Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 janvier 2023 à 16h40
Justice et affaires intérieures — Enjeux juridiques en matière de politique étrangère et de sécurité commune pesc d'une adhésion de l'union européenne ue à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales cesdh - communication

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président de la commission des affaires étrangères :

Je me réjouis de l'occasion qui est donnée cette après-midi à nos trois commissions d'échanger et de réfléchir en commun. Si le sujet qui nous occupe peut à première vue sembler technique, je pense qu'il s'agit là d'une illusion.

Les conditions d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme soulèvent au contraire des enjeux éminemment politiques, que cela soit pour la conduite de notre politique étrangère, pour notre position au sein de l'Union européenne ou pour la cohérence de notre système juridictionnel.

Sans revenir dans le détail sur les motifs qui nous conduisent à condamner par avance toute solution qui reviendrait à une modification déguisée des traités, j'aimerais insister sur deux points spécifiques que la commission des affaires étrangères et de la défense scrute avec une attention particulière.

En premier lieu, j'aimerais insister sur les conséquences concrètes que pourrait avoir une extension de la compétence de la Cour de Luxembourg à la politique étrangère et de sécurité commune.

Il y a environ un an et demi, la décision B.K. c/ Slovénie, rendue par la grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne le 15 juillet 2021, est venue nous rappeler combien la sécurité juridique de l'organisation de notre défense nationale est précieuse et doit être absolument préservée.

Bien que les enjeux soulevés par l'adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme diffèrent de ceux soulevés par cette décision, je pense que cette décision récente est une illustration du caractère essentiel de l'architecture juridictionnelle de l'Union européenne, y compris pour notre politique extérieure.

Pour rappel, dans cette décision qualifiée de « déception » par la directrice des affaires juridiques du ministère des armées de l'époque et de « risque d'affaiblissement de la condition militaire » par le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire, les juges de Luxembourg avaient estimé que les militaires ne sont pas, par principe, exclus du champ d'application de la directive relative au temps de travail du 4 novembre 2003. Cette décision était intervenue malgré le deuxième paragraphe de l'article 4 du traité sur l'Union européenne qui consacre la responsabilité exclusive des États membres en matière de sécurité nationale.

Si le Conseil d'État est venu préciser la portée de cette jurisprudence en écartant la requête d'un sous-officier de gendarmerie en décembre 2021, cette décision n'a pas dissipé tous les doutes sur le temps de travail de nos militaires. En effet, le Conseil d'État s'est borné à constater que le régime actuel respectait les dispositions de la directive, tout en admettant l'inclusion de la gendarmerie départementale dans le champ d'application de la directive.

L'extension de la compétence de la CJUE aurait également des conséquences concrètes sur le plan opérationnel. Cette extension de compétence pourrait être de nature à fragiliser la sécurité juridique des conditions d'engagements des forces dans les opérations de la PESC et de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

L'analyse de la Commission européenne, selon laquelle la Cour de justice de l'Union européenne a déjà développé une jurisprudence abondante relative à la PESC, notamment en matière de mesures restrictives, apparaît contestable. En effet, le contrôle de la CJUE porterait alors sur des actes de nature différente et au regard d'un texte de référence différent.

On peut également exprimer une inquiétude vis-à-vis d'une instrumentalisation potentielle de la procédure par des ONG ou des États tiers. On ne pourrait dans ce cas exclure un affaiblissement paradoxal des opérations menées au titre de la PESC ou de la PSDC, voire des stratégies de contournement qui pourraient prendre la forme d'accords intergouvernementaux ne relevant pas de la PESC.

Le deuxième point d'attention, en lien direct avec ce que je viens d'évoquer, tient au contrôle démocratique que le Parlement exerce sur les principaux traités négociés et signés par la France. C'est l'objet de l'article 53 de notre Constitution qui subordonne la ratification des principaux traités internationaux à l'adoption d'une loi autorisant cette ratification. Par la loi du 13 février 2008, le Parlement a autorisé la ratification du traité de Lisbonne par la France.

Parallèlement aux arguments juridiques qui justifient que nous nous opposions à toute opération assimilable à un détournement de procédure, j'insiste également sur le fait qu'une déclaration interprétative ayant pour objet de modifier la substance des traités courrait le risque de contourner le contrôle démocratique que le Parlement exerce légitimement sur l'action extérieure du Gouvernement.

Je me réjouis donc que l'occasion soit donnée aujourd'hui au Sénat et à travers lui à la représentation nationale d'affirmer son attachement au respect des traités, de la Constitution et du contrôle légitime que le Parlement exerce sur une matière qui est au premier chef politique.

Pour ces différentes raisons, et suivant l'encouragement de la Première ministre, il nous semblerait important d'adopter une résolution reprenant ces différentes considérations et affirmant avec force qu'une déclaration interprétative serait contraire aux traités et constituerait une violation des règles de l'État de droit.

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