Intervention de Claude Biwer

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Interdiction de l'exploration et de l'exploitation des mines d'hydrocarbures par fracturation hydraulique — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Claude BiwerClaude Biwer :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, après de longues heures de débat, au cours desquelles se sont exprimées des positions divergentes, non seulement entre les groupes politiques, comme madame le ministre vient de le rappeler, mais aussi entre les deux chambres du Parlement, nous nous prononçons aujourd’hui sur un compromis trouvé lors de la réunion de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures par fracturation hydraulique et à abroger les permis octroyés, mais aussi à permettre l’expérimentation, en liaison avec une commission scientifique qui doit être créée.

Nul doute qu’il faudra très prochainement revenir sur cette question en vue d’améliorer le texte que nous nous apprêtons à voter. En effet, comme tous les compromis, le texte issu de la CMP apporte son lot de déceptions, de satisfactions, mais également d’interrogations.

Pendant le débat, le groupe de l’Union centriste, dont je me fais le porte-parole, a appréhendé la question difficile des hydrocarbures non conventionnels avec le souci de trouver un juste équilibre entre, d’une part, l’opportunité économique et sociale que représente le potentiel d’hydrocarbures de roche-mère et, d’autre part, la protection de l’environnement, qu’il n’est évidemment pas question de sacrifier.

Je note d’ailleurs que la conciliation de ces deux objectifs est aux fondements du principe constitutionnel de développement durable.

Je ne reviens pas en détail sur ces deux aspects, puisque j’avais largement évoqué ces sujets en première lecture.

Je rappelle néanmoins que, selon le rapport des députés Gonnot et Martin, le potentiel d’hydrocarbures non conventionnels représenterait, s’agissant du gaz, une centaine d’années de consommation française. En ce qui concerne l’huile de schiste, nos deux collègues députés estiment que le Bassin parisien disposerait de réserves représentant l’équivalent de la moitié du champ pétrolifère de la mer du Nord.

À l’heure où la France dépend d’une consommation incompressible d’énergies fossiles, malgré les efforts faits pour diversifier notre mix énergétique, l’exploitation du potentiel d’hydrocarbures, qu’ils soient conventionnels ou non, répond à un double enjeu : en effet, outre l’indépendance énergétique, il ne faut pas négliger l’impact que pourrait avoir une telle exploitation sur l’équilibre de notre balance commerciale, l’importation d’hydrocarbures au prix fort ayant coûté 45 milliards d’euros l’année dernière. La France pourrait même, à terme, devenir exportatrice, comme les États-Unis.

J’aurais aimé pouvoir dire, lors du débat sur la loi de finances rectificative de la semaine dernière, alors que nous cherchions des moyens d’approcher l’équilibre de nos finances publiques, que l’exploitation des hydrocarbures était une réponse possible. La recherche et les études complémentaires que j’appelais de mes vœux dans ce domaine auraient peut-être eu leur place à cet égard. Permettre d’économiser quelques dizaines de milliards d’euros par an n’est quand même pas une incongruité dans la situation financière où se trouve actuellement la France !

Cela étant, la fracturation hydraulique utilisant entre 10 000 et 20 000 mètres cube d’eau par puits, il ne me semble pas incohérent de limiter cette pratique au profit de la recherche d’autres méthodes d’exploitation. Vous avez parlé à l’instant, madame la ministre, de l’interdire ; je dois dire que je n’avais pas vu les choses tout à fait comme cela.

Enfin, je crois que la protection contre les risques d’exploitation qu’impose le règlement général des industries extractives, tels que la pollution visuelle ou les problèmes d’étanchéité des puits, relève plus du décret que de la loi.

Fort de ces considérations, j’ai donc, à l’occasion de la première lecture, déposé et fait adopter par la commission de l’économie un amendement à l’article 1er tendant à concilier les deux préoccupations, économique et environnementale. Cet amendement, qui n’a pas survécu dans sa totalité à la CMP – il a été un peu « saucissonné » pour en minimiser l’importance –, prévoyait une exception à l’interdiction d’exploration et d’exploitation : pour les expérimentations scientifiques destinées à favoriser les techniques alternatives à la fracturation hydraulique. Ces techniques existent, n’en déplaise à ceux qui ont martelé le contraire en première lecture ; elles consistent en l’injection à forte pression de propane, ou encore en la création de microfissures par des arcs électriques.

La commission mixte paritaire a confirmé la création d’une commission nationale de suivi et d’évaluation chargée de veiller au bon déroulement de ces expérimentations, de manière que celles-ci soient menées en toute transparence.

En tant que parlementaire, je me réjouissais que le bilan de ces expérimentations puisse être joint au rapport annuel remis au Parlement par le Gouvernement. Cette position ouverte à la recherche, venant soutenir les initiatives innovantes au service de notre politique énergétique, tout en en encadrant le déploiement pour tenir compte de notre pacte environnemental, me semblait être une réponse adéquate au principe de précaution et au principe de développement durable, tout du moins en apparence.

J’ai constaté qu’un certain nombre de parlementaires n’ont pas appréhendé les deux piliers du principe de développement durable que sont le développement économique et social et la protection de l’environnement de la même manière que moi.

Je n’émettrai pas d’hypothèses sur les motivations qui ont conduit certains à céder à l’obscurantisme sur cette question d’intérêt national ou local, selon les cas.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui a ceci de décevant qu’il vient écorner l’équilibre du triptyque expérimentation-évaluation-information.

En effet, il affaiblit considérablement l’expérimentation puisqu’elle n’est plus de droit. La commission nationale en fixe seulement les modalités, car son pouvoir de proposition, qui faisait d’elle un organe dynamique, est abandonné au profit de l’État.

La commission nationale conserve en revanche la mission d’évaluation, ce qui va entraîner, une fois encore, une suradministration ; j’espère que cela ne freinera pas la recherche et l’innovation…

Bien sûr, le fait qu’on ne ferme pas complètement la porte à ces expérimentations scientifiques – c’est, du moins, ce que l’article 4 suggère – est une satisfaction.

Le cadre législatif arrêté en CMP reste cependant opaque sur la mise en œuvre concrète des expérimentations. Le pouvoir d’autoriser des expérimentations selon les modalités fixées par la commission nationale appartiendra-t-il au Gouvernement ou au Parlement ? Peut-être pourrez-vous, madame le ministre, m’éclairer sur ce point.

Je ne me ferai pas l’inquisiteur des failles et des incohérences, mais je tiens tout de même à signaler que c’est la fracturation hydraulique qui est en cause. Alors, pourquoi ne met-on pas en cause ladite fracturation lorsqu’il s’agit de la géothermie ?

Pourquoi condamne-t-on aussi a priori des techniques non hydrauliques ?

De même, pourquoi ne soulève-t-on pas les mêmes interrogations au sujet des déchets nucléaires ? À cet égard, dans mon département, la Meuse, on m’a expliqué qu’une profondeur d’enfouissement de 600 mètres protégeait de tout risque de pollution externe pendant des millions d’années, alors que, par ailleurs, on pointe des risques écologiques à une profondeur de 3 000 mètres ! Il y a là une incohérence que, modestement, j’aimerais qu’on m’explique...

À mon sens, il existe un intérêt général national qui ne doit pas être remis en question sous des prétextes où se mêleraient des considérations relatives à l’environnement, au pouvoir et à la pression locale !

Je remarque, enfin, que nous avons été peu nombreux dans cet hémicycle à défendre le principe constitutionnel du développement durable. Vous avez, pour beaucoup, hypothéqué le principe de développement économique au profit de la protection parcellaire de l’environnement, alors que le principe constitutionnel nous impose de concilier les deux, au risque de se faire taxer par certaines associations écologistes de « VRP de Total »… C’est ce que j’ai vécu ! Je n’ai pourtant pas eu la chance de rencontrer les dirigeants de cette multinationale, ce qui, au demeurant, n’aurait rien eu de déshonorant.

J’espère que la réforme du code minier nous donnera l’occasion de revenir sur ce sujet. Je forme le vœu que le clivage politicien qui nous divise aujourd’hui cède alors le pas à un débat national plus objectif et plus réaliste. Car je trouve tout de même assez extraordinaire que, dans une enceinte parlementaire, les mêmes auditions et rapports mènent à des préconisations parfois tout à fait opposées !

En séance, ce clivage est apparu nettement et beaucoup d’entre nous ont caricaturé le débat sur l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère en la présentant comme un « cadeau » fait aux pétroliers.

Il est vrai que, derrière le débat sur l’énergie, qu’elle soit fossile, nucléaire, renouvelable, il y a avant tout des entreprises qui œuvrent pour la croissance et des perspectives d’économies. Mais notre assemblée, me semble-t-il, doit limiter la portée de son œuvre normative à la possibilité d’offrir aux Français une énergie au meilleur coût économique, social et environnemental. Telle est ma conception du développement durable.

L’exploitation de nouvelles ressources peut également avoir un impact sur l’équilibre humain et familial, tout particulièrement en cette période de restriction du pouvoir d’achat.

Or je pense que le texte issu de la CMP constitue un pas en arrière par rapport à la solution équilibrée que je préconisais et qui était partagée par la majorité du Sénat en première lecture.

Aujourd’hui, l’importation de panneaux photovoltaïques de Chine, de gaz de Russie ou d’Algérie et, demain, peut-être, de Pologne, grâce à l’exploitation de leur gaz de schiste, a un coût économique, social et environnemental, ne l’oublions pas ! Or ce coût pourrait être réduit si nous arrivions à stimuler des dynamiques et à encadrer l’exploitation du gaz de schiste mieux qu’on ne le fait dans d’autres pays. Au lieu de cela, on freine des quatre fers ! La science nous effraie ! Nous doutons de notre propre capacité à encadrer correctement cette activité, au service du bien-être de chacun d’entre nous.

Nous serons donc obligés d’importer du gaz au prix fort, tandis que les sous-sols polonais, allemands et anglais feront l’objet d’exploitation, avec des normes peut-être moins sévères que celles que nous pourrions prendre. Des risques accrus de pollution menaceront alors des terres dont les fruits peuvent circuler librement et arriver dans nos assiettes !

En tant que sénateur élu d’une région frontalière, je suis bien placé pour vous parler des conséquences de ce type d’isolement : à l’époque de la restructuration de la sidérurgie, sous l’autorité du président Mitterrand, l’Arbed, entreprise luxembourgeoise, continuait à exploiter du minerai situé dans le sous-sol français pour nous le revendre ensuite, alors que les mines françaises avaient fermé. Tout cela s’était passé sur mon territoire et m’avait profondément frappé. J’espère que cette situation ne se renouvellera pas, mais ce risque existe, dans une Europe divisée sur ce thème.

La compétitivité de la France est menacée, car notre fébrilité ne touche pas seulement le domaine énergétique : elle se manifeste aussi à propos des nanotechnologies et des OGM.

Pour conclure, je forme le vœu que nous fassions preuve de plus d’impartialité, d’objectivité et surtout de responsabilité politique dans notre approche du débat énergétique – notamment s’agissant des hydrocarbures fossiles – dont la réforme du code minier nous donnera l’occasion. Je pense pourtant que ce sujet devrait plutôt relever d’une « loi pétrolière », dont j’ai proposé l’examen, en accompagnement de la réforme du code minier.

Je suis persuadé que si cette réforme intervient après un changement politique, espéré par certains d’entre nous, les positionnements sur ce débat évolueront très certainement. Le rapporteur y avait d’ailleurs fait allusion lors de la première lecture.

Pour l’heure, l’Union centriste se satisfait d’avoir au moins apporté un « mieux » par rapport à ce qui nous était proposé par l’Assemblée nationale, à défaut d’avoir obtenu un « bien ». Pour cette raison, la majorité du groupe votera ce texte. Il y va de l’intérêt de notre pays. Néanmoins, je reste persuadé que nous pouvions faire mieux et ma conviction reste entière en ce domaine.

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