination de certaines filières - fruits et légumes, produits de l'apiculture, vin et huile d'olive -, pour un montant annuel approximatif de 420 millions d'euros. Il semble que ce pouvoir réglementaire soit déjà implicitement reconnu, une récente décision du Conseil d'État venant de le confirmer.
En ce qui concerne les aides à l'installation, dans le cadre de la nouvelle programmation de la PAC pour 2023-2027, une ordonnance du début de l'année transfère les mesures non surfaciques du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) aux régions. En France, les régions qui l'ont demandé ou qui vont le demander - c'est-à-dire toutes ou presque - deviendront ainsi autorités de gestion des aides à l'installation. La Normandie, les Pays de la Loire, la Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine ont déjà voté des délibérations allant dans ce sens et les autres suivront d'ici fin janvier.
Cependant, l'article L. 330-1 du code rural et de la pêche maritime faisait encore référence au cadre en vigueur lors de la période précédente, lorsque prévalait une mise en oeuvre conjointe par le préfet et le président de région. L'article 30 du projet de loi vise à corriger cette incohérence.
Cette mise en cohérence est positive et je salue le principe de cette réforme, qui rend sans équivoque la possibilité de décentralisation. En effet, dans une logique de subsidiarité, les régions sont les mieux placées pour connaître les spécificités de leur territoire et en définir les priorités.
Cependant, j'identifie trois effets de bord potentiels à cette réforme. D'abord, les exploitants agricoles et les primo-installés risquent d'être confrontés à un manque de lisibilité des aides d'une région à l'autre. Ensuite, les disparités entre régions risquent de s'accroître, ce que redoutent les jeunes agriculteurs. En effet, dans le cas d'aides nationales et européennes confiées aux régions ou dans celui de dispositifs régionaux à proprement parler, les priorités politiques ne sont pas les mêmes. Enfin, une saine concurrence entre collectivités risque de manquer. Il s'agit donc de favoriser la transparence et de faciliter les comparaisons des choix effectués par chaque région, afin de permettre aux régions d'imiter ce qui fonctionne et de gagner en efficacité.
Dans cet esprit, je proposerai un amendement prévoyant que les régions produiront un bilan annuel de la politique de transmission et d'installation, incluant un rappel des règles mises en place et un suivi des aides versées. Ces bilans seront ensuite consolidés par l'État à l'échelle nationale. En effet, cette politique est de première importance pour l'agriculture française et il n'est pas envisageable que l'État ne garde pas un oeil dessus.
En outre, je proposerai de maintenir dans la loi la condition d'une formation minimale pour pouvoir prétendre aux aides à l'installation, afin de privilégier les installations durables plutôt que les projets mal ficelés. J'y tiens beaucoup car je crains que nous ne favorisions des « installations éclairs », plus contre-productives que bénéfiques pour le maintien de la population active agricole et la résilience à long terme de notre agriculture. En effet, comment prétendre réussir une installation sans posséder un bagage technique minimal en matière d'agronomie, de biologie ou de gestion des entreprises ? Il nous faut favoriser l'installation de jeunes qui soient aussi bien formés que possible.
S'agissant de l'article 31, j'évoquerai le fond avant de revenir sur la forme et sur la question de la procédure.
Sur le fond, cet article ratifie huit ordonnances dans des domaines aussi variés que la reconnaissance des qualifications professionnelles des vétérinaires de l'Union européenne (UE), les règles et sanctions en matière de production viticole, la reconnaissance de nouvelles indications géographiques, les règles en matière de santé des végétaux et leur contrôle, les règles en matière de santé animale et de programmes de sélection génétique dans l'élevage, les avantages accordés aux organisations de producteurs et la suppression des quotas laitiers.
Ces ordonnances ayant été motivées - exception faite de celle qui portent sur la libre prestation de services des vétérinaires - par des règlements européens et non des directives, elles ne transposent pas à proprement parler des objectifs européens. En effet, ces dispositions sont d'application directe dans le cas d'un règlement.
Ces ordonnances opèrent un « toilettage technique » de 4 % des articles du code rural en corrigeant, par exemple, des références obsolètes, en abrogeant des dispositions qui figurent désormais dans le droit européen ou en modifiant certaines dispositions pour qu'elles soient compatibles avec ce droit.
J'ai été soucieux de ne laisser passer aucune surtransposition injustifiée puisque la recommandation n° 2 de notre rapport d'information sur la compétitivité de la ferme France appelait à y mettre fin. Ces textes en comportent peu. De plus, le maintien de standards plus élevés en matière de santé végétale, animale - notamment pour la catégorisation de maladies transmissibles - et de sélection génétique des animaux d'élevage apparaît justifié par un motif d'intérêt général suffisant.
J'ajoute que la France a été à l'initiative de nombre des dispositions européennes justifiant les ordonnances et qu'elle bénéficie de plusieurs d'entre elles, à commencer par la reconnaissance de nouvelles mentions valorisantes comme « produits de montagne », indications géographiques, par exemple pour les vins aromatisés, ou de façon plus générale l'encadrement plus strict de la production vitivinicole. En effet, la France est le premier producteur de vin en valeur au sein de l'UE ; la défense des indications géographiques au niveau européen et dans les accords commerciaux figure parmi ses priorités.
L'intérêt de ces mesures ne doit pas empêcher de faire preuve de vigilance dans le contrôle de leur application. À ce titre, le président de l'ordre des vétérinaires a reconnu que la libre prestation de services était inéluctable au regard du droit de l'UE et indispensable, plus de la moitié des vétérinaires inscrits au tableau de l'ordre n'ayant pas été formés en France. Cependant, il m'a alerté sur certaines dérives liées à des pratiques d'optimisation fiscale et réglementaire, voire - et c'est plus grave encore - à des entorses aux règles sanitaires.
Pour toutes ces raisons, et avec ces réserves, je vous proposerai d'adopter cet article.
Cependant, je serai critique en ce qui concerne la forme et la procédure. En effet, les conditions dans lesquelles ces ratifications sont proposées au Parlement ne sont pas satisfaisantes. À commencer par le temps très court laissé au Sénat pour examiner ces nombreuses dispositions.
Le caractère disparate du texte nuit à l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité du débat parlementaire, d'autant que la plupart de ces ordonnances adaptent le droit à plusieurs textes européens et non à un seul. De plus, elles ne se limitent pas à ce seul objectif d'adaptation au droit de l'UE. Ainsi, en matière de production sous signe de qualité par exemple, le Gouvernement aménage les modalités de fonctionnement de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) et des organismes de défense et de gestion, sans y être obligé par un texte européen. Ce seul article propose la ratification de huit ordonnances, alors qu'un texte de ratification en contient en moyenne un peu plus de trois.
Il s'agit bien d'un « texte balai », que nous examinons aujourd'hui, cinq ans, trois mois et deux jours en moyenne après la publication des ordonnances. Lors du précédent quinquennat, ce délai ne s'élevait qu'à un an, un mois et sept jours. C'est cinq fois plus que la normale !
Pour cinq ordonnances datant de 2015, la ratification interviendrait ainsi deux mandats après leur publication. Un découplage d'une telle ampleur est extrêmement rare, d'autant que les textes européens ayant justifié ces ordonnances ont été adoptés il y a plus longtemps encore, en 2005 pour les plus anciens.
L'examen de ces dispositions par le Sénat intervient donc à contretemps, le véritable débat ayant eu lieu au sein du Conseil de l'UE et du Parlement européen il y a une dizaine d'années.
Dans ces conditions, les syndicats, les fédérations et divers organismes agricoles ont peu réagi à ces dispositions qui relèvent, à leurs yeux, du droit en vigueur. En effet, bien que seule la ratification leur donne pleine valeur législative, les ordonnances produisent dès leur publication des effets assimilables à ceux de la loi.
J'en viens au périmètre du texte qui inclut les dispositions relatives aux autorités de gestion du Feader et à la répartition de leurs compétences, dans l'Hexagone et dans les outre-mer ; aux autorités de gestion des dépenses d'intervention de marché de la politique agricole commune et à la répartition de leurs compétences, dans l'Hexagone et dans les outre-mer ; au cadre réglementaire, aux conditions d'éligibilité et au contrôle des aides à l'installation des jeunes agriculteurs, dans l'Hexagone et dans les outre-mer ; et à la ratification d'ordonnances adaptant notre droit aux actes législatifs de l'Union européenne dans le champ matériel des huit ordonnances de l'article 31, c'est-à-dire en ce qui concerne le contrôle des normes sanitaires du livre II du code rural et de la pêche maritime ; la reconnaissance des qualifications professionnelles, la libre prestation de service et la liberté d'établissement pour la profession vétérinaire ; la reconnaissance d'indications géographiques et de mentions valorisantes et le contrôle de celles-ci et de celles-là ; les règles relatives à la production de produits de la vigne et les contrôles et sanctions en cas de leur non-respect ; les modalités de regroupement en organisations de producteurs et associations d'organisations de producteurs, et les avantages qui y sont associés ; les organisations communes de marché et les quotas nationaux de produits agricoles ; la surveillance de la santé des végétaux et les modalités des contrôles officiels par les autorités compétentes en la matière ; la génétique des animaux d'élevage ; la surveillance sanitaire du territoire et la lutte contre les maladies animales transmissibles.
Il en est ainsi décidé.