Mon témoignage sera un peu particulier, puisque j'ai le grand honneur, depuis une petite dizaine d'années, de représenter le Sénat au sein de la Commission supérieure de codification. J'ai donc contribué, à ma modeste place, à la construction et à la réfection de certains codes, mais aussi à leur modernisation. Nous ne l'espérions plus, mais le ministère de l'économie et des finances a enfin souhaité qu'on rénove le code général des impôts, qui date d'un temps où les conceptions actuelles de codification n'avaient pas cours et qui est devenu impénétrable ; le travail sur la partie relative à la fiscalité indirecte sera achevé d'ici à la fin de l'année.
J'ai toujours défendu la voie des textes d'habilitation là où il s'agit de recodifier, mais à droit constant : c'est la condition pour obtenir l'acte de confiance du Parlement en la matière. Or, dans le cas du code de procédure pénale, il est clair que telle n'est pas la voie qu'il faut emprunter.
Que l'on remanie le plan du code à droit constant est concevable ; cela serait même utile à certains égards. Mais il y a matière à repenser, donc à réécrire, toute une série des règles de procédure contenues dans le code de procédure pénale. Il existe bel et bien des effets de frontière : l'un des exercices intellectuels passionnants auxquels se livre la Commission supérieure de codification consiste à savoir que faire lorsqu'on est à la bordure entre deux codes. Ainsi a-t-on extrait le code pénitentiaire du code de procédure pénale. Les zones de friction entre deux codes sont légion ; dans pareils cas, on pratique la formule du code « pilote » et du code « suiveur ».
Tout en étant évidemment favorable au projet de loi dans son principe, je ne pense pas que l'on puisse en rester à la formule d'habilitation qui figure dans l'avant-projet. J'avais d'ailleurs suggéré au garde des sceaux, lors d'une audition récente, de ne pas faire passer cette réforme par un article d'habilitation : il faut faire les deux séparément. Si le Gouvernement veut obtenir de la part du Parlement l'acte de confiance consistant à voter une habilitation de grande ampleur, il faut que le contrat soit clair. Écrire en même temps que l'on va réorganiser à droit constant le code de procédure pénale et qu'en même temps on va le modifier, cela ne tient pas.
Par ailleurs, vu l'ampleur et la complexité du sujet, il est nécessaire que soit installée une grande commission de pénalistes, à charge pour eux de développer le concept général du nouveau code. Le travail préliminaire doit être accompli par des autorités scientifiques ; ensuite il sera temps que le Parlement, et en premier lieu le Sénat, examine la réforme proposée ; ensuite seulement le moment viendra de procéder à la mise en ordre générale du code de procédure pénale.
Une petite remarque sur le fond : l'expérience montre combien l'issue du procès pénal diffère suivant que vous soyez puissant ou misérable. Le code de procédure pénale étant une extraordinaire mine à nullités pour les prévenus les mieux aidés et les mieux « artistiquement » conseillés, ce qui se traduit par un potentiel d'impunité et d'échec de la mission constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions, un arbitrage politique très intense reste à faire, qui doit évidemment être délibéré « en dur » devant le Parlement, sans se contenter d'une habilitation. Cet arbitrage a trait à l'équilibre entre l'efficacité de l'enquête pénale et le respect des libertés individuelles. Il me semble en tout cas que la méthode qui a été retenue pour la confection de ce projet de loi n'est pas aboutie - je suis désolé de le dire en l'absence du Gouvernement, que je soutiens.