Intervention de Patrice Gélard

Réunion du 27 juin 2007 à 16h00
Création d'une délégation parlementaire pour le renseignement — Discussion générale

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après plusieurs tentatives avortées, nous allons examiner, et avec une grande satisfaction, le projet de loi portant création d'une délégation parlementaire pour le renseignement. Il constitue la première manifestation claire d'un Gouvernement en faveur d'une association plus étroite du Parlement aux questions de renseignement.

En tout premier lieu, je tiens à remercier le Gouvernement, et plus particulièrement le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, qui étrenne ainsi devant nous ses fonctions, d'avoir inscrit aussi rapidement à l'ordre du jour du Sénat le projet de loi créant une délégation parlementaire pour le renseignement. C'était une promesse du Président de la République, et nous sommes heureux qu'elle soit tenue dans des délais aussi brefs. C'est de très bon augure et de très bonne méthode pour l'avenir et pour les réformes que nous allons engager !

Je ne reviendrai pas en détail sur ce projet de loi, les rapporteurs de nos commissions respectives, dont je salue le travail remarquable, l'ayant présenté et analysé de façon très complète. Je souhaiterais cependant souligner quelques points qui me semblent importants.

La grande complexité de ce texte tient dans le juste et très difficile équilibre à trouver entre secret, transparence et démocratie. Comment en effet assurer correctement et démocratiquement l'information du Parlement sur des sujets dont le caractère secret est une composante non seulement inhérente aux services spécialisés mais absolument vitale à la sécurité intérieure et extérieure de notre pays ?

Transparence et secret : beau sujet de réflexion, surtout lorsque la dialectique de la transparence et du secret concerne les services de renseignement et l'information du Parlement, c'est-à-dire tout à la fois la protection de la démocratie et la condition même de son expression et de son existence. Transparence et secret, les vertus de l'un sont les limites de l'autre ; l'opposition entre ces deux termes est irréductible. Il reste le problème de leur articulation concrète, qui constitue un véritable défi pour le politique.

Aujourd'hui, la transparence n'est plus seulement un droit, elle est une exigence morale. Elle est la pierre angulaire sur laquelle repose notre société actuelle. Tout doit être transparent, et ce qui est caché devient mystérieux, voire suspect. Mais, parallèlement à cette montée de la transparence, le secret exprime un aspect essentiel de notre civilisation : la protection de l'individu et, au-delà, la protection de la nation.

Le secret nous est nécessaire et, pour ce qui nous concerne aujourd'hui, c'est-à-dire la sécurité nationale et la protection de nos intérêts, il est souvent vital. Tout ne peut pas et ne doit pas être transparent. Aujourd'hui, la transparence, symbole d'ouverture et de liberté, érigée au rang de « valeur », sert de prétexte ou de justification à des discours ou à des actions parfois obscures. Elle est une utopie qui, dévoyée ou récupérée, peut entraîner des dérives mettant en danger nos libertés, notre démocratie et sa capacité d'action face à une menace.

Transparence, je n'aime guère ce mot, ni son opposé, celui d'opacité, lorsqu'ils sont utilisés à propos de la chose publique. La transparence, nous dit le dictionnaire, est la qualité de ce qui laisse apparaître la réalité tout entière. Or je pense que l'on ne peut exiger de l'administration, ni d'ailleurs de quelque personne physique ou morale que ce soit, de faire apparaître sa réalité tout entière.

Il existe, chez les personnes physiques, la barrière infranchissable de l'intimité, qui protège notre « misérable petit tas de secrets ». L'entreprise bénéficie du secret des affaires, dont les contours sont d'ailleurs assez incertains. De même l'administration, considérée comme le support logistique des gouvernants, est nécessairement le dépositaire de certains secrets liés aux délibérations des autorités responsables, à la préparation ou à l'exécution de leurs décisions, aux relations diplomatiques, et bien entendu à la sécurité extérieure ou intérieure de l'État.

Ne parlons donc pas de transparence, qui ne pourrait être que relative. Parlons plutôt du droit à l'information et à la communication qui est, je le rappelle, un droit légitime et fondamental du Parlement.

La création d'une instance parlementaire spécialisée dans le domaine du renseignement est particulièrement évoquée, de longue date, tant dans les deux assemblées qu'à l'extérieur du Parlement. Elle trouve sa justification fondamentale dans un souci d'exigence démocratique, mais semble également de nature à conforter et à valoriser la politique du renseignement, plus que jamais essentielle pour notre sécurité nationale, pour peu que soient bien prises en compte les spécificités propres aux services concernés.

Ce projet de loi revêt à nos yeux une double importance.

D'abord, il répond à une exigence démocratique en créant, au nom du droit à l'information du Parlement et de son droit de contrôle, une délégation parlementaire pour le renseignement, organe commun à l'Assemblée nationale et au Sénat, avec le souci de respecter le caractère secret des activités des services concernés.

Ensuite, il met fin à ce qui a pu être qualifié de singularité française en Europe et dans l'ensemble des démocraties occidentales, la France étant le seul pays où il n'existe pas d'instance parlementaire chargée spécifiquement du contrôle des services de renseignement, comme l'a souligné le rapporteur, René Garrec.

Pour être efficace, la mission de contrôle confiée au Sénat exige une information permanente, riche, diversifiée et proche de l'actualité. La création d'une délégation commune aux deux assemblées parlementaires doit permettre d'informer correctement le Parlement sur l'activité des services de renseignement placés sous l'autorité des ministres de la défense et de l'intérieur, tout en préservant le caractère secret de leurs activités.

Il s'agit donc de concilier un impératif de discrétion, particulièrement fondamental dans les domaines sensibles concernés - je pense notamment à la lutte contre le terrorisme - avec l'exigence démocratique d'une légitime information du Parlement sur l'activité générale et les moyens des services de renseignement. Et cette démarche législative demande un grand pragmatisme de notre part.

Dans cette optique, la future délégation parlementaire est conçue par le projet de loi comme un organe de suivi de l'activité de ces services. Elle ne doit pas être considérée comme un organe de contrôle au sens traditionnel du terme. Son caractère commun aux deux assemblées permet de faciliter la préservation du secret en limitant le nombre d'intervenants. Il devrait également favoriser la construction d'une relation de confiance avec les services de renseignement, qui n'auront dès lors qu'un seul interlocuteur. Cela suppose également de notre part une parfaite coordination entre les deux assemblées pour que la délégation soit efficace, coordination qui, on le sait, ne va pas toujours de soi.

Cette délégation doit surtout s'inscrire dans une prise en compte plus affirmée, au niveau politique, des enjeux du renseignement, qui est, ne l'oublions pas, une fonction régalienne de la République.

Par ailleurs, la délégation comprendra un nombre très réduit de membres. Le projet prévoit trois députés et trois sénateurs, soit six membres. Nos commissions, et le groupe UMP y est favorable, souhaitent augmenter ce chiffre en le portant à huit, soit quatre députés et quatre sénateurs. Si l'effectif doit rester restreint, c'est que le respect du secret doit, lui, rester une préoccupation majeure.

Ensuite, et peut-être surtout, les missions de la délégation sont bien délimitées. Les informations et les éléments d'appréciation fournis à la délégation seront relatifs au budget, à l'activité générale et à l'organisation de ces services, à l'exclusion notamment de leurs activités opérationnelles, de leurs relations avec les services étrangers ou de données pouvant mettre en péril la vie des agents.

Tout cela paraît logique dans la mesure où nous souhaitons, je le répète, préserver l'efficacité de l'action des services en posant certaines limites à l'étendue des informations à caractère secret dont pourra connaître la délégation. Cependant, nous soutenons le souhait des rapporteurs de préciser les missions de la délégation et ses pouvoirs d'information. Quant à l'articulation avec la commission de vérification des fonds spéciaux, je crois que nous devons trouver une solution satisfaisante pour tout le monde.

En conclusion, je dirais que la création d'une délégation parlementaire pour le renseignement constitue une grande nouveauté non seulement pour le Parlement, en lui permettant d'être informé et associé aux questions de renseignement, mais aussi pour les services spécialisés, car ce nouvel organe doit contribuer à une meilleure prise en compte de la politique du renseignement et de ses enjeux, politique plus que jamais essentielle pour notre sécurité nationale. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera ce texte tel qu'il sera amendé par les deux commissions.

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