Merci de vous être livré à cet exercice rapide, je propose que nous nous revoyions en milieu de présidence suédoise, pour examiner les progrès vers les objectifs que vous vous fixez aujourd'hui.
La réunion est close à 14 h 10.
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées, et de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale -
La réunion est ouverte à 16 h 40.
Nous sommes réunis cet après-midi pour évoquer les perspectives de dépôt d'une proposition de résolution européenne sur l'impact pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) que pourrait avoir l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.
Il y a maintenant un peu plus de deux ans, nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte avaient publié un rapport d'ensemble sur la relance des négociations d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme, qui recouvrent d'autres aspects que celui dont nous allons traiter aujourd'hui.
Nos collègues Gisèle Jourda et Dominique de Legge ont présenté une communication devant la commission des affaires européennes sur ce dossier le 20 octobre dernier à la suite d'un échange que nous avions eu avec le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, Philippe Léglise-Costa.
À l'issue de leur communication, j'ai évoqué ce sujet sensible avec les présidents Buffet et Cambon et nous sommes convenus d'écrire à la Première ministre pour appeler son attention sur cette question qui ne peut être traitée au seul niveau technique.
La Première ministre nous a répondu par une lettre du 26 décembre dernier, dans laquelle elle nous invite, ainsi que nous l'avions évoqué dans notre courrier, à déposer une proposition de résolution européenne qui renforcerait la position du Gouvernement dans les négociations en cours, qui sont déjà très avancées.
La France, qui était et demeure favorable, dans son principe, à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme, se retrouve très isolée, alors que la présidence suédoise souhaite conclure les négociations le plus rapidement possible et que se profile, mi-mai, un sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe à Reykjavik. Or, pour la plupart des États membres, un accord en vue de l'adhésion de l'Union à la Convention serait un « livrable » parfait et très symbolique. La pression est donc forte, même si la Première ministre tend à la minimiser dans son courrier.
Tant la lettre de saisine de la Première ministre que sa réponse vous ont été communiquées par mail ou via Déméter. Sans être trop long, je voudrais vous rappeler les principales conclusions de la communication de Gisèle Jourda et Dominique de Legge, qui ont suscité notre mobilisation.
Chacun des vingt-sept États membres de l'Union européenne est partie à la Convention européenne des droits de l'homme, condition nécessaire pour adhérer au Conseil de l'Europe. Ils se soumettent donc pour son interprétation à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont le siège est à Strasbourg.
En revanche, l'Union européenne en tant que telle n'a pas encore adhéré à cette Convention, alors que cette adhésion est expressément prévue par les traités. En effet, l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne stipule, depuis le traité de Lisbonne, que « l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités ».
Le protocole n° 8 annexé aux traités fixe des conditions à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention. Son article 2 indique notamment que l'accord relatif à l'adhésion « doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions ».
S'agissant spécifiquement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), il ressort des articles 24 du traité sur l'Union européenne et 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que la CJUE n'est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base, à deux exceptions près, notamment pour examiner les recours concernant les mesures restrictives adoptées par le Conseil à l'encontre de personnes physiques ou morales.
Une première séquence de négociations en vue de l'adhésion avait eu lieu en 2010-2011 et avait débouché, en avril 2013, sur un projet d'accord au Conseil. Néanmoins, la procédure prévoyait que ce projet d'accord devait être soumis pour avis à la Cour de justice de l'Union européenne. Dans son avis 2/13 rendu en assemblée plénière le 18 décembre 2014, celle-ci avait jugé que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne.
La CJUE rejetait en particulier la possibilité que la Cour européenne des droits de l'homme puisse connaître des actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune, alors qu'elle-même ne le pouvait pas en application des traités. Elle soulignait que la compétence pour effectuer un contrôle juridictionnel d'actes, d'actions ou d'omissions de l'Union, y compris au regard des droits fondamentaux, ne saurait être attribuée exclusivement à une juridiction internationale qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l'Union.
Cette décision s'est traduite par un arrêt du processus d'adhésion. Les négociations d'adhésion ont toutefois été relancées à compter du 7 octobre 2019, date à laquelle le Conseil a adopté des directives de négociation en vue de répondre aux différents problèmes recensés par la CJUE.
S'agissant de la PESC, ces directives privilégiaient en particulier la définition d'un mécanisme de réattribution de responsabilités. Concrètement, cela signifierait que des tribunaux nationaux, choisis en fonction de critères spécifiques, seraient amenés à se prononcer sur une éventuelle violation des droits de l'homme du fait de la mise en oeuvre d'actes relevant de la PESC. Cette solution devait permettre d'assurer le respect du principe de subsidiarité et l'épuisement de voies de recours internes avant que la Cour européenne des droits de l'homme soit saisie.
Ce mécanisme de réattribution de responsabilités a été au coeur des discussions du panier 4 relatif à la PESC, mais des blocages sont apparus, certains États membres faisant notamment valoir des difficultés d'ordre constitutionnel. D'autres mécanismes ont été examinés.
La Commission européenne a alors proposé une autre solution : adopter une déclaration intergouvernementale interprétative qui permettrait à la Cour de justice de l'Union européenne d'étendre sa compétence aux actes relevant de la PESC afin de vérifier une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'homme se prononce.
La présidence française du Conseil n'a pas endossé cette proposition. C'est bien la Commission qui l'a présentée. La présidence se devant d'être neutre, la France qui l'assumait était alors dans l'incapacité de faire valoir certaines critiques, comme elle peut désormais le faire, mais elle ne voulait pas donner l'impression de la soutenir non plus.
Le service juridique du Conseil a soutenu l'approche de la Commission. Il estime ainsi qu'au regard des circonstances spécifiques, une déclaration interprétative permettrait de réconcilier les dispositions contradictoires des traités, en établissant que ces derniers permettraient de conférer une compétence juridictionnelle à la CJUE en matière de PESC dans les cas limités d'actions introduites pour des violations de droits fondamentaux par l'Union européenne par des requérants ayant qualité à agir devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Cette proposition est désormais soutenue par la quasi-totalité des États membres. La France fait figure d'exception. Elle est la seule à s'être exprimée contre cette proposition lors du conseil Justice et affaires intérieures (JAI) du 9 décembre 2022. Certes, elle ne désespère pas, comme le relève la Première ministre, de faire évoluer les positions de certains États membres qui n'ont pas le même degré de coordination interministérielle que nous. Mais pour cela, le Gouvernement a aussi besoin d'un appui que le Sénat serait en mesure d'apporter.
Ce dossier nous paraît soulever des enjeux d'abord purement juridiques.
En premier lieu, il apparaît contestable de procéder à une extension des compétences de la CJUE, en allant frontalement à l'encontre de ce qui est prévu par les traités par le biais d'une simple déclaration intergouvernementale interprétative.
Même si les déclarations intergouvernementales interprétatives existent en droit international, la particularité de la construction européenne et la sensibilité des sujets en cause doivent conduire à une grande prudence. On assisterait en l'espèce à une forme de révision déguisée des traités, qui ne correspond pas à la procédure prévue par l'article 48 du traité sur l'Union européenne.
Peut-être certains considèrent-ils qu'une révision en bonne et due forme des traités, pourtant demandée par la Conférence sur l'avenir de l'Europe, serait impossible à atteindre. Il reste que ce serait créer un précédent dangereux, qui apparaît contraire à l'État de droit, alors que le traité de Lisbonne a été ratifié par les États membres et a, dans le cas français, donné lieu à une révision de la Constitution.
J'ajouterai, au surplus, que la voie proposée d'une déclaration interprétative n'était absolument pas mentionnée dans les directives de négociation concernant l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme et qu'on peut donc considérer, en pur droit, qu'il n'appartenait pas à la Commission de la formuler.
En second lieu, il faut souligner que, dans une affaire concernant la mission PESC « Eulex Kosovo », le tribunal de l'Union européenne s'est déclaré incompétent au mois de novembre 2021, en se fondant justement sur l'absence d'une base juridique idoine dans les traités. Or la Commission s'est jointe à l'appel formé par les requérants devant la CJUE afin de renverser ce jugement d'incompétence.
Le fait de proposer une déclaration intergouvernementale interprétative en cours de procédure devant la Cour de justice de l'Union européenne pourrait laisser penser à une tentative de la Commission d'instrumentaliser le Conseil dans l'espoir d'obtenir un revirement de jurisprudence de la Cour. C'est une question qui mérite d'être considérée en tant que telle, alors que la prudence voudrait qu'on s'abstienne de prendre position dans ce domaine tant que la CJUE ne s'est pas prononcée dans cette affaire.
Là encore, la France s'est retrouvée isolée lors du Conseil JAI du 9 décembre : seule la Hongrie a soutenu sa position consistant à demander de ne pas adopter une telle déclaration en cours de procédure.
Je me réjouis de l'occasion qui est donnée cette après-midi à nos trois commissions d'échanger et de réfléchir en commun. Si le sujet qui nous occupe peut à première vue sembler technique, je pense qu'il s'agit là d'une illusion.
Les conditions d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme soulèvent au contraire des enjeux éminemment politiques, que cela soit pour la conduite de notre politique étrangère, pour notre position au sein de l'Union européenne ou pour la cohérence de notre système juridictionnel.
Sans revenir dans le détail sur les motifs qui nous conduisent à condamner par avance toute solution qui reviendrait à une modification déguisée des traités, j'aimerais insister sur deux points spécifiques que la commission des affaires étrangères et de la défense scrute avec une attention particulière.
En premier lieu, j'aimerais insister sur les conséquences concrètes que pourrait avoir une extension de la compétence de la Cour de Luxembourg à la politique étrangère et de sécurité commune.
Il y a environ un an et demi, la décision B.K. c/ Slovénie, rendue par la grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne le 15 juillet 2021, est venue nous rappeler combien la sécurité juridique de l'organisation de notre défense nationale est précieuse et doit être absolument préservée.
Bien que les enjeux soulevés par l'adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme diffèrent de ceux soulevés par cette décision, je pense que cette décision récente est une illustration du caractère essentiel de l'architecture juridictionnelle de l'Union européenne, y compris pour notre politique extérieure.
Pour rappel, dans cette décision qualifiée de « déception » par la directrice des affaires juridiques du ministère des armées de l'époque et de « risque d'affaiblissement de la condition militaire » par le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire, les juges de Luxembourg avaient estimé que les militaires ne sont pas, par principe, exclus du champ d'application de la directive relative au temps de travail du 4 novembre 2003. Cette décision était intervenue malgré le deuxième paragraphe de l'article 4 du traité sur l'Union européenne qui consacre la responsabilité exclusive des États membres en matière de sécurité nationale.
Si le Conseil d'État est venu préciser la portée de cette jurisprudence en écartant la requête d'un sous-officier de gendarmerie en décembre 2021, cette décision n'a pas dissipé tous les doutes sur le temps de travail de nos militaires. En effet, le Conseil d'État s'est borné à constater que le régime actuel respectait les dispositions de la directive, tout en admettant l'inclusion de la gendarmerie départementale dans le champ d'application de la directive.
L'extension de la compétence de la CJUE aurait également des conséquences concrètes sur le plan opérationnel. Cette extension de compétence pourrait être de nature à fragiliser la sécurité juridique des conditions d'engagements des forces dans les opérations de la PESC et de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
L'analyse de la Commission européenne, selon laquelle la Cour de justice de l'Union européenne a déjà développé une jurisprudence abondante relative à la PESC, notamment en matière de mesures restrictives, apparaît contestable. En effet, le contrôle de la CJUE porterait alors sur des actes de nature différente et au regard d'un texte de référence différent.
On peut également exprimer une inquiétude vis-à-vis d'une instrumentalisation potentielle de la procédure par des ONG ou des États tiers. On ne pourrait dans ce cas exclure un affaiblissement paradoxal des opérations menées au titre de la PESC ou de la PSDC, voire des stratégies de contournement qui pourraient prendre la forme d'accords intergouvernementaux ne relevant pas de la PESC.
Le deuxième point d'attention, en lien direct avec ce que je viens d'évoquer, tient au contrôle démocratique que le Parlement exerce sur les principaux traités négociés et signés par la France. C'est l'objet de l'article 53 de notre Constitution qui subordonne la ratification des principaux traités internationaux à l'adoption d'une loi autorisant cette ratification. Par la loi du 13 février 2008, le Parlement a autorisé la ratification du traité de Lisbonne par la France.
Parallèlement aux arguments juridiques qui justifient que nous nous opposions à toute opération assimilable à un détournement de procédure, j'insiste également sur le fait qu'une déclaration interprétative ayant pour objet de modifier la substance des traités courrait le risque de contourner le contrôle démocratique que le Parlement exerce légitimement sur l'action extérieure du Gouvernement.
Je me réjouis donc que l'occasion soit donnée aujourd'hui au Sénat et à travers lui à la représentation nationale d'affirmer son attachement au respect des traités, de la Constitution et du contrôle légitime que le Parlement exerce sur une matière qui est au premier chef politique.
Pour ces différentes raisons, et suivant l'encouragement de la Première ministre, il nous semblerait important d'adopter une résolution reprenant ces différentes considérations et affirmant avec force qu'une déclaration interprétative serait contraire aux traités et constituerait une violation des règles de l'État de droit.
Vous le voyez, ce dossier comporte des aspects juridiques comme opérationnels.
Nous avons eu des échanges avec le Gouvernement, notamment avec le secrétariat général des affaires européennes (SGAE), mais aussi avec l'Élysée : c'est un sujet qui inquiète au plus haut niveau de l'État et sur lequel la France se sent isolée.
C'est le Sénat qui avait soulevé ce problème et je crois que nous devons soutenir la position française. Notre objectif est de déposer dans les meilleurs délais une proposition de résolution européenne qui, transmise aux autorités compétentes, permettrait de formaliser ce soutien.
Plusieurs États membres exercent une forte pression pour que, conformément au traité, l'Union adhère à la Convention européenne des droits de l'homme, mais je crois qu'il est nécessaire de bien clarifier les choses au préalable.
Je rappelle que notre ancien collègue Denis Badré s'était vu confier en 2011 une mission à ce sujet et qu'il avait rendu un rapport particulièrement documenté.
Nous sommes face à un conflit de doctrine juridique : qui établit le droit de l'Union européenne ? Le Conseil de l'Europe dispose de plusieurs organes importants, dont la Cour européenne des droits de l'homme qui définit une jurisprudence dans un champ finalement réduit, à savoir les libertés fondamentales et l'État de droit. De son côté, le champ de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne est principalement de nature économique ; elle peut d'ailleurs infliger des sanctions financières, qui sont parfois lourdes.
J'ai travaillé sur la question des libertés académiques. En 2017, lorsque la Hongrie a adopté une législation restreignant les libertés en la matière, un double recours a été déposé : la CJUE a fondé sa décision sur la liberté d'entreprendre et la CEDH sur la liberté d'expression, ce qui me paraît d'ailleurs plus adapté en l'espèce. La volonté de recentrer les choses autour de la CJUE pourrait renforcer cette logique économique - la défense du marché unique - au détriment d'autres aspects.
Pour autant, je partage l'avis du Gouvernement et celui qui vient d'être exprimé par nos trois présidents de commission. Il n'est pas souhaitable d'élargir le champ juridictionnel de la CJUE sans un consentement démocratique.
Je suis d'accord sur le fait que nous ne pouvons pas accepter une réécriture des traités sans consentement démocratique. C'est ce que nous indiquions dans notre communication d'octobre dernier.
J'ajoute que, par rapport au moment où le traité de Lisbonne a été signé et ratifié, le contexte a changé. Je pense évidemment à la guerre en Ukraine. Nous devons donc prendre le temps de la réflexion pour évaluer précisément les conséquences pratiques et opérationnelles d'une adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.
Qui plus est, la France a une place, donc une voix, spécifique : nous sommes le seul pays de l'Union européenne qui dispose d'une armée capable de se projeter.
Ce sujet est d'apparence technique, mais il est profondément politique.
Je partage les préoccupations qui ont été exprimées et l'idée que les actes régaliens, en particulier en matière de politique étrangère et de défense, doivent être sanctuarisés. En ce qui concerne le statut des militaires ou la lutte contre le terrorisme, par exemple, je crois que la France a péché par insuffisance d'analyse en amont des projets de textes européens - je pense à la directive sur le temps de travail ou au règlement général sur la protection des données (RDPD).
Je crois que l'idée qu'il pourrait y avoir une approche différente sur les valeurs entre la CJUE et la CEDH est un non-sujet. En effet, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne fait explicitement référence aux droits qui résultent de la Convention européenne des droits de l'homme.
Par ailleurs, l'obligation d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme, telle qu'elle est prévue dans le traité, conduirait la CEDH à traiter de tous les sujets pouvant lui être soumis, sans exclusion ou réserve en ce qui concerne la PESC ou la PSDC. La CJUE avait déjà adressé un tir de barrage à ce sujet en 2014 et elle a renouvelé cette position en 2019 avec des arguments forts : il serait en effet paradoxal, d'une part, que la CJUE ne soit pas compétente en matière de PESC, alors que la CEDH le serait, d'autre part, que des actes et décisions de l'Union européenne, en particulier dans des domaines régaliens, soient soumis à des magistrats ressortissants de pays non membres de l'Union européenne, par exemple la Russie ou la Turquie.
La plupart des États membres ne nous suivent pas. En Europe, l'idée la plus répandue est que le contrôle de l'État de droit doit être confié à des tiers. De ce point de vue, la CEDH est tout indiquée. La proposition de résolution européenne (PPRE) envisagée est donc très bienvenue.
En fait, la Commission essaie de protéger la CJUE. En effet, la CEDH deviendrait compétente sur la PESC. En somme, la Commission pousse la CJUE à outrepasser son mandat pour éviter qu'une autre instance ne devienne compétente à sa place. Au fond, la question est de savoir quelle sera la juridiction faîtière. L'adhésion de l'Union européenne à la CEDH donnerait à cette instance un rôle faîtier, au-dessus de la CJUE, ce qui n'est pas convenable. Bref, si les autres États membres acceptent de ne pas remettre sur le tapis la question de l'adhésion à la CEDH, la Commission n'aura aucun motif d'organiser un contre-feu en donnant à la CJUE des pouvoirs supplémentaires.
Je ne suis pas spécialiste de la question, qui a été suivie par Gisèle Jourda, Dominique de Legge et Jean-Yves Leconte. Les 27 États membres adhèrent à la CEDH. Le traité de Lisbonne a entériné le fait que l'Union devait adhérer à la CEDH. Le processus a été lancé. Il s'est avéré qu'il pose quelques difficultés, majeures, pour la PESC. Mais l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH est tout de même un renforcement des droits fondamentaux des citoyens européens par rapport à toute décision que l'Union européenne pourrait prendre les concernant. C'est donc une avancée, et il ne faudrait pas que la PPRE donne le sentiment que nous souhaitons remettre cette adhésion en cause.
Comme l'ont bien dit les trois présidents, nous ne pouvons pas accepter une réforme déguisée des traités. Il existe des mécanismes et ils doivent être respectés. Si l'on commence, sur ce sujet, à réviser de façon détournée les traités, pourquoi ne pas le faire pour d'autres sujets ? Cela aboutirait à détricoter la totalité des dispositifs qui organisent notre vie collective.
Il faut trouver des solutions alternatives. Parmi celles-ci figurent la redéfinition des périmètres de compétence des deux cours, et la spécification de celles de la CJUE. Pourquoi ne pas imaginer une instance provisoire permettant de départager les responsabilités et, en cas de conflit, tranchant les différences d'appréciation ? Entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, on doit pouvoir trouver une articulation qui satisfasse les intérêts des uns et des autres.
La PPRE devrait donc réaffirmer l'intérêt pour les Européens que l'Union adhère à la CEDH et proposer quelques solutions de ce type.
Sauf à revoir le traité de Lisbonne, rien ne conduira à remettre en cause l'objectif d'adhésion de l'Union à la CEDH. La France, du reste, a affirmé clairement sa volonté que cette adhésion se fasse. Nous pouvons le rappeler dans la PPRE, d'autant qu'on nous reproche parfois de ne plus avoir cette volonté.
Voilà plus de dix ans que nous sommes dans cette situation, et que nous utilisons l'opposition acharnée de la CJUE, qui bloque, à mon avis légitimement, les choses.
Nous devons néanmoins veiller à l'orthodoxie de la procédure, qui garantit le respect des engagements des uns et des autres et des règles communes. Sur le sujet de fond, seule la France est engagée dans les opérations. Notre devoir est aussi de protéger notre pays et les actions qu'il engage, celles-ci étant de toute façon soumises à un contrôle juridictionnel. Dans sa lettre, la Première ministre nous encourage à continuer. Cette PPRE constituera un soutien assez marqué à nos dirigeants pour faire prévaloir les intérêts de la France et de l'Europe.
La position réaffirmée par la Première ministre vise à éviter que les actes régaliens, notamment en matière de défense, ne soient soumis au contrôle de la CJUE. Mais si l'Union européenne adhère à la CEDH, celle-ci pourra assurer le contrôle de la PESC - sauf à réviser les traités, ce que vous avez raison de rejeter. Je vous invite donc à vous lancer dans un long combat pour organiser une inertie longue et puissante sur les deux terrains...
Nous devons sauvegarder le contrôle parlementaire de ces politiques étrangères, au vu de l'importance des crédits qui leur sont consacrés et des conséquences qu'elles peuvent avoir sur la paix, la sécurité et la souveraineté de chaque État. On a suffisamment reproché aux instances européennes de se mêler de compétences qui semblaient relever plutôt des États : défendons nos prérogatives !
Curieusement, dans cette affaire, la Commission européenne interprète de la manière la plus extensive la possibilité d'aller à l'encontre des traités. Or elle n'a aucune légitimité démocratique pour faire cela. Tout se passe comme si l'on n'avait pas tiré les leçons du Brexit... Les États membres ne sont pas tous fanatiques du fédéralisme européen, et de nombreux partis militent pour que la dimension nationale soit sauvegardée au sein de l'Union européenne. Les Britanniques se plaignaient notamment des décisions de la CEDH, dont ils voulaient s'affranchir.
Une démarche forte, sous la forme d'une PPRE, est donc bienvenue. C'est un dispositif dont il ne faut d'ailleurs pas abuser.
Le texte sera d'abord soumis à la commission des affaires européennes, puis à la commission des affaires étrangères si nécessaire, avant de devenir, après adoption, résolution du Sénat. Nous voulons un texte porteur d'un message fort, en tous cas.
La réunion est close à 17 h 25.