Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Interdiction de l'exploration et de l'exploitation des mines d'hydrocarbures par fracturation hydraulique — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelques mois à peine, les termes techniques « hydrocarbures de roche-mère » ou encore « fracturation hydraulique » n’étaient connus que des spécialistes et totalement ignorés de la plupart des Français. Et qui, parmi nos concitoyens, même parmi les élus, avait alors connaissance de l’existence de permis exclusifs de recherches d’un nouveau type d’énergie appelé « gaz de schiste » ?

En mars 2010, la décision d’accorder des permis de forages de prospection sur le territoire national à plusieurs industriels, américains et français, fut prise sans la moindre consultation, malgré les questions en suspens sur les techniques utilisées pour l’exploration et l’exploitation.

Après la diffusion d’images frappantes de robinets crachant du feu ou de paysages dévastés, certes vraisemblablement mises en scène, mais toujours traumatisantes, l’inquiétude, d’abord, puis l’indignation et la colère ont saisi les habitants des départements concernés par les permis, dont l’existence n’a été révélée que par la presse.

Les Français ont alors commencé à s’interroger sur cette nouvelle ressource énergétique, le Gouvernement a dû instaurer un moratoire sur les autorisations et, finalement, le Parlement a légiféré à la hâte, dans l’urgence, sur un problème complexe dont on découvrait la réalité.

Nous sommes très nombreux à nous interroger sur cette précipitation gouvernementale.

La mobilisation citoyenne, si elle est légitime, ne doit pas susciter de telles méthodes de gouvernance. Le rôle du Parlement n’est pas, ne doit pas être de réagir à chaud sur tous les sujets faisant la une des médias.

Le débat, trop improvisé, et donc incomplet, sur un sujet pour lequel on est encore mal informé se trouve totalement faussé. L’absence d’information et la mauvaise communication ont largement contribué à envenimer la situation.

Mes chers collègues, personne n’ignore plus aujourd’hui que les gaz de schiste font naître de nombreuses inquiétudes auxquelles la technique n’a pas encore apporté toutes les réponses. Outre le fait que la prospection d’énergies fossiles ne s’inscrit pas dans les objectifs du Grenelle de l’environnement, les conséquences sur l’environnement et la santé publique des techniques d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste seraient potentiellement graves, mais restent aujourd'hui peu connues.

Tout, donc, se résume à de grandes interrogations.

Dès lors, l’urgence est, me semble-t-il, d’acquérir une connaissance scientifique sur ces procédés et leurs conséquences. La majorité de mes collègues du groupe du RDSE et moi-même estimons indispensable de lancer au plus vite un programme de recherche scientifique sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux à l’échelon national, voire européen.

La recherche sur les techniques d’exploitation des gisements potentiels de gaz de schiste n’a jamais été conduite jusqu’à son terme en France ; c’est fort regrettable. Les incertitudes et les différences de point de vue sont toujours trop grandes.

Hier encore, les médias faisaient état d’une nouvelle polémique aux États-Unis, après la publication sur le site du New York Times de courriels échangés par certains acteurs du secteur ; il semble bien qu’un intense débat se développe aussi entre les spécialistes.

Pour opérer les bons choix, nous avons besoin d’une véritable étude scientifique. Nous n’en disposons pas aujourd'hui : l’émotion prend donc le pas sur la raison et brouille notre réflexion. Les conditions ne sont pas, selon nous, réunies pour légiférer.

Pour l’instant, seule l’expérience d’autres pays exploitant ces ressources depuis plusieurs années, comme les États-Unis ou le Canada, nous donne quelques éléments sur les conséquences de l’exploitation des hydrocarbures de schiste. Il est indéniable que cette exploitation est aujourd’hui loin d’être neutre d’un point de vue écologique.

Deux arguments principaux sont avancés pour refuser catégoriquement l’exploitation des gaz de schiste. D’une part, la fracturation hydraulique nécessite de grandes quantités d’eau, ce qui va clairement à l’encontre de notre politique de protection des sources d’eau potable. D’autre part, les produits chimiques utilisés seraient vraisemblablement toxiques et pollueraient les nappes phréatiques. Pourtant, une étude scientifique américaine récente, si elle admet des cas de contamination de l’eau potable, estime que la pollution serait plutôt due à un défaut de cimentation du puits. Qui croire ?

Nous entendons aussi les inquiétudes concernant les rejets accidentels de méthane et les remontées à la surface de boues toxiques.

Tout cela est, certes, très alarmant.

Pour autant, à ce stade, si la préservation de l’environnement reste une priorité et nous conduit à la plus grande prudence sur l’exploitation des gaz de schiste, il serait stérile de fermer définitivement la porte à l’expérimentation scientifique. Hormis la fracturation, il y a peut-être de nouvelles techniques à mettre en œuvre. Par exemple, l’extraction de gaz de schiste par injection de propane est déjà utilisée de façon marginale au Canada et pourrait à l’avenir représenter une solution de remplacement. Sans expérimentation, nous ne pourrons pas découvrir toutes ces nouvelles techniques et serons condamnés à importer de l’énergie au prix fort.

Or la sécurisation et la diversification de nos approvisionnements énergétiques sont des questions majeures, qui peuvent devenir vitales. Elles se situent au cœur du débat. Il faut rappeler que la France dispose d’une soixantaine de petits gisements pétroliers et gaziers, principalement situés dans le Bassin aquitain et le Bassin parisien ; leur production représente entre 1 % et 2 % de la consommation nationale. Par conséquent, 98, 5 % du gaz naturel que nous consommons en France est importé. Notre facture d’importation gazière s’élève à 10 milliards d’euros et n’ira qu’en augmentant puisque notre consommation est appelée à croître inexorablement dans les cinquante années à venir.

Malgré les efforts consentis pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de développement d’énergies renouvelables, nous sommes toujours de grands consommateurs d’hydrocarbures, et nous le resterons sans doute encore pendant de longues décennies. L’exploitation de nouvelles ressources ne peut donc être refusée par principe : elle est essentielle pour notre indépendance énergétique.

Selon une étude de l’Agence d’information sur l’énergie publiée en avril 2011, la France serait, avec la Pologne, le pays d’Europe dont les ressources en gaz de schiste sont les plus importantes. Même si nous manquons encore de certitudes scientifiques sur ce point, nous ne pouvons rejeter a priori ce potentiel : il représente un tel enjeu d’un point de vue économique et stratégique qu’il justifie toutes les recherches. On ne peut refuser l’hypothèse selon laquelle notre sous-sol pourrait nous conférer une plus grande indépendance énergétique en nous rendant moins tributaires du marché mondial du gaz.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’exploitation des gisements de gaz de schiste a permis aux États-Unis de passer devant la Russie quant à la production de gaz naturel. Ils ont, grâce à cela, pris la tête du classement mondial.

Bien entendu, des polémiques agitent les États-Unis concernant l’exploitation de leur gaz de schiste. Néanmoins, leur exemple montre quel atout considérable peut représenter cette ressource ; il serait irresponsable de l’ignorer ou de la refuser a priori.

Le principe de précaution ne doit pas conduire à l’immobilisme et à l’obscurantisme.

L’exploitation des gaz et huiles de schiste dans le monde serait susceptible de modifier profondément et durablement la carte de l’énergie. Cette question ne doit donc pas être traitée avec légèreté. Au-delà de la question écologique, c’est tout le marché des ressources énergétiques et l’ensemble des politiques énergétiques mondiales qui pourraient s’en trouver bouleversés.

Le texte proposé aujourd’hui à notre examen n’est pas satisfaisant. Il est intervenu dans un contexte peu serein. Non seulement il ne repose sur aucune étude scientifique fiable, mais il a été examiné par les deux assemblées alors que la mission d’information créée à l’Assemblée nationale le 1er mars dernier n’avait pas encore rendu ses conclusions. Quant à la mission confiée par le Gouvernement au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et au Conseil général de l’environnement et du développement durable, son rapport définitif est toujours attendu. L’emballement irrationnel dont a fait l’objet le dossier du gaz de schiste décrédibilise l’exécutif et le Parlement.

Par ailleurs, ce texte est la conséquence directe d’une erreur manifeste d’appréciation globale dans ce dossier. Comment peut-on accepter que des actes administratifs ayant des conséquences aussi importantes sur les territoires que les permis d’exploration des sous-sols aient été pris sans aucune connaissance ni concertation en amont ? C’est impensable, et cela nous oblige aujourd’hui à de bien périlleuses acrobaties juridiques et législatives, sans parler des risques financiers auxquels nous nous exposons vis-à-vis des entreprises bénéficiaires d’autorisations de prospection.

Pour couronner le tout, il est clair que ce texte n’est de nature ni à apaiser l’inquiétude et donc la colère de nos concitoyens ni à répondre à leurs attentes en matière de politique énergétique. Il ne satisfait personne. La mobilisation des citoyens, et pas seulement de ceux qui sont immédiatement et directement concernés, ne faiblira pas. Les industriels déjà engagés ne pourront poursuivre leurs recherches et réclameront de fortes indemnités. En outre, notre pays risque de se priver de ressources essentielles, et ce à un moment où nous redéfinissons une politique énergétique que nous souhaitons fondée sur le principe de l’indépendance.

L’orientation de notre politique énergétique et de ses ressources potentielles mérite d’être reconsidérée après la catastrophe de Fukushima. Comme l’a déjà dit à cette tribune Yvon Collin, nous souhaitons un débat global sur la politique énergétique de la France, un « Grenelle de l’énergie ».

Avant même son adoption définitive, ce texte montre ses faiblesses, et nous savons déjà qu’il n’apportera pas de solution satisfaisante et raisonnée à la question très complexe de l’exploitation des gaz de schiste.

Nous allons être le premier pays au monde à interdire la technique de la fracturation hydraulique. Faut-il s’en réjouir ? Je n’en suis pas certain.

Était-il opportun de légiférer sur ce sujet-là, et à ce moment précis ? J’en doute fortement.

C’est pourquoi, comme en première lecture, aucun des membres du groupe RDSE n’approuvera la présente proposition de loi : certains se prononceront contre, beaucoup d’autres, comme moi, s’abstiendront.

Écoutons Louis Pasteur : « La chance ne sourit qu’aux esprits biens préparés. » Préparons donc l’avenir ! (

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