Intervention de Jean-Baptiste Blanc

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 novembre 2022 à 15h50
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « cohésion des territoires » et article 41 ter - programmes « hébergement parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » « aide à l'accès au logement » « urbanisme territoires et amélioration de l'habitat » et « politique de la ville » - examen du rapport spécial

Photo de Jean-Baptiste BlancJean-Baptiste Blanc, « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et « Politique de la ville » :

rapporteur spécial de la mission « Cohésion des territoires » sur les programmes « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », « Aide à l'accès au logement », « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et « Politique de la ville » - Les crédits de la mission « Cohésion des territoires » s'élèvent à 17,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP). À périmètre constant, l'augmentation des crédits est de l'ordre de 410,8 millions d'euros, soit une hausse de 2,4 % en CP. Toutefois, compte tenu d'une prévision d'inflation élevée en 2023, les crédits diminuent en volume de 1,9 % en CP.

Bernard Delcros nous ayant déjà présenté, le 25 octobre dernier, les crédits des programmes 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et 162 « Interventions territoriales de l'État », j'évoquerai les quatre autres programmes, avec les crédits destinés aux politiques d'hébergement, d'aides au logement, d'urbanisme et de l'habitat, ainsi qu'à la politique de la ville.

Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » est dédié à la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Les crédits sur ce programme s'élèvent à 2,8 milliards d'euros. Des crédits importants ont été ouverts en cours d'année 2022, de sorte que ceux qui sont prévus par le projet de loi de finances (PLF) sont en diminution de 131 millions d'euros par rapport à l'exécution 2022, soit une baisse de 4,5 % en euros constants. Une fois de plus, ce programme entame l'année avec des crédits qui pourraient bien apparaître comme sous-évalués en cours d'année, au regard du maintien des besoins à un niveau élevé.

Le plan Logement d'abord, qui visait à faire passer les personnes directement de la rue à un logement, en évitant le passage par un hébergement d'urgence, n'a pas obtenu les résultats espérés. Le nombre de places en intermédiation locative financées par le programme 177, qui était de 33 604 places en 2017, dépassait les 70 000 places à la mi-2022. Les crédits poursuivent leur augmentation cette année, mais, contrairement au quinquennat précédent, le Gouvernement tarde à afficher des objectifs clairs.

Cette navigation à vue est encore plus évidente concernant la politique d'hébergement d'urgence. Le plan précité, malgré ses vertus, n'a pas permis de réduire les besoins en hébergement. Le parc d'hébergement se situe à un niveau historiquement élevé de près de 200 000 logements, soit 40 000 places de plus que le niveau antérieur à la crise sanitaire. Le Gouvernement avait affiché l'objectif de réduire de 14 000 places ce parc en 2023, puisque les effets de la crise sanitaire se sont estompés ; il vient d'y renoncer et de demander l'ouverture de 40 millions d'euros supplémentaires à l'Assemblée nationale.

La crise sanitaire a ainsi révélé des problèmes de mal-logement masqués par l'hébergement chez des tiers, et il est difficilement envisageable de remettre à la rue les personnes qui ont été hébergées. La question des migrants se pose également ; le dispositif national d'accueil géré par le ministère de l'intérieur est saturé ; il engorge le dispositif d'hébergement du programme 177. Pour toutes ces raisons, les besoins en crédits du programme 177 restent importants.

Le programme 109 « Aide à l'accès au logement » comprend, à titre principal, les crédits destinés au financement des aides personnelles au logement (APL). Les crédits demandés pour 2023 s'élèvent à 13,4 milliards d'euros, soit une hausse de 292 millions d'euros en euros courants, mais une diminution de 2 % en volume.

Les APL contribuent de manière importante à réduire le taux d'effort des ménages modestes, c'est-à-dire la part de leurs revenus qui est effectivement consacrée à la dépense de logement. Ce taux d'effort, de l'ordre de 20 % en moyenne avec les aides, serait supérieur à 40 % sans elles. Toutefois, sur le long terme, les prestations sociales couvrent une part de plus en plus réduite des dépenses courantes des ménages, et les dépenses de logement augmentent. Les ménages doivent faire face au poids croissant de l'inflation, malgré les mesures du type « bouclier tarifaire ».

Le Fonds national d'aide au logement (Fnal), qui centralise les crédits des aides au logement, devra certainement être réformé dans les années à venir. Il s'agit d'un fonds dépourvu de personnalité juridique ; en application de la réforme de la loi organique du 28 décembre dernier relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, il ne pourra donc plus recevoir le produit des cotisations employeurs, qui représentent près de 3 milliards d'euros par an. Un nouveau schéma de financement devra être mis en place.

Le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » porte les crédits consacrés à des actions diverses, liées à la construction et l'habitat. Les politiques concernées passent principalement par les dépenses fiscales d'un montant de 15 milliards d'euros, par les fonds de concours et par l'action des opérateurs, en particulier l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui bénéficient du produit de taxes affectées. Les crédits budgétaires relevant de ce programme s'élèvent à 780,8 millions d'euros en CP, soit une hausse de près de 50 % par rapport à 2022.

J'évoquerai d'abord le secteur de la construction, pour lequel il est difficile d'être optimiste. Les tensions sur les approvisionnements consécutives à la crise sanitaire ne constituent plus le problème principal, mais celles sur les prix ne devraient pas s'atténuer en 2023. Les professionnels indiquent leur inquiétude au sujet des permis de construire, de plus en plus difficiles à obtenir ; plus personne ne veut de constructions nouvelles dans sa commune. En outre, la remontée sensible des taux risque de freiner les dépôts de permis de construire dans les mois et années à venir.

Outre la construction neuve, la rénovation du parc existant est le grand défi du secteur du logement. C'est le principal point du budget du programme 135 : la subvention versée à l'Anah passe de 170 millions à plus de 400 millions d'euros ; dans le même temps, le produit des ventes de quotas carbone rapportera 700 millions d'euros, contre 481 millions cette année. L'Anah dispose par ailleurs de 2,3 milliards d'euros sur le programme 174 de la mission « Écologie » pour financer le dispositif MaPrimeRénov'.

Ces crédits sont considérables, mais nécessaires. Il apparaît toutefois que le problème le plus pressant n'est pas budgétaire ; il réside davantage du côté de l'offre de rénovation que de la demande. Il est nécessaire de développer un véritable écosystème de la rénovation globale des logements, nous manquons d'entreprises sur le marché de la rénovation des logements privés. C'est aussi une difficulté pour les particuliers, car la rénovation globale demande des compétences en maîtrise d'ouvrage. Il conviendrait de développer l'aide MaPrimeRénov' Sérénité, qui accompagne de manière plus importante les ménages, sous conditions de ressources. Les banques doivent aussi mieux jouer le jeu ; seules deux banques proposent le prêt avance rénovation (PAR) qui, depuis le 1er janvier 2022, doit permettre à des ménages modestes de financer les travaux de rénovation énergétique de leur résidence principale.

Concernant les logements sociaux, l'objectif de 250 000 logements agréés en 2021 et 2022, annoncé par le précédent gouvernement, a été abandonné. Environ 95 000 logements ont été agréés en 2021, et la réalisation devrait être du même ordre, ou peut-être un peu plus, en 2022. Le secteur est atteint, comme tous les acteurs de la construction, par la hausse des prix à la construction, ainsi que par l'augmentation du taux du livret A, passé en quelques mois de 0,5 à 2 %. Cette hausse entraîne un accroissement des charges financières d'intérêt, car les emprunts sont à taux variable.

Afin d'assurer l'équilibre financier des organismes de logement social à long terme, le précédent gouvernement a proposé de développer les ventes ; celles-ci devaient passer de moins de 10 000 à 40 000 par an ; l'objectif n'a pas été atteint, avec un résultat de 11 000 ventes par an environ. Ce résultat me semble heureux : la mission d'un organisme de logement social est de fournir un parc de logements adapté aux besoins ; et un modèle économique reposant sur la vente se paie à long terme par la perte des recettes liées aux loyers.

Le modèle de financement du logement social devra parvenir à conjuguer deux objectifs : l'accroissement du parc, afin de satisfaire les demandes toujours insatisfaites ; et la rénovation du parc existant. En conséquence, malgré le poids de la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui reste de 1,3 milliard d'euros par an, les bailleurs sociaux devront procéder à des investissements massifs.

Un des organismes du secteur, qui joue un rôle essentiel dans son financement, est soumis à une pression particulière ; il s'agit d'Action Logement. D'une part, l'article 16 du PLF le soumet à une contribution de 300 millions d'euros pour financer les aides à la pierre ; et, d'autre part, chose plus importante encore, sa filiale financière, Action Logement Services (ALS), a été classée par l'Insee en administration publique.

Première conséquence : sa dette a été intégrée à la dette publique, augmentant celle-ci de 0,3 point. Nul doute que le ministère de l'économie va désormais porter un regard particulièrement attentif sur la situation d'ALS.

Deuxième conséquence : ALS devrait être bientôt interdite d'emprunt sur plus de douze mois, ce qui remettra en cause partiellement ses plans d'investissement. Cette décision comptable risque d'affecter la participation d'Action Logement aux politiques publiques dont la mise en oeuvre dépend de sa contribution, à commencer par le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU).

Les enjeux de construction et de la rénovation ne peuvent être dissociés du nouvel impératif assigné aux collectivités territoriales, celui de la sobriété foncière et du « zéro artificialisation nette » (ZAN).

Le fonds friches, très apprécié en 2021 et 2022, a apporté environ 750 millions d'euros de crédits et a révélé l'étendue des besoins ; mais cela était insuffisant pour atteindre tout le potentiel. Le Gouvernement précise que la réhabilitation des friches sera portée par le fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires. Les modalités et les montants ne sont pas indiqués dans les documents budgétaires et l'on ignore ce qui sera fait concrètement pour la réhabilitation des friches l'an prochain. Ce flou est regrettable, car il entraîne un risque de démobilisation dans un domaine où la vision de long terme est essentielle.

Il en est de même pour la définition d'un modèle de financement du ZAN. J'ai fait des propositions ici même en juin, et le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) nous a présenté, il y a trois semaines, un rapport du plus haut intérêt. Notre mission conjointe de contrôle sur le ZAN a déjà consulté de nombreux acteurs, notamment sur les aspects réglementaires, et formulera bientôt ses conclusions. La question est sensible, il est essentiel que le Gouvernement s'en empare afin de « climatiser » réellement la fiscalité et les ressources des collectivités.

Enfin, dans le cadre du programme 147, les crédits de la politique de la ville s'élèvent à 597,5 millions d'euros en CP, soit une augmentation de 39,6 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Ces crédits sont principalement consacrés à une diversité d'actions engagées dans le cadre des contrats de ville. On peut noter une diminution de 3,8 millions d'euros des crédits destinés à l'éducation, au travers du programme de réussite éducative (PRE) et des cités éducatives. Il convient toutefois d'approuver l'intégration à la budgétisation initiale du dispositif « Quartiers d'été », à hauteur de 32,1 millions d'euros ; ce dispositif, depuis trois ans, était financé en cours d'année par des ouvertures de crédits en loi de finances rectificative (LFR).

Ces crédits ne correspondent qu'à une partie de l'action de l'État, qui passe aussi par les crédits de nombreux ministères, dont la traçabilité vers les quartiers n'est pas toujours assurée. Les résultats sont toujours aussi difficiles à percevoir, comme l'avait observé Jean-Louis Borloo lui-même en 2018. Plus de 40 % des adultes de 15 à 64 ans résidant dans les quartiers ciblés par la politique de la ville restent à l'écart du marché de l'emploi, contre moins de 30 % dans les autres quartiers des mêmes unités urbaines ; et les habitants de ces quartiers ont un revenu fiscal moyen égal à moins de la moitié de celui de leur agglomération, ce qui est le signe de la persistance d'une pauvreté relative très importante.

Le programme 147 devrait normalement bénéficier d'une autre ligne budgétaire importante pour la rénovation urbaine, puisque le NPNRU de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) entre dans une phase active, avec des dépenses de l'ordre de 568 millions d'euros dès 2022, qui ont vocation à s'accroître à l'avenir. Cette ligne budgétaire est réduite à un montant symbolique de 15 millions d'euros ; l'État repousse toujours la mise en oeuvre de sa promesse d'apporter 1,2 milliard d'euros au total à ce programme, qui repose donc toujours autant sur les contributions d'Action Logement et des bailleurs sociaux. Sachant les incertitudes qui pèsent sur ces acteurs, cela n'est pas fait pour rassurer.

Compte tenu des considérations précédentes, je propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat sur l'adoption des crédits de la mission « Cohésion des territoires » pour les programmes 177, 109, 135 et 147.

Par ailleurs, je dois vous présenter un article rattaché à la mission. L'article 41 ter, introduit sur l'initiative du Gouvernement dans le texte soumis à l'engagement de sa responsabilité devant l'Assemblée nationale, prévoit, au titre de l'année 2023, de ne pas appliquer la règle d'indexation de la réduction de loyer de solidarité en fonction de l'inflation. Cette mesure, déjà mise en oeuvre les années précédentes, a pour objet d'éviter que cette charge sur les bailleurs sociaux ne dépasse les objectifs prévus. Je propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article.

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